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L’État suspend une vente aux enchères de manuscrits du Mont Saint-Michel

MANUSCRIPT MONT SAINT MICHE
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Caroline Becker - publié le 20/04/18
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Prévue le samedi 5 mai à Alençon (Orne), une vente aux enchères a été suspendue en urgence par l’État. Parmi les objets, un recueil de manuscrits du Mont Saint-Michel a retenu l’attention du Ministère de la Culture. Aujourd’hui l’État les revendique.

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Le samedi 5 mai, une vente aux enchères présentant toute une série d’objets sacrés — l’anneau de Pie X entre autres — aurait dû avoir lieu dans l’hôtel des ventes d’Alençon. Celle-ci a pourtant été suspendue en urgence par l’État qui refuse la vente d’un recueil de manuscrits précieux du XIIe, XIIIe siècles, provenant du Mont Saint-Michel, dans un très bel état de conservation. Il comprend, entre autres, des feuillets de musique et une prose en hommage à saint Aubert, fondateur de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Les amateurs de manuscrits du monde entier, nombreux à suivre cette vente, se faisaient une joie de pouvoir posséder un de ces objets, rares sur le marché.


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Une revendication justifiée ?

Prévenue de cette vente, l’État a tout de suite informé le commissaire-priseur, maître Patrice Biget, sa volonté de revendiquer les manuscrits. Contacté par Aleteia, ce dernier a fait savoir son intention de contester cette décision devant le tribunal administratif. Mais pour quelles raisons l’État revendique-t-il ces manuscrits ? Il estime que ces biens appartiennent au domaine public et met en avant le décret du 2 novembre 1789 qui ordonne la mise à disposition des biens du clergé au service de la nation. En tant qu’établissement religieux, le Mont Saint-Michel est donc concerné par ce décret.

Si aujourd’hui l’affaire est tendue, c’est parce que le commissaire-priseur estime que cette revendication n’est pas justifiée. Pour maître Biget, on peut se poser la question du réel pouvoir de l’administration en 1789 : “La spoliation des biens de l’Église, c’est une décision de la convention nationale qui n’était pas au nom du peuple français. À l’époque, le peuple français était partagé entre ceux qui étaient d’accord avec le roi et ceux qui ne l’étaient pas. En 1789, le roi Louis XVI était encore au pouvoir et il n’avait pas approuvé cette spoliation des biens de l’Église. Il y a donc un vrai problème de légitimité”.


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Au-delà de la question de la légitimité, “l’État n’apporte pas de preuves de sa propriété”, selon maître Biget. Si ces manuscrits ont bien été réalisés au Mont Saint-Michel, les avis divergent concernant leur présence au Mont lors de la Révolution. Pour maître Biget, les manuscrits ne se trouvaient déjà plus dans l’abbaye à cette période. Lors de deux inventaires effectués après la Révolution — dont le premier en 1795 — les ouvrages étaient tamponnés, comme c’est le cas pour les manuscrits aujourd’hui conservés au scriptorial d’Avranches. “On a la quasi-certitude que le manuscrit a quitté le Mont avant cette date là”, précise maître Biget. De plus, selon les informations du propriétaire, ces manuscrits — qui appartiennent à sa famille depuis des générations — auraient très certainement été offerts par un moine du Mont à ses ancêtres.

Interrogé par Aleteia, le Ministère de la Culture affirme que les manuscrits étaient bien présents : “Un travail minutieux d’expertise a été mené sur le parcours des manuscrits médiévaux. Il ressort de ces recherches précises et circonstanciées que ces manuscrits, provenant originellement de la bibliothèque de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, se trouvait au dépôt littéraire d’Avranches en 1795. En atteste le fait qu’ils figurent bien sur le catalogue des livres en dépôt à l’administration du district d’Avranches, datant de cette même année. Ils ont donc été vraisemblablement subtilisés, à une date ultérieure inconnue. Leur propriété publique est donc manifeste. Ils sont inaliénables et imprescriptibles et ne peuvent faire l’objet d’une vente aux enchères.” Maître Biget conteste ces affirmations et déclare que ce recueil a certainement dû être inventorié par les commissaires révolutionnaires sans vérification — à l’aide d’une liste plus ancienne — comme semble en témoigner l’absence de cachets ou de cote pouvant le rattacher au catalogue.

Un marché de l’art craintif

Pour maître Biget, ce type d’affaire est assez récente. “Depuis quelques années le ministère de la Culture a totalement changé sa manière d’opérer et revendique des biens en s’appuyant sur des arguments historiques qui sont très flous. Autant la loi de 1905 est très claire, elle a été votée par le Parlement au nom du peuple français, elle est donc imparable. On peut en contester la philosophie si on le souhaite, mais on ne peut pas contester sa légalité. Pour le décret de 1789, c’est un très grand flou”, estime maître Biget. Néanmoins l’an dernier, la justice a eu à se prononcer sur une affaire comparable et a fait mention dans ses attendus du fameux décret.

En règle général, l’État fait jouer son droit de préemption sur certains objets considérés comme “trésors nationaux” et s’engage à réunir la somme pour l’acquérir. Pour maître Biget, l’État, tente, ici, de récupérer un objet gratuitement. Il craint que ce type de méthode refroidisse les vendeurs qui décideront, désormais, de vendre leurs objets à l’étranger au risque de se voir déposséder de leur acquisition. Les conservateurs de musées s’inquiètent également de ces méthodes qu’ils jugent risquées pour le patrimoine français. Si les vendeurs préfèrent vendre à l’étranger, l’État ne pourra plus faire préemption sur des objets de grandes valeurs patrimoniales.

L’État n’en est pas à sa première affaire. Deux dossiers de ce type sont actuellement en cours et concernent, notamment, le jubé de Chartres — actuellement devant la Cour européenne de Justice — et un des pleurants du tombeau du duc de Bourgogne conservé au Louvre.

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