Les 5, 6 et 7 juin prochains aura lieu à Paris le festival biblique. Au cœur du dialogue entre foi et culture, il vise à explorer les racines bibliques de la culture et l’influence, encore aujourd’hui, de la Bible sur la culture. Aleteia est allé à la rencontre de l’une des intervenantes, Claire Daudin, pour qu’elle nous en dise plus sur les liens entre foi, littérature et peinture.
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La Bible a été une source d’inspiration considérable pour les artistes et les écrivains. Si elle est en soi une véritable œuvre d’art, avec des psaumes et des récits superbes, elle a aussi été le sujet de très nombreuses peintures, constructions, morceaux de musiques et elle a nourrit l’imaginaire de beaucoup d’écrivains. C’est pour rendre la Bible vivante dans la cité que le père Jean-Baptiste Arnaud, délégué épiscopal pour les jeunes adultes à Paris, a décidé de l’organisation de ce festival.
Au carrefour des traditions juives et chrétiennes, le festival biblique est un événement culturel et festif à visée missionnaire, porté par des jeunes de 20 à 30 ans. Sous le parrainage d’Hélène Carrère d’Encausse et soutenu par de nombreux artistes et intellectuels, il investira des lieux emblématiques du quartier latin autour de quatre thèmes : l’art et l’architecture ; la musique, le chant et la danse ; le théâtre et la littérature ; la théologie et la révélation. Vous pouvez trouver le programme extrêmement riche sur le site internet et sur une brochure complète.
Pour en savoir plus sur l’esprit du festival, Aleteia a rencontré l’une de ses intervenantes, Claire Daudin, écrivain dont la foi chrétienne et la culture biblique nourrissent profondément les écrits.
Aleteia : Dans le cadre du festival biblique, vous aborderez les liens entre la Bible et les artistes, écrivains et peintres, lors d’un débat aux Bernardins. Selon vous, et d’après votre expérience d’écrivain, comment fait-on pour parler de Dieu dans un récit, de la foi, de l’expérience religieuse, sans être dans le dogme, dans la démonstration ou l’apologétique ?
Claire Daudin : En fait, chaque écrivain parle de Dieu à sa manière. Quand on est un écrivain croyant, ou comme le dit Bernanos « un catholique qui écrit des romans », on ne peut pas s’empêcher de parler de Dieu. La dimension chrétienne s’installe naturellement et elle ne porte que si elle contribue à rendre l’œuvre belle. Cela peut se faire par des moments d’émerveillement, une familiarité acquise avec Dieu, des lectures et des prières qui enrichissent la création. Selon moi, les artistes ne font donc pas leur œuvre pour démontrer une vérité, pour convaincre quelqu’un, mais d’abord pour faire quelque chose de beau. L’œuvre est achevée quand l’artiste la trouve belle, conforme à ce qu’il avait en tête et non quand le message à transmettre ou l’idée est passée. Pour l’artiste, la beauté de l’œuvre est toujours l’objectif essentiel. S’il est croyant, cela imprègne forcément l’œuvre.
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Dans le prologue de son Évangile, saint Jean parle du Christ comme du Verbe, de la Parole. N’est-ce pas dire à quel point le Christ habite le langage et donc la littérature ?
Dans la Bible, la parole de Dieu fait naître l’univers. La parole est créatrice. C’est aussi dans cette dimension que l’homme est à l’image de Dieu. Il existe un lien entre création et langage, entre être et langage. De fait la Bible, dans l’ancien et le nouveau testament, n’a jamais cessé d’être une source d’inspiration pour les écrivains mais aussi pour les artistes. Il y a une phrase du psaume 21 à laquelle je tiens beaucoup. Le psalmiste s’adresse ainsi à Dieu : « Toi qui habites les hymnes d’Israël ». Toute parole n’est pas habitée par Dieu mais elle est un lieu par excellence pour l’accueillir. Le texte peut faire surgir la présence de Dieu, être une épiphanie.
