À partir de ce vendredi 1er juin, les États-Unis imposent des taxes douanières sur l’acier et l’aluminium venant de l’Union européenne, du Canada et du Mexique. Qualifiée d’« illégale et erronée » par Emmanuel Macron, cette annonce, sans forcément provoquer une guerre commerciale, risque d’accroître durablement les tensions entre ces pays et constitue une solide attaque contre l’ordre économique actuel et ses règles. Décryptage.
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De quoi parle-t-on ?
Les États-Unis ont mis en place à partir du vendredi 1er juin des droits de douane supplémentaires de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur celles d’aluminium en provenance de l’Union européenne, du Canada et du Mexique. Pour mémoire, c’est en mars dernier que le président américain avait imposé ces droits de douane en se référant à la section 232 du Trade Expansion Act (1962) qui permet de limiter les importations de biens jugés préjudiciables à la sécurité nationale. Donald Trump avait néanmoins accordé un délai supplémentaire (jusqu’au 31 mai) à l’Union européenne, au Canada et au Mexique afin d’encourager les négociations commerciales dans d’autres dossiers.
L’Union européenne et la France sont-elles fortement touchées ?
En 2017, les exportations européennes d’acier et d’aluminium vers les États-Unis ont représenté respectivement 5,3 milliards et 1,1 milliard d’euros, soit un total de 6,4 milliards d’euros… à comparer aux quelques 300 milliards d’euros d’exportations de l’Union européenne vers les États-Unis chaque année. Dans le détail, la France exporte très exactement 700 millions d’euros d’acier par an (soit 2 % de ses exportations d’acier) et d’aluminium aux États-Unis.
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Comment ont réagi les pays concernés ?
Si elle a affirmé que « l’Union européenne n’est en guerre avec personne », Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, a précisé que l’Union avait « clairement intérêt à défendre ses intérêts ». « Les États-Unis ne nous laissent pas d’autre choix que de porter ce conflit devant l’Organisation Mondiale du Commerce et d’imposer des droits de douane supplémentaires à des produits en provenance des USA », a par ailleurs réagi le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Concrètement, « face à cette mesure-là, nous allons prendre des contre-mesures. Des mesures proportionnées : il y a une liste de produits qui vont être taxées par l’Union européenne, laquelle est unie, souveraine », a déclaré Jean-Yves Le Drian. Une liste a été envoyée en ce sens à l’OMC le 18 mai dernier, en prévision de la décision de Washington. Ces contre-mesures européennes devraient compenser à hauteur de 2,8 milliards d’euros les dommages causés par les taxes américaines. Qualifiant ces taxes d’« inacceptables », le premier ministre canadien Justin Trudeau a estimé qu’elles étaient « un affront au partenariat de sécurité existant de longue date entre le Canada et les États-Unis, et un affront aux milliers de Canadiens qui ont combattu et péri aux côtés de leurs frères d’armes canadiens ». Il a annoncé dans la foulée l’imposition à partir au 1er juillet de taxes sur les produits américains de près de 13 milliards de dollars. Frappé également, parce qu’il ne plie pas assez vite face aux revendications américaines dans la renégociation de l’Aléna, le Mexique a condamné « catégoriquement » les mesures américaines et annoncé « des mesures équivalentes sur divers produits » dont certains aciers, des fruits et des fromages.
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Quelles conséquences pour les consommateurs ?
Plusieurs possibilités s’offrent aux entreprises. Elles pourront choisir d’augmenter le prix à la vente pour compenser cette taxe, de l’augmenter un peu et d’absorber le reste ou d’assumer entièrement cette taxe sans modifier le prix de vente.
Quelles règles régissent le commerce mondial ?
Pour éviter le retour aux désordres commerciaux de l’entre-deux-guerres, les pays occidentaux ont conclu, en octobre 1947, un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) permettant de supprimer progressivement tous les obstacles aux échanges internationaux. Plus de cent pays ont signé cet accord qui compte une double dimension : le GATT énonce une série de principes et de règles que les pays signataires s’engagent à respecter mais il organise aussi périodiquement de grandes négociations commerciales appelés les Rounds. Il sera remplacé par l’OMC en 1994. Depuis la fin des années 1940, l’essor du commerce international est ainsi corrélé avec la multiplication d’espaces économiques régionaux, dont l’Union européenne représente l’exemple le plus accompli. La constitution d’une zone de libre-échange constitue le premier niveau d’intégration : les barrières douanières sont progressivement abolies. L’accord de libre-échange nord-américain (Alena), signé par le Canada, les États-Unis et le Mexique en 1992 et appliqué depuis 1994, en est un exemple. Depuis la fin des années 1940, l’évolution des échanges internationaux s’inscrit dans une tendance nettement favorable au libre-échange. Entre 1948 et 2005, le volume des échanges internationaux a ainsi été multiplié par 25.
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Protectionnisme ou libre-échange ?
Le protectionnisme tarifaire suppose l’imposition de droits de douane grevant le prix des importations (les subventions à l’exportation peuvent être considérées comme des droits de douane négatifs favorisant les exportations). À l’inverse, le libre-échange prône la liberté de circulation de tous les biens économiques entre les pays. Mais entre libre-échange et protectionnisme, où est la morale économique ? Frédéric Poulon, professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV et membre du Laboratoire d’Analyse et de Recherche en Economie et Finance Internationales, rappelle que « la Doctrine Sociale de l’Église telle qu’elle a été actualisée par l’encyclique Centesimus annus (1991) pourrait se résumer sur ce point de la manière suivante : entre le socialisme marxiste et le capitalisme libéral, il faut opter pour celui-ci mais sous la réserve qu’on entende par capitalisme « un système économique qui reconnaît le rôle fondamental de l’entreprise, du marché, de la propriété privée, de la libre créativité humaine dans le secteur économique […] » et non « un système où la liberté dans le domaine de l’économie n’est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale […] ». En somme, pour la doctrine sociale de l’Église, « c’est oui au libéralisme, non à l’ultralibéralisme ».