Le vadémécum de la laïcité à l’école a été distribué mercredi 30 mai par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, aux personnels des établissements scolaires publics. L’objectif de ce guide est de leur donner des outils concrets pour veiller au respect du principe de laïcité à l’école « avec une fermeté sans défaillance ».Le vadémécum de la laïcité à l’école, guide de 80 pages qui vise à remplacer le livret de la laïcité, distribué en 2015 aux enseignants par Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Education nationale, constitue un « référentiel de situations pour les équipes académiques ». Élaboré par le ministère et validé par le conseil des sages, le vadémécum est destiné à « apporter des réponses juridiques précises » et à donner « des conseils d’action ».
Un outil pratique et volontariste
Le vadémécum a pour vocation de répondre systématiquement et utilement à tout manquement au principe constitutionnel de laïcité au sein de l’école. A l’inverse de son ancêtre, le livret de la laïcité, qui insistait davantage sur l’aspect préventif de ces atteintes, le nouveau guide tend à expliquer les valeurs républicaines et à sanctionner ceux qui ne les respectent pas. « C’est une version plus développée, plus pratique et aussi peut-être plus… volontariste », affirme Jean-Michel Blanquer cette semaine dans l’Express.
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Il invite dorénavant l’ensemble des personnels scolaires à détecter et signaler toute situation contradictoire avec la laïcité, par le canal de « Faits établissement », outil national qui remplace dorénavant les autres formes de remontées d’incidents. Si un comportement contradictoire avec la laïcité se présente, il revient d’abord au personnel scolaire d’engager le dialogue avec l’élève et ses parents. Si l’élève persiste dans son comportement, il s’expose à une sanction disciplinaire qui peut aller jusqu’à l’exclusion définitive de l’établissement.
A l’école publique, point de signe religieux
Le nouveau guide de la laïcité à l’école se veut intraitable envers les signes ou emblèmes religieux au sein de l’école républicaine. Qu’ils soient explicites ou que le comportement de celui qui les porte le laisse supposer, la tenue ou le signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse est prohibé pour les élèves et le personnel scolaire. C’est ce qu’a décidé le Conseil d’Etat en confirmant la sanction prise à l’encontre d’une jeune femme qui avait systématiquement refusé de retirer un bandana (CE, 5 décembre 2007), ou en interdisant le port quotidien d’une jupe longue de couleur sombre ainsi que d’un bandana couvrant partiellement la chevelure d’une élève (CE, 19 mars 2013). Voile islamiste, kippa, turban sikh, bindi hindou ou croix de dimension manifestement excessive n’ont donc pas leur place sur les bancs de l’école publique.
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En classe, en sortie scolaire ou pendant les examens, l’expression religieuse doit rester intime et donc discrète, voire inexistante. Aussi, lorsqu’un établissement public souhaite célébrer une « fête sécularisée, comme la fête de Noël (ou encore Halloween) », il est nécessaire de s’assurer que la manifestation ne s’accompagne d’aucun signe ou emblème à caractère religieux. Si le sapin, « symbole d’une fête largement laïcisée », est toléré par le guide de la laïcité, point de crèche vivante ou décorative dans les murs de l’école républicaine.
La primauté de l’enseignement républicain
Le vadémécum de la laïcité combat tout aussi fermement les expressions religieuses contraires à l’enseignement républicain. L’obligation d’assiduité qui incombe aux élèves implique d’accomplir tous les travaux demandés et de respecter le contenu des programmes. Les élèves n’ont donc aucun droit de contester la légitimité de l’enseignant ou de l’enseignement qu’ils reçoivent en raison de leurs convictions religieuses.
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Cette difficulté se pose notamment pour les enseignements relatifs à l’histoire, la SVT, l’éducation physique et sportive et l’éducation à la sexualité, régulièrement contestés. Le guide réaffirme l’obligation pour tous les élèves « d’assister à l’ensemble des cours inscrit à leur emploi du temps sans pouvoir refuser les matières qui leur paraîtraient contraires à leurs convictions. Un absentéisme sélectif pour des raisons religieuses ne saurait être accepté ». Le ministre appelle le personnel scolaire à une vigilance particulière aux certificats médicaux dits « de complaisance » qui pourraient être soumis au contrôle du médecin scolaire académique. Cet extrait sensible du guide fait principalement référence aux filles qui, pour des raisons religieuses, ne veulent pas avoir à porter certaines tenues lors de cours d’éducation physique et sportive.