Pourquoi l’acte d’écrire des romans a pu parfois être associé au péché, comme chez François Mauriac par exemple ?
À mon avis, c’est un phénomène culturel, lié au fait que le genre romanesque a beaucoup exploité les passions et des dimensions qui pouvaient être suspectes aux yeux de l’Église. Cela peut expliquer un sentiment de culpabilité. Mais Bernanos par exemple n’a pas du tout cette approche et ne considère aucunement le roman comme un genre ou une activité condamnable en soi. Il n’y a en réalité aucune condamnation de l’écrit dans la Bible. C’est même le contraire. Il y a une véritable « attente du chant nouveau », c’est très présent. Il faut trouver toujours de nouvelles manières de rendre gloire à Dieu. Cela me semble beaucoup plus porteur que ces sentiments de culpabilité, culturellement datés. Péguy disait de son côté : « Je suis un pécheur mais mon œuvre est sans péché. » Ce n’est pas parce que l’écrivain est un pécheur que cela disqualifie son œuvre. En revanche, écrire n’est pas un péché !
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La solitude que réclame l’élaboration de l’œuvre est-elle compatible avec la sainteté, qui requiert une disponibilité, si ce n’est aux autres, au moins à Dieu ?
Je ne suis pas sûre qu’on se rende indisponible à Dieu quand on écrit. En revanche, c’est certain que l’on se rend indisponible aux autres. La solitude est une nécessité pour l’artiste, mais Dieu est dans toute solitude. On consacre sa vie à faire une œuvre qui certes sera offerte et donnée aux autres, ce qui nécessite une forme de réclusion. Ce n’est pas effectivement comme cela que l’on perçoit habituellement l’exercice de la charité, qui revient essentiellement à donner son temps aux autres. On ne peut pas écrire une œuvre et être mère Teresa. C’est toute la question de mon livre Dieu a-t-il besoin de l’écrivain, c’est-à-dire de cette vocation particulière. Il me semble que j’ai pu montrer sa place, au sein de notre culture où l’écrivain est une figure importante. Il peut véritablement servir Dieu d’une manière différente de la charité en actes. Bernanos, dans Sous le Soleil de Satan, veut envoyer un saint au-devant des autres. Il y a donc un lien direct de la littérature à la sainteté.
Dans votre ouvrage Le peintre aux outrages, Charles Filiger, on découvre que le peintre parle de Dieu avec les couleurs. Comment dire Dieu avec les couleurs ?
Dans la culture occidentale, l’art a été un vecteur privilégié pour dire Dieu. C’est comme si Dieu avait décidé que dans notre culture, l’art avait un rôle tout particulier à jouer dans son annonce et sa révélation. Que ce soit en architecture avec les églises, en peinture, en musique, en littérature, il y a eu un afflux d’inspiration extrêmement marqué. On a eu de très grands artistes inspirés et chrétiens, pas nécessairement de bonnes mœurs, mais dont l’œuvre se faisait hospitalière à la foi. Le peintre Charles Filiger est l’un des derniers à avoir fait cela, à son échelle. Le thème chrétien est présent chez d’autres à cette époque, notamment chez les symbolistes, mais il est souvent frelaté. Charles Filiger, très proche de ces milieux, produit un art qui reste d’une grande pureté. Il se rattache à toute la tradition des peintres religieux comme Giotto ou Fra Angelico. La Bible a été une source d’inspiration privilégiée pour les artistes occidentaux, et les artistes un relai privilégié de la parole de Dieu. En ce qui concerne Charles Filiger, sa démarche n’était pas apologétique : les motifs chrétiens arrivaient sous ses pinceaux pour répondre à son désir de beauté, de pureté et d’harmonie. Et je pense qu’ainsi il a servi Dieu, malgré sa vie désastreuse.
Le peintre aux outrages : Charles Filiger, Claire Daudin, Éditions du Cerf, avril 2018, 229 pages, 18 euros.