Christophe Levalois, enseignant, prêtre orthodoxe, rédacteur en chef d’Orthodoxie.com publie aux éditions du Cerf un ouvrage clef : “Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale”. Un livre qui intéressera aussi les catholiques pour l’éclairage nouveau qu’il apporte sur le phénomène chrétien aujourd’hui.Aleteia : Votre dernier ouvrage offre une vision du christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale contemporaine. Quels sont ces grands défis selon vous ?
Christophe Levalois : Le premier défi du chrétien est de suivre le Christ en Esprit et en vérité. Il est appelé à cette vie transformatrice, qui fait « toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5), qui s’infuse par l’Esprit afin que le Christ se forme en lui (Ga 4, 19). Sans elle, on ne construit que sur du sable (Mt 7, 26). C’est là son défi principal et prioritaire qui demeure le fondement vivificateur de tout le reste. C’est un défi personnel qui s’accomplit en relation avec une communauté. Les autres défis s’inscrivent dans nos relations avec le monde (la Création) et la société humaine. Ils sont multiples, mais à la racine, au-delà des innombrables effets en cascade, on trouve toujours une question spirituelle. Le premier d’entre eux, qui ne concerne pas seulement les chrétiens, est le fait que nos sociétés contemporaines se détournent du Ciel, pas tant dans les pratiques individuelles que dans la façon dont la société se pense, s’organise et se vit. Il faut bien comprendre que le Ciel n’est pas simplement l’espace qui s’étend au-dessus de nos têtes, mais désigne notre espace intérieur dans son élévation. Les sociétés traditionnelles intégraient en résonance cette réalité au sein de leur fonctionnement politique et social. L’orientation actuelle est un fait relativement nouveau dans l’histoire, d’intensité variable selon les pays, que l’on appelle la sécularisation, laquelle oblige les croyants à repenser la relation avec la société. Cela peut désorienter et de fait désoriente beaucoup de personnes. Comment exister et s’exprimer dans cette situation relativement nouvelle au regard des millénaires qui viennent de s’écouler ? On peut en revanche observer dans cette situation que le choix d’être chrétien aujourd’hui est moins le résultat d’une détermination sociale que celui d’un désir et d’un parcours personnel. Ce qui est un effet positif. Dans le même temps, on ne peut que regretter vivement une incompréhension de certains à l’égard du christianisme quand ce n’est pas une hostilité plus ou moins ouverte, voire une haine meurtrière. Cela nous conduit à un autre défi, plus crucial que jamais : comment dialoguer authentiquement avec l’autre qui n’est pas chrétien, ne serait-ce que pour l’informer ? J’ajoute que ce dialogue est aussi indispensable entre chrétiens.
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Ces enjeux concernent tous les chrétiens. Qu’en est-il des chrétiens orthodoxes en particulier ?
Les orthodoxes ont bien sûr ces mêmes défis, mais s’ajoutent ceux d’Églises qui ont longtemps été persécutées, par les régimes communistes, ou corsetées durant des siècles par l’Empire ottoman. Elles s’ouvrent depuis pas plus d’un quart de siècle pour certaines à un dialogue avec la société contemporaine en prenant une part active aux débats au sein de celle-ci. C’est un fait récent dont il lui faut prendre toute la mesure et qu’il importe de comprendre.
Les chrétiens connaissent aussi les défis sociétaux qui nous concernent tous. Quelle réponse chrétienne est-il utile de rappeler pour les affronter ?
Oui, il y a de nombreux défis que partagent tous les êtres humains aujourd’hui : la fragmentation sociale, souvent familiale aussi, les questions d’identité qui vont de pair, l’économie qui règne en tyran, la course au profit et la marchandisation du vivant, la société du spectacle qui engendre tellement de mensonges et de souffrances, la perte du sens profond de l’existence pour beaucoup, par-delà l’utilité matérielle, une vie souvent éclatée, tourbillonnante et stressante, ce qui est un handicap pour l’approfondissement spirituel qui nécessite de se recentrer, l’inhumanité très présente et toutes les désespérances… La foi chrétienne donne de l’optimisme face à toutes les pesanteurs et toutes les épreuves, pour traverser tout ce qui doit l’être. La proclamation de Pâques est au centre de notre démarche et de notre espérance dans ce monde : « Le Christ est ressuscité des morts. Par la mort, il a vaincu la mort. À ceux qui étaient dans les tombeaux, il a donné la vie ! »
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Vous abordez dans votre ouvrage la question difficile de la laïcité : comment le monde orthodoxe l’appréhende-t-il ?
