Jean-François Parot, auteur de la célèbre série des aventures de Nicolas Le Floch est décédé le 23 mai 2018. En parallèle de son travail d’écrivain, il a mené une carrière diplomatique pendant presque 40 ans. Carrière qui l’a amené à croiser le chemin d’un évêque de Cochinchine du XVIIIe siècle resté célèbre pour le rôle déterminant qu’il joua dans les relations entre le royaume de France et l’Empire d’Annam (Vietnam). Une rencontre incroyable et rocambolesque.
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Le créateur des aventures du commissaire Nicolas Le Floch dans le Paris du XVIIIe siècle est décédé le 23 mai à l’âge de 71 ans. Diplomate de carrière, c’est à partir des années 1990 qu’il a imaginé sa série des aventures de Nicolas Le Floch déclinée en 14 volumes. Traduite en une dizaine de langues, la série, adaptée à la télévision, mêle des intrigues à des reconstitutions historiques scrupuleuses.
Dans son dernier roman Le Prince de Cochinchine (2017), Jean-François Parot raconte dans son avant-propos l’histoire incroyable qui lui est arrivé en 1983 alors qu’il était consul général de France à Saïgon. “Ce prélat, évêque d’Adran, me demeure lié par des circonstances particulières et inoubliables” confie-t-il aux lecteurs pour piquer sa curiosité. La suite de l’histoire le justifie allègrement.
Né en 1741, Pierre Pigneau de Behaine est un prêtre des Missions étrangères de Paris. Ordonné, il est envoyé en Asie et se retrouve rapidement en Cochinchine. Au XVIIIe siècle, ce royaume historique situé dans le sud de l’actuel Vietnam se déchire alors entre la dynastie Nguyễn et celles des Tây Son, de féroces ennemis du christianisme. Devenu évêque, pour résoudre le conflit, il joue un rôle de premier ordre sur le plan diplomatique. En 1787, le prince Nguyễn lui confie le sceau royal et son fils de 5 ans pour plaider sa cause auprès du roi de France, Louis XVI. Par Pondichéry, il arrive à Lorient et parvient à rencontrer le roi à Versailles. La France s’engage à soutenir militairement le roi de Cochinchine. Un traité d’alliance entre le royaume de France et l’Empire d’Annam est signé à Versailles. C’est le point de départ de la présence française dans cette partie de l’Asie du sud-est.
Mort en 1799, le corps de l’évêque est enterré à Ho Chi Minh-Ville après avoir été embaumé puis enveloppé dans de belles étoffes de soie et placé dans un cercueil précieux. La cérémonie d’enterrement fut grandiose et l’empereur Gia Long, en hommage à cet homme qui l’avait aidé à retrouver son trône, prononça lui-même l’éloge funèbre.
Quel lien entre Jean-François Parot et cet évêque du XVIIIe siècle ?
Alors consul général à Ho Chi Minh-Ville, Jean-François Parot apprend, en 1983, que les cimetières français de la ville vont être détruits ainsi que le magnifique tombeau de l’évêque d’Adran. Sans attendre, il entame des négociations afin de récupérer le corps du diplomate. Les travaux d’exhumation commencent mais le temps presse car Jean-François Parot veut profiter de l’escale à Singapour de la Jeanne pour rapatrier le corps par bateau.
Le jour de l’ouverture du tombeau, le diplomate se précipite sur les lieux où la foule est considérable. Debout devant la fosse, il découvre l’immense cercueil or et rouge. Considéré comme un saint, les gens se jettent sur le tombeau pour tenter de récupérer un morceau de bois du cercueil. Au milieu des cris, les fossoyeurs continuent leur travail et soulèvent le couvercle. L’évêque d’Adran apparaît alors en majesté. Le prélat porte une robe de mandarin constellée de dragons et fermée de petits boutons d’or. Sa tête momifiée est coiffée d’une calotte de dentelles. Mais la vision est fugitive : à peine effleuré, le tissu disparaît en poussière.
Un exhumation agitée
Jean-François Parot prend alors le crâne de l’évêque et l’élève comme un ostensoir. Soudain la foule s’agenouille pour prier. Le diplomate se dépêche de récupérer tout le reste des ossements et quitte les lieux, cachant la tête du prélat sous son veston. “Mon émotion fut grande de sentir contre mon cœur et exhalant une persistante odeur de camphre, la tête de celui qui, jadis, avait négocié avec Louis XVI à Versailles la sauvegarde de l’unité d’une nation menacée.”
Le soir même, les restes de l’évêque sont incinérés, les autorités interdisant la sortie du pays de corps intacts. Les cendres sont alors mises dans un pot en porcelaine sur lequel on appose le sceau officiel de la République tandis qu’une petite cérémonie est organisée dans le bureau de Jean-François Parot. “Par exception et en accord avec mes collaborateurs, les règles étroites de la laïcité furent écartées ; ces illustres avaient bien le droit à un moment de recueillement et à quelques prières”.
Retour aux sources
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Ayant enfreint les règles des Missions étrangères de Paris — qui veut que les missionnaires soient enterrés là où ils sont décédés — Jean-François Parot reçoit une lettre de mécontentement de la part du supérieur des Missions étrangères, ce à quoi il répond “qu’il aurait peut-être été préférable de laisser les bulldozers bousculer les vestiges d’un grand passé”. Au même moment, il prévient le maire et le curé d’Origny-en-Thiérarche (Aisne), village natal de l’évêque d’Adran, de l’arrivée des cendres en France. On décide alors qu’une partie des cendres iront dans la crypte des Missions étrangères de Paris, rue du Bac, tandis que l’autre reposerait dans l’église d’Origny, au dessus des fonts où il avait été baptisé.
Une grande cérémonie est célébrée le 2 octobre 1983 dans sa ville natale, en présence du préfet et de l’évêque de Laon. “Ainsi s’achevait dignement le destin exceptionnel d’un héros de notre histoire dont je rappelai solennellement coram populo, qu’il demeurerait aussi une des figures marquantes de l’édification nationale du Vietnam”.