Dans la vie scolaire, la laïcité accommodée
Si l’expression ostentatoire du religieux est très clairement chassée de l’école républicaine, le guide de la laïcité continue à tolérer la pratique du culte dans la vie scolaire. Ponctué de fêtes religieuses, de jeûnes et de temps de prières, le rythme scolaire est, de fait, éprouvé par les croyances des élèves. Autant d’exceptions au modèle républicain qu’entérine le nouveau guide de la laïcité.
Peu novateur, finalement le guide de la laïcité reprend les termes d’une circulaire du 18 mai 2004 selon laquelle « des autorisations d’absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées chaque année par une instruction ». Ces demandes d’absence seront tolérées dès lors qu’elles ne sont pas « systématiques ou prolongées » (CE, 14 avril 1995, n° 125148). Cette tolérance est également accordée aux élèves en internat. Dans la mesure où ils ne peuvent pas quitter librement le milieu scolaire en semaine pour pratiquer leur culte, le guide recommande de leur laisser la possibilité de prier individuellement dans leur chambre. Le document précise, « si cette pratique a pour conséquence de heurter la liberté de conscience des autres élèves, notamment ceux qui partagent sa chambre, il peut être opportun » d’autoriser les élèves à disposer ponctuellement d’une salle de prières.
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A la cantine scolaire, service public facultatif qui relève de la collectivité territoriale, le fait de prévoir des menus distincts convenant aux pratiques confessionnelles des élèves, ne constitue pas un droit pour les usagers. Cependant, comme le rappelle le vadémécum, « rien ne s’oppose à ce qu’elle prévoie de faciliter l’exercice, par les élèves, de leur liberté de conscience, à condition que soient respectés l’ordre public (et) la santé publique». Le débat entre la proposition d’instaurer un « menu végétarien » au lieu du menu implicitement « confessionnel » et celle d’imposer un « menu unique » républicain, n’est donc pas tranché. Les collectivités territoriales restent libres de mettre en place des repas différenciés tant que ces menus ne conduisent pas à des regroupements d’élèves par tables distinctes dans un réfectoire, selon les pratiques alimentaires.
Hors les murs, la laïcité mise à l’épreuve
Les parents d’élèves, premiers éducateurs, doivent contribuer à transmettre à leurs enfants les règles de l’École laïque. Lorsqu’ils viennent chercher leurs enfants à l’école, ils ne sont pas soumis à l’interdiction du port de signes manifestant une appartenance religieuse. Mais, qu’en est-il lorsque le parent devient accompagnateur d’une sortie scolaire ? S’il ne fait aucun doute que la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse reste interdite aux élèves et au personnel scolaire lors d’une sortie de classe, la réponse est moins évidente lorsqu’elle concerne les parents d’élèves ou les intervenants extérieurs, participants volontairement à la vie scolaire.
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Alors que le ministre de l’Education nationale, interrogé par le grand jury de RTL en décembre dernier, avait déclaré : « mon approche personnelle, c’est que toute personne qui accompagne les élèves est en situation d’être ce qu’on appelle un collaborateur bénévole du service public », qui devrait donc respecter la neutralité en matière religieuse, il en a finalement décidé autrement. Selon le guide de la laïcité, lorsqu’ils siègent dans un conseil scolaire ou participent à l’encadrement d’une sortie de classe, les parents d’élèves « peuvent porter un signe ou une tenue manifestant une appartenance religieuse, sauf si leur comportement ou leur discours traduisent une volonté de propagande ou de prosélytisme ». Au prétexte d’une nécessaire conformité à la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui prévoit pourtant que le bon fonctionnement du service public de l’éducation peut conduire l’autorité compétente à recommander aux parents d’élèves « de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse », Jean Michel Blanquer recule sur cette question sensible. Ce repli est particulièrement regrettable dès lors qu’il dispose de l’autorité et des outils juridiques suffisants pour imposer la neutralité religieuse et politique des accompagnateurs scolaires.