La crise migratoire bat son plein. Le 10 juin, l’Aquarius, le navire affrété par l’ONG SOS Méditerranée, qui a secouru 629 migrants au large de la Libye, est immobilisé en Méditerranée. L’Italie et Malte, principaux ports d’accueil en Europe, ferment leurs portes. Après 72 heures de débat houleux en Europe, le navire est finalement accueilli à Valence, en Espagne.En trois ans, près d’un demi-million de personnes sont arrivées par la mer en Italie. Des milliers ont trouvé la mort en tentant de traverser la Méditerranée dans des embarcations de fortune. C’est après deux naufrages dramatiques que Rome a décidé, en 2013, de lancer l’opération Mare Nostrum. Plusieurs navires ont été affrétés par des ONG pour porter secours à toute embarcation en situation de détresse. Selon Sophie Beau, directrice générale de SOS Méditerranée, embarquée à bord de l’Aquarius, cette mission se poursuivra « tant que des personnes se noient en Méditerranée ». En pratique, l’Italie, Malte et la Grèce, sont les trois principaux pays de destination de ces flux migratoires.
Mais, dimanche dernier, changement de cap. Matteo Salvini, le nouveau Ministre de l’Intérieur italien, également dirigeant de la Ligue du Nord (parti d’extrême droite), a refusé d’accueillir une nouvelle fois l’Aquarius en ses ports. Ses récentes déclarations annonçaient déjà les prémisses d’une politique de fermeté. Le 3 juin, il avait ainsi averti que l’Italie ne pouvait pas être « le camp de réfugiés de l’Europe ». « Le bon temps pour les clandestins est fini : préparez-vous à faire les valises », avait-il clamé la veille. Ce refus a aussitôt été imité par les autorités maltaises. Ce n’est qu’à l’issue d’une immobilisation de 72 heures, en situation humanitaire grave, que l’Aquarius a finalement été invité à rejoindre le port de Valence en Espagne.
Les flottements du droit international
« L’Aquarius a reçu l’instruction du centre de coordination des secours maritimes italien (IMRCC) de rester en stand-by à sa position actuelle, soit 35 milles nautiques de l’Italie et 27 milles nautiques de Malte », a tweeté l’ONG SOS-Méditerranée dimanche 10 juin dans la nuit.
Avec 629 rescapés à bord, l'#Aquarius a reçu l'instruction du Centre de coordination des secours maritimes italien (IMRCC) de rester en stand-by à sa position actuelle, soit 35 milles nautiques de l'#Italie et 27 milles nautiques de #Malte pic.twitter.com/wAIUIsOw9g
— SOS MEDITERRANEE France (@SOSMedFrance) June 10, 2018
Cette information est primordiale. De la position géographique du bateau dépend la compétence de la juridiction et donc de l’État saisi de cette problématique. Selon l’article 2 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay (1982), l’État côtier dispose d’une pleine souveraineté dans sa mer territoriale (jusqu’à 12 milles marins des côtes, soit 22,2 kilomètres). Le problème de l’Aquarius, c’est qu’il ne se trouvait pas dans les eaux territoriales d’un État. Il voguait dans une zone commune à deux États : l’Italie et Malte. Une zone de « search and rescue », dédiée à la recherche et au sauvetage des navires en détresse. Dans ce secteur, Malte et l’Italie sont donc en théorie responsables de ces opérations.
