Alexandre Dianine-Havard, auteur prolifique sur le concept de leadership vertueux, détaille pour Aleteia ce qu’il considère comme les qualités d’un bon leader. Il encourage vivement à pratiquer certaines vertus afin de devenir un leader au service de l’homme et de l’humanité. Le monde en a besoin.D’origine française, russe et géorgienne, Alexandre Dianine-Havard a écrit plusieurs ouvrages sur le leadership. Le leadership comme idéal de vie (2011) et Manuel pratique du leader vertueux (2017) ont été traduits en une vingtaine de langues. Diplômé en droit de l’Université René Descartes (Paris V), il a exercé comme avocat à Strasbourg et à Helsinki. Depuis 2007, il vit et travaille à Moscou.
Aleteia : Comment est né le concept de Leadership Vertueux que vous avez élaboré à travers vos ouvrages et vos instituts dédiés ?
Alexandre Dianine-Havard : Le leadership vertueux est né d’un constat : la crise du monde moderne est une crise de la magnanimité, une crise de la grandeur. Le consumérisme et le relativisme moral produisent des générations de pusillanimes : des êtres sans passé, sans peuple, sans famille, sans Dieu et sans nature. Nous devons mettre un frein à ce processus de zombification de l’être humain. Nous devons regarder en haut, lever nos têtes, affirmer notre dignité et découvrir la grandeur pour laquelle nous avons été créés. Notre mission est de faire surgir dans les cœurs la flamme de la grandeur, de former une nouvelle génération de leaders appelés à transformer la vie, le business et la culture, de répandre une vision du leadership qui réponde aux aspirations les plus nobles et les plus profondes du cœur humain.
Quelle différence y-a-il entre un manager et un leader ?
Grandir en faisant grandir les autres, voilà ce qu’est le leadership. Le manager fait avancer les choses, tandis que le leader fait avancer les hommes. En élevant les autres, le leader s’élève lui-même. La vraie grandeur, c’est la croissance des hommes, et non la conquête d’un empire. Le leadership n’est pas une question de rang ou de hiérarchie : c’est une disposition de l’être. Le leadership n’est pas réservé à une élite : c’est la vocation de la multitude.
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Naît-on avec une personnalité de leader, ou cela s’acquiert-il ?
Le leadership est une question de caractère (qui relève de la spiritualité, de la liberté, de la croissance), et non de tempérament (qui relève de la biologie, du conditionnement, de l’épuisement). On ne naît pas leader, on le devient. On dit souvent que le colérique est né leader. En fait, le colérique a du mal à pratiquer différents aspects de l’humilité, en particulier le service de l’autre. Il pousse plus facilement qu’il ne tire, il commande plus facilement qu’il n’inspire, il contrôle plus facilement qu’il n’enseigne. Il exerce le pouvoir plus facilement qu’il ne donne à ceux qu’il dirige la capacité de se responsabiliser et de s’accomplir. Il n’aime pas déléguer, parce qu’il est convaincu qu’il fait les choses mieux et plus vite que les autres, et parce qu’il jouit de sa propre activité. Le colérique est un bon manager, mais s’il n’apprend pas à servir les personnes qu’il dirige, il sera un très mauvais leader.
Jeanne d’Arc fut une colérique humble. Elle fut un manager efficace (elle chassa les Anglais de France), mais elle fut surtout un leader extraordinaire : une éducatrice et une inspiratrice de premier ordre. Elle suscita la grandeur chez ses soldats, transforma le cœur de plusieurs millions de ses concitoyens, provoqua le renouveau spirituel de toute une nation. Jeanne est née manager, mais elle devint leader par la pratique des vertus.
Quelles sont ces vertus à pratiquer pour devenir un bon leader ?
Les vertus de prudence (sagesse pratique), courage, maîtrise de soi et justice, qui sont principalement des vertus de l’intelligence et de la volonté, constituent les fondements du leadership. La magnanimité et l’humilité, qui sont principalement des vertus du cœur, constituent l’essence du leadership.