Pas de manière monolithique. Tout dépend des pays. En général, la laïcité est vue comme un principe qui permet aussi à l’Église d’être libre, ce qui est très apprécié et là aussi relativement nouveau dans l’histoire pour les Églises orthodoxes. Dans la plupart des pays où l’orthodoxie est majoritaire, il y a, bien sûr à des degrés variables et en général, l’idée qu’il doit y avoir, outre un dialogue, une collaboration de l’État et de l’Église dans certains domaines, sociaux notamment, chacun conservant sa liberté par ailleurs. Par contre, les raideurs que l’on peut parfois observer en France laissent pour le moins perplexe. Récemment, des amis orthodoxes roumains me faisaient observer qu’il y a une sorte de tabou au sein de la société française concernant la question de la foi.
Alors même que vous soulignez l’essor de l’orthodoxie en Occident, catholiques et orthodoxes s’ignorent largement. Comment ces traditions peuvent-elles se rencontrer ?
Je crois qu’en la matière la meilleure chose que l’on puisse proposer est de dire comme Philippe à Nathanaël : « Viens et vois » (Jean 1, 46). Pour le reste, le dialogue et l’écoute sont essentiels. Mais, le nombre d’orthodoxes en mesure de réaliser et d’accompagner une telle démarche en France est trop peu important pour qu’il soit répondu à toutes les possibilités de rencontres et d’actions communes.
Quel est le regard de l’orthodoxie sur l’œcuménisme ?
Il n’y a pas un regard, mais une multitude ! C’est le cas aussi bien parmi les fidèles que parmi le clergé, dans toutes les Églises. Cela va de ceux qui sont très favorables au dialogue œcuménique et espèrent sincèrement des avancées, voire une union des Églises, à ceux qui le rejettent en passant par tous les degrés intermédiaires ! C’est une question très sensible au sein de l’orthodoxie.
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Un autre aspect important de vos réflexions concerne ce que l’on pourrait appeler un « bien-être » profondément et spécifiquement chrétien. C’est une façon intéressante d’aborder la tradition, pouvez-vous nous expliquer cette intuition ?
Plus qu’un simple « bien-être », c’est un équilibre et une sagesse de vie. Je crois qu’une foi authentiquement et sereinement vécue — pas une caricature ou une foi prise comme une idéologie comme on le voit souvent aujourd’hui — augmente l’humanité dans l’être, mais amène aussi l’élargissement de sa conscience ainsi que l’accroissement de sa relation au monde et aux autres. La tradition chrétienne apporte également sur ce sujet de très nombreux enseignements, solides et profonds. C’est le cas tout d’abord des paroles du Christ, mais aussi des écrits des Pères ascètes qui montrent eux aussi une extraordinaire connaissance de l’âme humaine, de ce qui la blesse, de ce qui l’élève, des combats qu’elle mène, de ses capacités de guérison et de réception de l’Esprit. La question du pardon en est un exemple.
Nous avons évoqué la question de la communication. Qu’est-ce que le christianisme, et plus particulièrement le christianisme orthodoxe, peut apporter à notre façon de communiquer ?
C’est une vaste et passionnante question ! Pour faire vite, le christianisme peut apporter les enseignements de la Bible où il est très souvent question de communication instaurée, rompue, désirée, recherchée, renouvelée, vraie ou fausse, cela de la Genèse à l’Apocalypse. D’autre part, il y a la conception chrétienne de la personne dont on prend soin, personne envisagée dans sa triple dimension, physique, psychique et spirituelle. Elle est l’être de communication par excellence, car elle existe à la fois en relation et dans sa singularité. Au contraire, ce qui est le propre de l’individu est uniquement ce qui le distingue des autres. Aussi, la personne grandit ou est détruite par la relation, en fonction de la nature et de la qualité de celle-ci, dont la communication, sous toutes ses formes, est l’expression. Cette manière de voir les choses est au cœur de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le Christ est véritablement à cet égard le maître en communication par excellence par la communion profonde, salutaire et transformatrice qu’il établit.
Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale, Christophe Levalois, Éditions du Cerf, mars 2018, 196 pages, 18 euros.