Depuis la guerre atroce de 1950-53, la péninsule coréenne est constituée de deux États. Ce conflit sanglant est responsable de la mort de 800.000 militaires coréens, nordistes et sudistes, de deux millions de victimes civiles et de trois millions de réfugiés. Aujourd’hui, la séparation étanche entre deux mondes antagonistes de part et d’autre du 38e parallèle demeure : au sud, une société capitaliste et libérale dont le niveau de vie ne cesse de croître. Au nord, l’une des dictatures communistes les plus sanglantes de l’histoire. Il n’est donc pas étonnant que l’Église catholique, de part et d’autre de cette frontière hermétique faite de béton et de barbelés, ait un statut complètement opposé, et donc présente un visage bien différent et même antagoniste.
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La Corée du Sud et ses 100.000 baptêmes chaque année
En Corée du sud, la liberté de religion, garantie par la constitution, est complète. Sur une population de près de 49 millions d’habitants, le nombre de chrétiens (34%) dépasse désormais celui des bouddhistes (25%). Les catholiques sont près de 6 millions, soit environ 11% de la population totale du pays, répartis en trois provinces (Séoul, Gwangju et Daegu), qui comprennent elles-mêmes seize diocèses. Notons qu’en dix ans, le nombre de fidèles catholiques a augmenté d’un million et que 100.000 baptêmes sont célébrés chaque année, dont une majorité d’adultes… Certes, du fait de l’influence américaine, le protestantisme demeure largement majoritaire parmi les chrétiens de Corée du Sud, mais on peut considérer qu’il est en perte de vitesse, car plus proche des pauvres et moins attachée à l’argent, l’Église catholique recrute même parmi les déçus du protestantisme.
La Corée du sud est passée, en trente ans, du Moyen Âge au XXIe siècle, et on peut imaginer, notamment, la surprise, voire peut-être le “traumatisme” ressenti par les plus âgés. Ainsi, les missionnaires français, qui sont arrivés à Séoul il y a cinquante ans, disent que, à cette époque, dans le centre de Séoul, il était facile de se diriger en prenant comme point de repère la cathédrale catholique ; elle est maintenant dominée par les immeubles avoisinants. La société coréenne semble pris dans un cycle infernal mêlant la consommation et le travail, que rien ne semble pouvoir freiner, et cela est assez préoccupant, si l’on songe, non seulement aux questions liées à la pollution, mais aussi au matérialisme qui se diffuse dans l’esprit des gens, spécialement chez les plus jeunes, ce qui ne favorise guère la vie spirituelle… Citons, à titre d’exemple les écoliers, qui, durant les vacances scolaires, retournent dans des écoles ouvertes durant cette période pour étudier toujours plus…
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À propos de la visibilité du christianisme, la première impression du voyageur arrivant à Séoul est qu’il s’agit d’une ville chrétienne ; de fait, en plus des églises et des différents temples protestants, de multiples immeubles sont couverts de petits clochers surmontés par des croix, parfois même lumineuses. En effet, dès que quelques familles protestantes habitent un même immeuble, il arrive très souvent qu’ils manifestent leur présence de cette manière. Dans ce pays, on note donc à la fois la présence très visible des chrétiens, et aussi leur division, même si les relations entre catholiques et protestants — sans faux œcuménisme — sont empreintes de la cordialité qui sied aux disciples du Christ.
La piété des catholiques coréens est impressionnante. Ils prient intensément, jeunes et personnes âgées ensemble, avec une grande ferveur. Les femmes portent la mantille blanche, celle de leur baptême ; on s’agenouille toujours pour la consécration, l’action de grâces… Leurs cantiques sont très beaux, et le respect des fidèles envers le Saint Sacrement est impressionnant. Leur piété est édifiante, car, pour eux, la messe ne suffit pas : ils réclament l’Heure Sainte, le Chemin de la Croix, le chapelet… et ils se confessent tous très souvent. La Légion de Marie est très active, de même que les groupes de prières. Les églises catholiques poussent « comme des champignons » : voici l’exemple typique d’une église catholique toute neuve : après avoir franchi l’entrée, ornée de la statue de Notre-Dame de Lourdes, c’est ainsi qu’on distingue une église catholique d’un temple protestant, on voit un immense bâtiment comportant, au premier étage, un restaurant, des salles de catéchisme, de cinéma… au deuxième étage, des chapelles, dont celle de l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement, et au troisième étage, la grande église paroissiale…
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La charité des catholiques coréens se manifeste dans de nombreux domaines. Ainsi, des familles catholiques accueillent les enfants au retour de l’école, et ils les aident à faire leurs devoirs ; une petite bibliothèque est à leur disposition. De même, les personnes âgées, qui sont souvent abandonnées si elles sont sans ressource, et que l’État ne peut encore aider, font l’objet de l’attention des catholiques. Ceux-ci ouvrent donc des « maisons de retraite » chrétiennes où la messe est célébrée, au moins chaque semaine. Ces structures sont évidemment modestes, mais il s’agit de vraies « communautés », où les personnes âgées vivent dans un climat familial, et où leurs besoins spirituels – et non pas seulement matériels – sont satisfaits.
