Alors que les amendements qui proposaient de revenir sur la possibilité de retirer les associations religieuses du registre des lobbies, inscrite dans l’article 38 du projet de loi « Pour un État au service d’une société de confiance », ont tous été rejetés à l’Assemblée nationale, Mgr Hérouard, évêque auxiliaire de Lille et ancien secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France, revient sur la délicate question des liens entre le pouvoir politique et l’Église catholique.Dans une société où elle n’est plus majoritaire, l’Église catholique est-elle condamnée à devenir un lobby pour faire avancer ses idées ? Le projet de loi « Pour un État au service d’une société de confiance » prévoit, dans son article 38, de retirer les associations religieuses du registre des lobbies. Annonce de bon sens pour certains, entorse au principe de laïcité pour d’autres, cet élément vient relancer la place et le rôle de l’Église catholique dans le débat public. Les amendements défendus par quelque 80 élus LREM et MoDem et le groupe socialiste pour revenir sur cette disposition du projet de loi ont été finalement rejetés à trois voix près par 88 voix contre 85 dans la nuit de mardi à mercredi. Mgr Hérouard, évêque auxiliaire de Lille, a été secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France. Actuellement membre de la Commission des épiscopats européens à la communauté européenne (COMECE), il est un observateur privilégié des relations qu’entretient l’Église catholique avec les responsables politiques.
Aleteia : Le projet de loi pour une société de confiance prévoit, dans son article 38, de retirer les associations religieuses du registre des lobbies. Qu’en pensez-vous ?
Mgr Hérouard : L’Église n’est pas un lobby au sens technique du terme puisque les lobbies défendent des intérêts particuliers alors que l’Église cherche à avoir, à promouvoir et à défendre des valeurs universelles. Il n’y a donc pas de raisons que les églises ou les communautés religieuses soient enregistrées comme tels.
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Doit-elle devenir un lobby ?
L’Église catholique n’est pas et n’a pas à en être un. Elle a à apporter sa contribution au bien commun de la société et se doit d’exprimer ce qu’elle croit bon pour la totalité des membres qui la composent. Quand elle prend des positions publiques, elle ne s’adresse pas à ses seuls membres mais à tous ; elle s’exprime sur ce qui est juste pour l’homme… Quand le pape Paul VI s’est présenté aux Nations Unies il s’est présenté comme expert en humanité ! Nous sommes dans cet ordre-là. L’Église catholique ne tient pas non plus à être assimilée à un lobby car elle défend des idées au service de l’intérêt général. Dans ce cadre-là elle a toujours voulu avoir des contacts publics réguliers et si possible dans la transparence. Pour elle, la reconnaissance d’un statut spécifique est important. En même temps si l’on regarde comment les choses se passent dans le concret, on voit bien que la compréhension théologique que l’Église peut avoir d’elle-même échappe à de nombreuses personnes qui de fait, dans la pratique, la considère simplement comme étant un groupe d’influence, un lobby parmi d’autres.
Dans son discours au collège des Bernardins, Emmanuel Macron a pourtant appelé les chrétiens à s’engager politiquement et l’Église à (re)prendre sa place dans le débat public….
Est-ce que nous, catholiques, nous avons quelque chose à apporter à la communauté nationale ? Je le pense. Mais ils doivent lutter contre une certaine tendance au replis. Ils ont pris conscience qu’ils étaient minoritaires dans la société française, qu’ils ne pouvaient prétendre organiser la vie de la cité selon leurs propres principes. Une fois que nous avons dit cela, deux dangers peuvent apparaître : se séparer du fonctionnement de la société et se construire comme contre-société. Ces deux hypothèses sont dangereuses et contraires à la vocation des chrétiens qui est d’être le sel de la terre et la lumière du monde. Ce qu’Emmanuel Macron a demandé dans son discours ? Que les chrétiens jouent pleinement leur rôle. Leur présence est, je le pense, utile à la société dans son ensemble.
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Y a-t-il une particularité française ?
Une instance de dialogue entre le gouvernement et l’Église catholique, l’instance Matignon, a été créée en 2002 sous le gouvernement de Lionel Jospin et se poursuit depuis. Tous ont compris l’utilité de ce rendez-vous annuel qui permet sans élément spectaculaire un travail régulier et de qualité. Il ne faut pas en attendre au-delà mais le cheminement des aspects juridiques d’ordre politique ou de société. Plus globalement, sur la philosophie de notre rapport avec les pouvoirs publics l’indépendance mutuelle qui est à la base de la loi de séparation n’implique pas l’ignorance ou l’hostilité ; elle appelle au contraire la connaissance mutuelle et la coopération. « Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu », détaille ainsi Gaudium et Spes (76.3). Dans son discours aux évêques de 2008, Benoit XVI précisait également que « l’Église ne revendique pas la place de l’État, elle ne veut pas se substituer à lui, elle est dans une société basée sur des convictions qui se sait responsable du tout et ne peut se limiter à elle-même. Elle parle avec liberté et dialogue avec le seul désir d’arriver à la construction de la liberté commune ».
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Quelle est la spécificité du message de l’Église ?
Son message, par essence, est universel. Il est de défendre tous les hommes, de les aider à grandir en humanité et, par la même occasion découvrir celui qui vers qui nous marchons. Quand l’Église entend annoncer l’Évangile elle ne le fait pas pour avoir des adhérents ou des adeptes, elle est porteuse du message du Christ. Elle cherche simplement à en témoigner là où elle vit. Pour prendre position, l’Église donne des éléments de réflexion sur des sujets de société, elle ne défend pas l’intérêt de ses membres.
L’Église catholique apporte une réflexion sur le bien commun mais pour la diffuser le plus largement possible n’est-elle pas obligée d’utiliser des techniques propres aux lobbies ?
Pour faire comprendre sa position il faut qu’elle l’explique. Et donc il faut que les chrétiens soient formés et capables d’en rendre compte dans des instances pluralistes. Je pense par exemple au Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) : il y a des chrétiens qui en font partie mais ils n’y sont pas dans une démarche confessionnelle. Ils y sont parce qu’ils ont une expertise. L’Église ne met pas en place des moyens pour arriver à ses fins mais les chrétiens ont à réfléchir, à se mobiliser et à s’exprimer par des moyens qu’ils déterminent eux-mêmes.