Le vol du réceptacle en or du cœur d’Anne de Bretagne en avril — désormais retrouvé — est l’occasion de se pencher sur les rites funéraires des souverains français. Pourquoi le cœur d’Anne de Bretagne était-il conservé dans un reliquaire et donc séparé du reste du corps ?
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Sous l’Ancien Régime, le corps et le cœur des souverains faisaient tombeaux à part. La dépouille, déposée systématiquement à l’abbaye de Saint-Denis depuis le règne de Dagobert — mis à part quelques exceptions — était séparée du cœur, libre de tout engagement. Le premier roi français à connaître ce type d’inhumation, dit “multiple”, est le roi Philippe III le Hardi (1270 – 1285).
En effet, avant sa mort, le souverain pouvait décider, selon ses souhaits, à quel endroit ses entrailles devaient reposer, notamment s’il désirait les donner à une communauté religieuse qu’il affectionnait particulièrement. Le cœur d’Anne de Bretagne avait, par exemple, été déposé en 1514 à la chapelle des Carmes, près du tombeau de François II de Bretagne, et son corps déposé à Saint-Denis.
Le déroulement du rituel
Aussi fortes en symbolique que les couronnements, les cérémonies mortuaires des souverains de l’Ancien Régime étaient essentielles dans l’étape du deuil et marquaient le respect accordé à la dépouille du roi. Dans les heures qui suivaient la mort, on pratiquait ce qu’on appelle l’effigie vivante, une tradition qui s’est exercée du règne de Charles VI jusqu’à celui d’Henri IV avant d’être abandonnée. Il s’agissait de réaliser un mannequin recouvert de cire à l’effigie du défunt. Ce mannequin, dont seule la tête et les mains étaient recouvertes de cire, donnait l’illusion que le roi était encore vivant. Ce faux corps était ensuite remplacé par le vrai, alors embaumé.
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En effet, en parallèle le vrai corps du défunt était autopsié puis embaumé. Si l’embaumement était une étape essentielle du processus mortuaire, elle répondait à une finalité très simple : l’hommage des sujets au roi. En effet, l’exposition de la dépouille nécessitait un traitement minutieux pour maintenir l’aspect du corps mais aussi pour limiter la production d’odeurs insupportables. Cette étape n’était pas destinée à rendre le corps éternel, mais seulement dans le but de retarder la décomposition. Dans une société chrétienne, le principe de “l’homme est poussière et retournera poussière” était bien compris.
Le médecin pratiquait donc en premier lieu une autopsie pour confirmer les causes du décès, puis l’évisceration afin de remplir le corps de “baumes”, produits à l’odeur agréable. L’extraction concernait particulièrement l’abdomen, le thorax et le crâne. Selon Philippe Charlier, médecin légiste, les viscères de l’abdomen et du thorax étaient retirées à mains nues, tout en faisant attention de ne pas endommager le cœur retiré avec soin. Quand au cerveau, il pouvait être retiré de deux manières différentes : par le sciage de la boîte cranienne ou par trépanation.
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Après ces préparations méthodiques, le corps embaumé remplaçait le corps en cire. Venait alors le temps du recueillement où les membres de la cour honoraient le roi avant que son corps soit mené en grandes pompes jusqu’à la basilique Saint-Denis.
Et le cœur ?
Après son extraction, l’organe était trempé dans de l’esprit de vin ou de l’huile de thérébentine puis séché au moyen de plantes aromatiques. Déposé ensuite dans un reliquaire, il était conduit à son lieu de repos. À titre d’exemple, les cœurs d’Henri IV, Louis XIII et Louis XIV furent légués aux Jésuites. Ceux du Roi Soleil et de son père furent notamment déposés dans la même église parisienne, à Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais. Identiques, les deux reliquaires étaient réalisés en vermeil et représentaient deux anges tenant le cœur du roi surmonté des armes de France et du collier de l’ordre du Saint-Esprit. Des bas-reliefs venaient agrémenter l’ensemble et représentaient les vertus cardinales.
Lieu de la foi
Il faut souligner que le cœur avait une place prépondérante dans la société chrétienne et l’hommage qui lui était rendu était central. Il était considéré comme l’élément le plus important du corps humain, au delà même du cerveau, car il était le lieu de la piété et de la foi.
À la Révolution française, la plupart des reliquaires furent profanés puis détruits ou vendus. L’écrin d’or du cœur d’Anne de Bretagne a miraculeusement survécu. Saisi en 1793, les révolutionnaires ont tenté de l’envoyer à la Monnaie de Nantes pour le faire fondre. Par chance, reconnu comme un objet unique et précieux, il fut préservé et transféré au cabinet des médailles de la bibliothèque nationale avant d’être rendu à la ville de Nantes à la fin du XIXe siècle où il demeure toujours.