Les Missionnaires de la Charité de sainte Mère Teresa de Calcutta ont ouvert une maison destinée aux personnes âgées et aux handicapés parmi « les plus pauvres d’entre les pauvres », selon les termes de leur quatrième vœu religieux. La maison Saint-Jean, que j’ai fondé avec la grâce de Dieu, accueille des enfants et des jeunes issus de familles défavorisées. Ils sont orphelins, ou leurs parents, souvent séparés, les ont abandonnés. La plupart d’entre eux ont connu la violence dans la rue, et même dans leur propre famille. Parmi eux, il y a même des réfugiés de la Corée du Nord… Les enfants sont scolarisés, de même que les jeunes, s’ils le peuvent, ou bien, ces derniers débutent dans la vie professionnelle.
Les enfants et les jeunes accueillis à la maison Saint-Jean ne sont pas plus d’une vingtaine en tout, pour leur permettre de former une vraie famille. Nous leur proposons donc une vie de famille basée sur l’amitié, la solidarité et le respect de l’autre ; une vie d’étude ou de travail ; une vie de loisirs sains et de détente ; et aussi, et surtout, une vie de foi et de prière. De fait, il ne s’agit pas d’un centre social, mais d’un Foyer catholique, fondé par un prêtre missionnaire des Missions Etrangères de Paris (MEP). Ainsi, chaque année, j’ai la joie de baptiser quelques enfants et jeunes. La chapelle est le cœur du Foyer ; la sainte Messe y est célébrée chaque jour. De même, les enfants et les jeunes doivent notamment participer ou assister à la prière quotidienne. Enfin, les personnes qui s’occupent d’eux sont toutes catholiques: éducateurs coréens, bénévoles et aussi volontaires français envoyés pour un ou deux ans par les Missions Etrangères de Paris. La maison Saint-Jean est donc très différente d’un foyer similaire en France. Ainsi, les plus jeunes vouvoient les plus grands, et ils font preuve d’un respect surprenant envers les personnes âgées. Il faut bien entendu respecter leurs traditions et s’en inspirer pour éduquer des Coréens appelés à vivre dans ce pays.
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Enfin, on ne saurait passer sous silence le sanctuaire marial de Nam Yang, fondé il y a quelques années par un jeune prêtre coréen dynamique à l’endroit où des martyrs chrétiens ont donné leur vie, dont des prêtres missionnaires français. Ce sanctuaire, qui, peu à peu, devient le véritable sanctuaire marial de la Corée est très impressionnant : il comporte un Rosaire, représenté par des boules disposés le long d’un chemin forestier que l’on peut égrener en marchant, et l’une de ses parties est consacrée à la dévotion à la Divine Miséricorde, et au respect de la vie… Bientôt, une grande basilique surgira de terre…
La Corée du Nord et ses “chrétiens des catacombes”
En Corée du Nord, la liberté religieuse est à la fois nulle et factice. Depuis la séparation des deux Corée en 1953, Kim Il-sung a organisé une purge qui n’a pas cessé jusqu’à nos jours. Le régime a fait construire quatre églises entre 1980 et 2007. Le seul culte autorisé est celui rendu à… Kim Il-sung – mort en 1994, mais défini comme « président éternel » selon la Constitution – et à ses descendants. Ce dictateur déifié a provoqué la guerre de Corée, fait tuer tous les religieux, prêtres et chrétiens qui affirmaient leur foi. Protestants et catholiques furent l’objet d’une persécution sans précédent. Pourtant, avant la guerre, on appelait la capitale Pyongyang la « Jérusalem de l’Asie », car on y comptait plus de 100.000 chrétiens. Un couvent bénédictin a même été détruit par le régime stalinien qui voulait imposer son culte personnel.
