Comment comprendre la visite du Président français aux États-Unis à la lumière de Machiavel et de Hegel ? Visions du monde et rapports de force se sont jaugés à Washington : la forme entière de l’humanisme occidental est en train de muter.
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La relation personnelle entre les deux présidents Donald Trump et Emmanuel Macron a trop été observée par le petit bout de la lorgnette. Elle offre pourtant une ample matière à réflexions. Décryptage d’Henri Hude, philosophe, directeur du pôle d’éthique et de déontologie militaire des Écoles militaires de St-Cyr Coëquidan et auteur de La Formation des décideurs (Mame, 2018, 229 pages, 19 euros) et Habiter notre nature : écologie et humanisme (Mame, 2018, 245 pages, 20 euros).
D’un point de vue machiavélien
Les deux hommes sont des outsiders, qui se sont imposés, chacun à son système politique vieillissant. Chacun a donc intérêt à ce que l’autre se maintienne, car la chute de l’un serait inévitablement interprétée comme un signe de « retour à la normale », risquant de présager la chute de l’autre.
Vu du côté d’Emmanuel Macron, et toujours d’un point de vue machiavélien, le maintien de Donald Trump au pouvoir sert aussi l’intérêt de la France et de l’Europe. En effet, le mode d’exercice du pouvoir par Donald Trump, vraiment bizarre, et les tentatives continuelles faites par son opposition pour l’éjecter avant la fin de son mandat, la division et le chaos qui en résultent à la tête de l’État US, font perdre aux États-Unis du crédit dans le monde, donc du pouvoir. Donald Trump permet ainsi aux Européens de jouer, s’ils le veulent, un jeu plus indépendant par rapport aux États-Unis.
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Les Anglais ayant quitté l’Union européenne, Angela Merkel étant politiquement affaiblie, c’est forcément le président français qui devient le leader le plus représentatif de l’Europe dans son ensemble. La façon dont Emmanuel Macron est reçu et sa façon de se tenir à égalité montre combien la puissance d’une des nations d’Europe peut être multipliée par la présence implicite des autres derrière elle. La familiarité de la relation amicale fonctionne comme un moyen d’inscrire dans les faits l’égalité nouvelle des puissances. La différence d’âge permet de mettre au compte d’une déférence de bon ton ou d’une sympathique bienveillance, ce qui pourrait relever autrement de l’obséquiosité ou de la condescendance.
Toujours d’un point de vue machiavélien, en s’affichant avec Donald Trump, Emmanuel Macron rassure la fraction populiste de la France (pas loin d’une moitié du pays…), manifestant qu’il est capable de bien s’entendre avec un président américain réputé populiste et que les antipopulistes vouent aux gémonies.
Le même raisonnement vaudrait pour sa relation avec Vladimir Poutine.
La visite d’avril 2018 à Washington ne doit pas être isolée de la visite à Saint-Pétersbourg en mai 2018. À rapprocher de la première succession de rencontres avec Vladimir Poutine, le 29 mai 2017, puis Donald Trump, le 14 juillet 2017. Par ces séquences, Emmanuel Macron entend probablement symboliser la continuité, ou plutôt la reprise, d’une politique gaullienne, combinant une prise de position décidée du côté du « monde libre » et une politique d’équilibre entre les blocs. Emmanuel Macron a tenu à ce que son discours devant le congrès américain tombe exactement le jour anniversaire du discours prononcé au même endroit par le général De Gaulle, le 25 avril 1960. Je crois que cette référence fournit le sens le plus exact de cette visite.
D’un point de vue hégélien
Bien des commentateurs de cette visite ont noté son apparente absence de résultat, sur les trois points en discussion : climat, commerce international et Iran. Ils s’interrogent donc sur le contraste entre l’évidence, à leurs yeux, d’un échec diplomatique, et l’exhibition, qu’ils trouvent complaisante voire déplacée, d’une chaude relation personnelle. De là à conclure que tout cela n’est que mise en scène people et publicité, il n’y a qu’un pas, vite franchi. C’est là que la réflexion doit adopter pour comprendre un point de vue hégélien.