La magnanimité, l’habitude de tendre vers de grandes choses, est la première vertu spécifique des leaders. Les leaders sont magnanimes dans la vision qu’ils ont d’eux-mêmes ; dans leurs rêves et leurs missions ; dans la confiance, l’enthousiasme, l’espérance et l’audace ; dans leur aptitude à utiliser les moyens proportionnés à leurs buts ; dans leur capacité à fixer des objectifs personnels élevés pour eux-mêmes et ceux qui les entourent.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Martin Luther King fut un grand magnanime. Il fut à la fois un philosophe et un homme d’action. Il nous dit que le leadership commence par un rêve. Dans son discours « I Have a Dream » qui est probablement le plus fameux discours du XXe siècle, il dépeint son rêve de justice et de liberté qui devrait devenir un jour réalité sur une terre d’esclavage et de haine. Le leader est un rêveur qui transforme son rêve en action. Le rêve du pusillanime est un fantasme. Le rêve du magnanime est dirigé vers l’action. Le magnanime ne craint pas l’erreur, il craint l’absence d’action. En 1963 King écrit : « Depuis des années maintenant j’entends le mot “Attends ! ”. Il résonne aux oreilles de tous les noirs avec une familiarité perçante. Cet “Attends !” veut presque toujours dire “Jamais”. »
Martin Luther King nous communique un message très important : pour le magnanime, le mal ce n’est pas le mal que font les autres, c’est le bien que lui, personnellement, ne fait pas. Avoir laissé passer l’occasion, ne pas avoir entrepris par peur ou par paresse, voilà ce qui fait souffrir plus que tout un esprit magnanime.
Quelle est la seconde vertu essentielle d’un leader ?
L’humilité fraternelle, l’habitude de servir les autres, est la seconde vertu spécifique des leaders. Pour un leader, pratiquer l’humilité, c’est tirer en avant plutôt que pousser, inspirer plutôt que commander, enseigner plutôt que contrôler. Pratiquer l’humilité, c’est donner à ceux qu’on dirige la capacité de se réaliser eux-mêmes et d’atteindre la grandeur. Le leader délègue du pouvoir, non pas parce qu’il n’a pas le temps de tout faire lui-même, mais parce qu’il veut que ses subordonnés grandissent (tu grandis facilement quand tu participes au processus de prise de décision). Le leader promeut ses hommes, plus que lui-même, il ne se rend pas indispensable, il assure sa succession.
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Pensez-vous à quelqu’un en particulier ?
Édouard Michelin, fondateur de la Compagnie Michelin, pratiquait l’humilité fraternelle. Lorsque dans les années 1930 Marius Mignol, un ouvrier typographe sans formation intellectuelle, fut embauché, on l’envoya à l’imprimerie de la manufacture. Édouard s’adressa alors au chef du personnel en ces termes : « Ne t’arrête pas aux apparences. Souviens-toi qu’il est nécessaire de casser la pierre pour y trouver le diamant caché à l’intérieur. » Mignol fut alors nommé au service commercial chargé des marchés d’exportation. C’est là qu’un jour Michelin remarqua une curieuse règle à calcul sur sa table. Mignol l’avait conçue pour convertir plus rapidement les devises. Michelin s’écria : « Cet homme est un génie ! ». Mignol s’avéra être un homme d’une imagination extraordinaire. On le muta donc au service de recherche, à un moment où le pneu conventionnel avait atteint ses limites en raison de son échauffement à grande vitesse. Pour étudier les flux de chaleur dans un pneu, Mignol imagina la « cage à mouche », un pneu dont les flancs étaient remplacés par des câbles métalliques radiaux et très espacés. Le pneu « radial » qui résulta de ces recherches (1941) se révéla révolutionnaire. Il gagna les marchés européens et asiatiques dans les années 1950, et le marché américain dans les années 1970. Michelin est aujourd’hui le numéro 1 mondial du pneumatique. Pour Marius Mignol, Édouard Michelin fut plus qu’un patron. Il fut son mentor, son éducateur, son père. Édouard le boss devint Édouard le serviteur. Il aida Marius à découvrir son talent et à le mettre au service de la compagnie, du pays, du monde entier.
Manuel pratique du leader vertueux, Alexandre Dianine-Havard, éditions Le Laurier, juillet 2017, 69 pages, 6 euros.