Depuis 2009, les entreprises du CAC 40 ont reversé plus de deux tiers de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes, détaille une étude de l’ONG Oxfam publiée ce lundi 14 mai. Un document qui vient relancer la question de la réparation des bénéfices des entreprises. Décryptage.
Que dit l’étude d’Oxfam ?
L’ONG Oxfam France et le Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne (BASIC) viennent de publier une étude inédite sur le partage de la richesse au sein des entreprises du CAC 40 depuis 2009. Intitulé « CAC 40 : des profits sans partage », ce document « met en lumière une tendance lourde dans les choix économiques de ces grandes entreprises qui contribuent à alimenter la spirale des inégalités », soulignent les auteurs. D’après ce rapport depuis 2009, soit le début de la crise, les entreprises du CAC 40 ont reversé plus de deux tiers de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes, et cela au détriment des investissements et des salariés. En 2016, les entreprises du CAC 40 ont ainsi reversé près de 15 fois plus de bénéfices à leurs actionnaires (sous forme de dividendes) qu’à leurs salariés (sous forme d’intéressement et participation).
[Rapport] #CAC40 : des profits sans partage. Oxfam et le BASIC révèlent comment les grandes entreprises alimentent les inégalités : sur 100€ de bénéfices, elles versent en moyenne 67€ aux actionnaires et seulement 5€ aux salariés https://t.co/Cco7Q4HFX8 #LoiInegalites pic.twitter.com/I7quDWuRWS
— Oxfam France (@oxfamfrance) May 14, 2018
« Les richesses n’ont jamais été aussi mal partagées depuis la crise au sein des grands groupes qui choisissent délibérément une course aux résultats de court-terme pour conforter les actionnaires et les grands patrons au détriment des salariés et de l’investissement, dénonce Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam France et co-auteur du rapport. Alors que la taille du gâteau augmente depuis 2009, comment expliquer que les actionnaires en aient raflé plus des deux tiers depuis 2009, ne laissant que des miettes aux salariés, alors qu’ils et elles contribuent tout autant à la création de richesses ? » Selon elle, « l’accaparement de la valeur ajoutée par une minorité de personnes doit interroger les grandes entreprises sur leur responsabilité dans la création des inégalités. Dans un monde où l’année dernière 82% des richesses créées dans le monde ont bénéficié aux 1% les plus riches, est-il encore raisonnable de rémunérer un patron du CAC 40 257 fois le SMIC ? »
Que deviennent les bénéfices d’une entreprise ?
Quand une entreprise fait des bénéfices, ces derniers sont ensuite schématiquement partagés en trois : les dividendes pour les actionnaires, la participation/l’intéressement pour les salariés et les investissements qui restent dans l’entreprise afin de financer l’avenir. Dans le détail, le dividende correspond à la part des bénéfices engendrés par une entreprise qui sont équitablement répartis entre les actionnaires, à hauteur du nombre d’actions possédées par chacun d’entre eux.
Read more:
Le libéralisme économique est-il compatible avec la foi chrétienne ?
L’intéressement et la participation sont, l’un et l’autre, des dispositifs d’épargne salariale. Le premier vise « à associer les salariés d’une entreprise à sa réussite et à sa bonne marche ». En pratique, il se traduit par le versement de primes aux salariés en fonction de l’atteinte d’objectifs ou de performances, définis à partir de critères précis. Sa mise en place est facultative. La participation permet quant à elle de redistribuer aux salariés une partie des bénéfices réalisés par leur entreprise. Obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés, elle est facultative pour les autres. À l’occasion de chaque répartition de la participation, les salariés peuvent demander le versement immédiat de la prime (en tout ou partie).
Enfin, l’entreprise réinvestit une partie de ses bénéfices afin de financer l’avenir (renouvellement de son outil industriel, investissement en recherche et développement…).
Comment l’Église catholique se positionne-t-elle ?
L’Église catholique, à travers la Doctrine sociale de l’Église et les encycliques des papes successifs, donne quelques clefs de compréhension et de décision. « Tout système suivant lequel les rapports sociaux seraient entièrement déterminés par les facteurs économiques est contraire à la nature de la personne humaine et de ses actes. Une théorie qui fait du profit la règle exclusive et la fin ultime de l’activité économique est moralement inacceptable », détaille le Catéchisme de l’Église catholique. Les richesses remplissent leur fonction de service à l’homme “quand elles sont destinées à produire des bénéfices pour les autres et pour la société”, indique la Doctrine sociale de l’Église. “Elles sont un bien qui vient de Dieu: ceux qui le possèdent doivent l’utiliser et le faire circuler, de sorte que les nécessiteux aussi puissent en jouir; le mal consiste dans l’attachement démesuré aux richesses, dans la volonté de se les accaparer.”
Read more:
Entrepreneurs chrétiens, ils révèlent leur conception du capitalisme
Par ailleurs, « le principe de la destination universelle des biens invite à cultiver une vision de l’économie qui ne perde jamais de vue ni l’origine, ni la finalité des biens, pour construire un monde juste et solidaire », indique la Doctrine sociale de l’Église. La pensée sociale chrétienne de l’Église reconnait la propriété privée comme une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale mais elle n’a jamais considéré celle-ci comme un droit absolu et intouchable. En conséquence, « chaque entrepreneur et dirigeant chrétien est invité à examiner la responsabilité morale attachée à la propriété de ses biens, de façon à ce que ceux-ci portent du fruit pour l’ensemble de la société, c’est-à-dire aient une destination universelle préservant la dignité de l’homme, et ne restent pas improductifs », souligne de son côté le mouvement des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC).
Read more:
Salaire minimum: une controverse chez les catholiques
La question du « juste prix », de la « juste rémunération » est essentielle. Dans une encyclique de septembre 1981, Jean Paul II a ainsi défini ce que pourrait être le salaire juste : « En tout système, indépendamment des rapports fondamentaux qui existent entre le capital et le travail, le salaire, c’est-à-dire la rémunération du travail, demeure la voie par laquelle la très grande majorité des hommes peut accéder concrètement aux biens qui sont destinés à l’usage commun, qu’il s’agisse des biens naturels ou des biens qui sont le fruit de la production. Les uns et les autres deviennent accessibles au travailleur grâce au salaire qu’il reçoit comme rémunération de son travail. Il découle de là que le juste salaire devient en chaque cas la vérification concrète de la justice de tout le système socio-économique et en tout cas de son juste fonctionnement ».