Tous les cultes, chrétiens et bouddhistes, ont été supprimés, éradiqués. Puis, au fur et à mesure, face à la pression internationale, le gouvernement de la Corée du Nord a toléré une certaine présence religieuse, mais, en réalité, totalement factice, uniquement de façade. C’est ainsi qu’à Pyongyang, on trouve une église catholique, un temple protestant et une église orthodoxe. Mais ce sont des vitrines, et les fidèles des marionnettes. Certes, la constitution de la Corée du Nord évoque la liberté religieuse, mais « sous contrôle du gouvernement ». Notons que les bouddhistes aussi sont persécutés et massacrés. Une enquête de l’ONU atteste elle-même que « les chrétiens ne sont pas autorisés à pratiquer leur religion et font l’objet de persécution ». Et ce, malgré une belle vitrine de propagande pour faire croire à la liberté de culte.
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On peut donc qualifier les chrétiens de « chrétiens des catacombes ». Le gouvernement les traque, car ils sont considérés comme des irréductibles. Ils provoqueraient le « désordre » dans la société. Beaucoup de chrétiens sont exécutés publiquement, notamment lorsqu’ils détiennent des Bibles, ou ils sont enfermés dans les camps de rééducation et d’extermination. Ils sont soumis au régime le plus sévère. L’ONU estime que des centaines de milliers d’opposants politiques ont péri dans des camps de concentration, où seraient encore détenus à ce jour entre 80.000 et 120.000 prisonniers. On pense aussi que, depuis 1995, plus de 15.000 chrétiens catholiques, protestants et orthodoxes ont été les victimes de la persécution, et qu’au moins 5.000 ont été exécutés uniquement parce qu’ils priaient secrètement ou distribuaient des Bibles. Le simple fait de détenir une Bible est contraire à la loi.
Il y a trois ans, une femme enceinte âgée de 33 ans fut arrêtée en possession de vingt Bibles qu’elle portait dans son sac pour les distribuer. Elle fut rouée de coups et pendue par les pieds en public. Après son exécution, son mari et ses enfants furent séparés et envoyés dans des camps de concentration. En mai 2010, on a arrêté vingt chrétiens qui faisaient partie d’une Eglise « clandestine » : trois d’entre eux, les responsables de la communauté, furent aussitôt mis à mort, et les autres envoyés dans un camp. Notons que beaucoup de chrétiens nord-coréens se sont convertis en raison de la présence de missionnaires étrangers à la frontière chinoise. Et on sait aussi que des pasteurs américains et canadiens d’origine coréenne sont actuellement enfermés dans des camps de prisonniers politiques en raison de leur aide aux réfugiés…
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Notons enfin que plus de 30.000 réfugiés nord-coréens, qui vivent actuellement en Corée du Sud, partagent cette même souffrance : la solitude. Leur vie n’a aucun sens sans leur famille. Ils vivent désormais dans un pays de liberté et mangent à leur faim, mais leur objectif est d’être avec leur famille restée au Nord ou passée en Chine.
La Corée, terre de martyrs
La Corée est une terre de martyrs depuis les débuts de l’évangélisation : des persécutions atroces se sont abattues sur les premiers chrétiens, en trois vagues successives : 1839, 1845 et 1866 menées par les monarques coréens. Le bilan fut terrible : 10 000 chrétiens furent massacrés après avoir été terriblement torturés, dont douze évêques et prêtres de la Société des Missions Étrangères de Paris. La foi des chrétiens, autant au sud qu’au nord du 38e parallèle s’enracine donc dans l’exemple, la foi et l’intercession de leurs martyrs, ceux du passé, et ceux de notre époque, qui souffrent et meurent dans ce vaste camp de concentration qui a pour nom : la Corée du Nord !
En conclusion, voici ce que disait le pape François pendant son voyage apostolique du 15 au 18 août 2014, pendant lequel il a béatifié 124 martyrs coréens : « Les martyrs nous appellent à remettre le Christ au-dessus de tout et à voir tout dans ce monde en relation avec Lui et Son règne éternel. Ils nous poussent à nous demander s’il y a quelque chose pour quoi nous serions disposés à donner notre vie ».