Selon Thibault Fleury-Graff, professeur de droit international public à l’université Rennes-I et membre du collectif Les Surligneurs, interrogé sur France culture, c’est la convention de Montego Bay qui fait autorité. Dans cette zone commune, l’Italie et Malte « se sont renvoyés la balle, sans véritablement violer cette convention ». Le texte prévoit seulement que l’État responsable du navire présent dans cette zone, doit lui fournir un « lieu sûr ». Mais il n’exclut pas que ce lieu soit le navire lui-même. Ainsi, pour Thibault Fleury-Graff, « tant que les vivres sont suffisants, tant que les personnes peuvent être en sécurité sur ce navire, le droit international n’est pas violé ». Or, sur l’Aquarius les vivres viennent à manquer. Mais cette situation n’est pas isolée et l’Aquarius n’en est pas à son premier voyage… Pour l’expert, le cadre juridique international, conçu pour venir en aide aux victimes d’un événement de mer (naufrage, incendie), n’est plus adapté, il « n’a pas été pensé pour des arrivées régulières et fréquentes de bateaux avec plusieurs centaines de personnes ».
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La politique migratoire européenne en dérive
Devant la situation critique de l’Aquarius, Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen chargé de l’immigration, a appelé les États à accueillir ce bateau, quitte à déterminer ensuite la question de la responsabilité. Pourtant, en Europe ces deux questions sont indissociables. En effet, selon le Règlement de l’Union européenne dit « Règlement Dublin III », un seul État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans l’Union. Il s’agit de l’État par lequel la personne étrangère est entrée. C’est bien le problème de ce règlement. Si l’Aquarius avait accosté en Italie, ce pays aurait automatiquement été chargé des 629 demandes d’asile. Et, si toutefois ces personnes avaient réussi à se rendre par la suite dans d’autres pays d’Europe, elles seraient immédiatement renvoyées en Italie, seul pays compétent pour traiter leurs demandes. La situation pour l’Europe du sud est donc sans issue. La triste réalité c’est que l’Italie, la Grèce et Malte, portent quasiment seules la responsabilité des demandes d’asile et de l’accueil des migrants en Europe.
Lors de sa conférence de presse ce vendredi à l’Élysée avec Giuseppe Conte, Président du conseil Italien, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a déclaré que le temps est venu d’une « refonte en profondeur du système dit de Dublin ». « Sur ce sujet il ne saurait y avoir de réponse nationale », a-t-il déclaré, « la bonne réponse est européenne, mais la réponse européenne actuelle est inadaptée », « l’Europe a manqué d’efficacité et de solidarité ». Les premières pistes de réflexion évoquées par le chef de l’État sont : une convergence des systèmes d’asile européens, des actions humanitaires de prévention communes et une plus grande protection communes des frontières de l’Europe avec le dispositif Frontex. De son côté, Giuseppe Conte évoque la nécessité d’un « changement radical » du dispositif européen et prépare avec son gouvernement sa propre proposition de réforme.
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La France devait-elle accueillir l’Aquarius ?
Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, a déclaré que le chef de l’État « a tenu à rappeler le droit maritime » qui indique « qu’en cas de détresse, ce soit la côte la plus proche qui assume la responsabilité de l’accueil ». En théorie, la France n’est pas juridiquement obligée d’accueillir l’Aquarius. Mais pour Joseph Thouvenel, Vice-président de la CFTC, interrogé sur Radio Notre-Dame, il faut venir au soutien de ceux qui sont en danger, « c’est un devoir d’humanité. Mais il ne faut pas confondre la charité, avec le compassionnel ». Selon lui, le risque d’accueillir ces personnes, est de vider leurs pays de leur substance et d’enrichir les passeurs. Il ajoute qu’il faut encore pouvoir les accueillir, car la misère est déjà très importante en France.
En 2016, le pape François, qui n’a de cesse d’appeler l’Europe à ouvrir ses portes aux réfugiés, a reconnu que les gouvernements avaient le droit de calculer avec prudence leur capacité d’accueil afin de réellement intégrer ces personnes : « Je crois qu’en théorie, on ne peut pas fermer son cœur à un réfugié ». « Les gouvernants doivent être très ouverts à les recevoir, mais aussi faire des calculs sur leur accueil, parce qu’on doit non seulement accueillir un réfugié, mais aussi l’intégrer », a-t-il déclaré. Il invite donc les États à trouver un juste équilibre entre devoir moral et capacités d’accueil.