Qu’il soit permis de revenir sur le long et beau discours prononcé lundi soir 9 avril par le président de la République reçu au Collège des Bernardins par la Conférence des évêques de France et d’y répondre.Les catholiques ne peuvent être que sensibles à l’affirmation d’Emmanuel Macron qu’ils ont leur place dans la société française. Non seulement en raison de l’histoire, où ils ont incontestablement participé au développement de l’identité nationale, ce qui leur donne des droits déjà reconnus par Nicolas Sarkozy dans son allocution au Latran en décembre 2017. Mais encore et surtout – et c’est là un pas de plus – parce que « la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation ».
On ne peut également que souscrire à l’analyse que, depuis plus d’un siècle, « le politique s’est ingénié soit à instrumentaliser, soit à ignorer » les catholiques, alors qu’ils sont porteurs de « questions pour nous tous, pour toute la nation, pour notre humanité toute entière ». C’est pourquoi, a dit le président, le « lien abîmé » entre l’Église et l’État doit être « réparé ».
Au service de la société
Dans cette perspective, il a signalé deux domaines où il attend que les catholiques continuent d’intervenir : d’une part « la protection des plus faibles » et même l’accompagnement de toutes les souffrances par les associations caritatives et aussi par les prêtres « dans un moment de grande fragilité sociale » ; d’autre part les grands débats comme ceux autour des migrants, de la bioéthique, de l’évolution des mœurs et du dérèglement climatique. Les croyants auraient tort de craindre d’y être « intempestifs » et de faire entendre une « voix qui sait dire ce qui fâche ».
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Ce qui peut faire lever un sourcil et froncer l’autre n’est pas qu’Emmanuel Macron ait aussitôt ajouté que l’Église ne pouvait pas s’attendre à ce que ses « recommandations » soient reçues comme « injonctives » et donc s’imposent. Les catholiques convaincus qu’une des originalités de leur foi est de promouvoir l’« autonomie du temporel » n’entendent certainement pas dicter les lois, même s’ils ne peuvent taire leurs désaccords.
Tension entre les principes et le réel
Non, ce qui dérange et est sans doute plus audacieux que la distance marquée par rapport à un laïcisme intransigeant, c’est l’image de la foi qu’a proposée le président de la République. « Notre échange, a-t-il dit, doit se fonder non sur la solidité de certaines certitudes, mais sur la fragilité de ce qui nous interroge, et parfois nous désempare ». Il a insisté sur « la tension entre les principes et le réel » que connaissent, a-t-il soutenu, aussi bien les croyants que les incroyants comme lui.
Avec une sincérité assurément respectable, il a indiqué à quel point les problèmes à affronter remettent en cause les convictions et les acquis, obligeant à rechercher des équilibres qui ne peuvent être que précaires. Mais la question est de savoir jusqu’à quel point les fidèles du Christ vivent eux aussi dans une crise perpétuelle. Le contraste entre le Vendredi Saint et le matin de Pâques, entre les épreuves et la joie, est-il le même qu’entre les transgressions qui deviennent techniquement possibles et un idéal humaniste ?
Quelle incertitude ?
« Notre échange…, nous interroge… nous désempare… » : l’emploi du « nous » suggère une proximité. Celle-ci est renforcée par la remarque que l’« horizon du salut a certes totalement disparu de l’ordinaire des sociétés contemporaines, mais c’est un tort et l’on voit à bien à des signes qu’il demeure enfoui ». On se félicitera d’entendre un président de la République déclarer que « l’Église n’est pas à mes yeux cette instance que trop souvent on caricature en gardienne des bonnes mœurs ». Cependant, lorsqu’il précise dans la foulée qu’« elle est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas », le chrétien doit répondre que son incertitude ne porte pas sur le salut qui lui est offert comme à tous, mais sur sa propre disponibilité pour le recevoir en le partageant.
Cette fragilité, Monsieur le Président, focalise le doute sur soi-même et non sur Dieu. La lucidité qui la fait découvrir est une grâce qui n’inspire pas moins l’espérance et la confiance que l’humilité.
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