Le père Jacques Mourad, ancien otage de Daesh, a acquis la conviction que seul le dialogue peut ramener la paix dans son pays, la Syrie.
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Dans Un moine en otage, le père Jacques Mourad raconte son expérience de cinq mois dans les geôles de Daesh.
Aleteia : Malgré votre expérience d’otage et malgré les tortures que vous avez subies, vous affirmez qu’il faut dialoguer, même avec les djihadistes, pourquoi ?
Père Jacques Mourad : Ce n’est pas malgré, c’est à cause de cette expérience. J’ai vu les djihadistes de près, même avec eux, il faut parler. Mon expérience d’otage a été traumatisante, bien entendu, mais elle m’a donné l’occasion de côtoyer ces gens que l’on imagine comme des diables. Plusieurs d’entre eux, malgré leur violence, ont fait preuve d’une humanité étonnante, aussitôt qu’ils ont reconnu en nous d’autres être humains. Par exemple, l’un de nos geôliers me traitait très mal lors de mon arrivée. Mais je n’ai jamais répondu à ses insultes et ses brimades et son attitude a changé imperceptiblement. Après quinze jours, il venait me voir pour me demander si j’avais besoin de quelque chose.
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J’ai eu de vrais dialogues avec des chefs djihadistes. Le chef de l’État islamique en Syrie, en particulier, m’a exposé son point de vue sur la guerre en cours. Il ne se voyait pas comme un agresseur, mais affirmait qu’il voulait défendre le peuple contre la dictature d’Assad et établir l’islam. Il m’a aussi dit qu’il voyait les chrétiens comme des croisés. Ce à quoi j’ai répondu que les chrétiens d’Orient n’ont rien de croisés. Nous sommes dans ce pays depuis bien avant l’islam, et nous l’aimons. Nous ne servons pas des intérêts étrangers. Il m’a écouté avec attention, et j’espère avoir contribué à changer ses préjugés.
Que peut on dire à des radicaux, qui appliquent le Coran à la lettre et prétendent que les écritures chrétiennes sont falsifiées ?
Simplement exposer notre foi, même si elle semble étrange à nos interlocuteurs. Avec l’un des djihadistes, je parlais de la notion chrétienne d’un Dieu-père, et il avait beaucoup de mal à se la représenter. Il n’a pas changé de religion à l’issue de cette discussion, mais nous avons pu dialoguer, apprendre à nous connaître mieux. Le but n’est pas de parvenir à un accord théologique, mais de se connaître mieux.
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Les Syriens chrétiens et musulmans se côtoient depuis 1400 ans, qu’est-ce qui explique ce manque de dialogue que vous déplorez ?
La peur, ou plutôt les peurs. Celle de ne pas être d’accord, de se disputer. Mais il y en a d’autres qui sont profondément enfouies, comme les peurs issues du génocide de 1915, qui reste dans les mémoires des chrétiens. Ma propre famille a été décimée à cette époque, et je comprends cette peur. Mais en tant que chrétien, on ne peut pas répondre à cette peur par la violence. Le Christ en croix a pardonné à ses bourreaux, sans attendre que ceux-ci demandent pardon. C’est la seule attitude véritablement chrétienne. Or je vois que certains chrétiens syriaques, y compris parmi le haut clergé, participent à leur niveau au conflit en prenant position en faveur du régime d’Assad, fermant les yeux sur les atrocités qu’il commet. Ce n’est pas de cette façon que nous sortirons du cycle de violences. Assad est en train de gagner la guerre, mais il a vaincu superficiellement. La colère, la haine, qui agitent le peuple syrien sont intacts, le problème n’est pas résolu !
Un moine en otage, père Jacques Mourad, Éditions Emmanuel, mai 2018, 17, 90 euros.