D’un point de vue « hégélien », l’élection de Donald Trump, aussi bien que d’Emmanuel Macron, au-delà du jeu des passions, intérêts et rapports de forces, relèvent de l’Idée. Entendons par là le système des principes et des valeurs qui, « comme un désir inconscient », tendent à réaliser leur logique à travers les décisions passionnées ou intéressées des acteurs individuels ou collectifs. Le vieux système politique a fait son temps, parce que plus généralement, la forme entière de l’humanisme occidental est en train de muter. La forme dominante, qu’on peut qualifier de postmoderne et de néolibérale, est à la fois ultra-dominante en surface et moribonde en profondeur. De ce vieux monde, il ne reste guère que la façade.
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Sachant cela, parce qu’il est vraiment cultivé, Emmanuel Macron ne craint pas de travailler avec Donald Trump. Les vieilles politiques réactionnaires ne mèneront à rien. Quand elles auront échoué, les États-Unis et la France seront toujours là, avec leurs deux cultures essentielles, leur parenté et leur rivalité syntonique, leur alliance naturelle. De plus, l’humanisme devrait logiquement « prévaloir » dans le monde par sa force intrinsèque. Mais nous devons aussi le faire prévaloir.
Si les États-Unis se séparent de l’Universel, c’est l’Europe qui reprendra le flambeau, si elle ne se fourvoie pas dans les mêmes impasses. L’Europe, puisque la Grande-Bretagne est partie, cela signifie d’abord le noyau que forment la France et l’Allemagne, plus l’Italie – l’Europe de De Gaulle et Adenauer, l’empire de Charlemagne, l’empire romain d’Occident.
Donald Trump est qualifié de nationaliste et de populiste, mais il relève aussi d’une autre logique, encore juste en train d’éclore, tout comme Emmanuel Macron. Donald Trump est assez intelligent pour le sentir, pas assez cultivé pour se l’expliquer. On peut supposer qu’il apprécie intuitivement en Macron quelqu’un qui l’aide à se rattacher au Sens, au-delà des passions et des intérêts. Car il y a plus derrière le populisme et surtout derrière Donald Trump que des regrets du passé. Il y a le travail obscur de l’Idée de l’avenir. Et c’est cette même Idée qui travaille aussi Emmanuel Macron.
D’un point de vue à la fois hégélien et machiavélien
Il est pensable que la différence de traitement entre Emmanuel Macron, reçu en premier et en grande pompe, et Angela Merkel, reçue moins longtemps et sans faste particulier, relève d’une tactique classique de division. Plusieurs disent aussi que les États-Unis soutiennent Emmanuel Macron dans son rétablissement de la France, afin de rééquilibrer une Europe devenue trop allemande, au moment où l’Allemagne manifeste une fâcheuse tendance à entrer dans les vues économiques de la Chine et à construire un nouveau pipeline pour importer du gaz russe.
Cette manœuvre, si elle existe, sera contre-productive, car l’établissement d’une quasi parité de puissance entre la France et l’Allemagne, en même temps qu’une forte solidarité, constitue probablement la principale condition de l’existence d’une Europe indépendante.
Cela n’exclut pas qu’Emmanuel Macron entre dans le jeu US pour faire pression sur Angela Merkel. Il est possible que l’action récente en Syrie ait eu pour but de rappeler à la chancelière qu’il est temps de servir aussi l’Europe et non pas seulement de s’en servir. Le sens de ce voyage est aussi d’inciter l’Allemagne à ne pas laisser passer le train.
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La référence hégélienne d’Emmanuel Macron est le signe de cette solidarité franco-allemande fondamentale. Kant et Hegel sont, politiquement, du Jean-Jacques Rousseau mis en système. La France et l’Allemagne modernes ont été inspirées par la même Idée, dans deux styles différents. Le même Hegel explique aussi que l’Idée de la Liberté moderne peut se concrétiser politiquement de deux manières, soit à la française, soit à l’américaine.
La Grande-Bretagne, aussi remarquable que soit son génie national, représente moins une Idée qu’une Vie et qu’un ensemble d’intérêts aristocratiques. Et si l’Amérique devient trop oligarchique, elle renonce à exprimer son Idée et devient une immense Grande-Bretagne.
Et d’un point de vue chrétien, qui est plus qu’un simple point de vue ?
Il faut sauver la paix mondiale et reconnaître en Dieu qui se fait Homme l’axe de l’humanisme universel de l’avenir. Plusieurs hypothèses sont plausibles concernant Macron et ces deux points. L’avenir permettra sans doute d’y voir plus clair.
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