Une des plus grandes figures féminines du Nouveau Testament, témoin de la Résurrection du Christ, s’offre le premier rôle dans un biopic teinté de fiction. Au cinéma le 28 mars prochain, Marie-Madeleine y est vue comme une femme avant tout disciple, sans l’ombre d’un péché.
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Au-delà du jeu tout en retenue, profond et inspirant de l’actrice oscarisée Rooney Mara (Song to song de Terrence Malick, Carol de Todd Haynes ou encore Millenium de David Fincher), ce film est immanquablement un hommage à la femme et, sous couvert de fiction, rend compte d’une réalité sociologique peu exploitée au cinéma auparavant. Marie-Madeleine, et toutes les femmes avec elle, est réhabilitée dans ce deuxième long-métrage du jeune réalisateur australien Garth Davis. Paradoxe ou justice, ce film est une coproduction de la Weinstein Company et nous emmène sur les bords du Jourdain et les traces du Christ jusqu’à sa mort, pendant deux heures, avec de belles images captées en Sicile et en Italie.
Un casting pointu, atypique et libre
À la hauteur de son ambition, soucieux de qualité, il a dirigé pour ce film un casting de haut vol et nous permet de voir Joaquin Phoenix en Jésus, étonnant et renouvelé, malgré tout moins bouleversant que Jim Caviezel dans la Passion du Christ de Mel Gibson pour le même rôle. Il brise et sublime à la fois le côté iconique du Christ, impose sa présence et sa sensibilité si juste. Tahar Rahim y incarne un Judas touchant, selon la vision du réalisateur, c’est-à-dire un peu différent du personnage décrit par les Écritures ou de celui que l’on nous avait présenté jusque là. On trouve encore Denis Ménochet, vu récemment dans Jusqu’à la garde, en Daniel, frère autoritaire et protecteur de Marie-Madeleine. Le jeu des acteurs doit son authenticité à une volonté du réalisateur de les laisser improviser, ce qu’ils ont fait avec brio. À plus d’un titre, le réalisateur prend des libertés dans la tonalité du film, mais celui-ci gagne largement sa place dans la catégorie des films bibliques.
Si le parti pris du réalisateur peut paraître un peu trop marqué, à cause d’une Marie-Madeleine parfois plus charismatique que Jésus, et plus douée de compréhension spirituelle que les autres disciples, il n’en est pas moins qu’il a le mérite de répondre à un besoin urgent de rendre à la femme un statut moins précaire. Ils se comprennent mutuellement, sans artifice, dans leur humanité et leur différence respective. C’est une magnifique relation de confiance, de respect et de complémentarité ; une rencontre silencieuse, évidente, révélée par une mise en scène intuitive.
Marie-Madeleine restituée dans son époque
Marie de Magdala, plus connue comme la prostituée qui a suivi le Christ, et qu’il a libérée de sept démons, est présentée à travers les derniers décrets de l’Église, récents de 2016, où la mention de sa vie de pécheresse a été écartée et même démentie définitivement grâce au pape François. À l’en croire, sa réputation n’est dûe qu’à son refus de se marier et d’enfanter, à plusieurs reprises, d’avoir décidé de suivre un groupe masculin et de s’être faite baptiser par un homme qui n’était pas issu de sa famille. Voilà les démons dont on l’accuse d’être possédée.
La femme juive, à cette époque, n’avait ni le droit de prier en dehors des cultes ni celui de décider pour elle-même des moindres choix de sa vie, en somme, son esprit ne lui appartenait pas et l’on avait droit de vie et de mort sur elle. Aujourd’hui encore, combien de femmes souffrent de cette diminution sociale, combien sont sous-payées ou exploitées, combien n’ont aucune reconnaissance pour leur courage d’accepter moins, de tout donner et de se contenter du rôle qu’on veut bien leur donner ?
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Marie-Madeleine, et bien plus Jésus-Christ avec elle, était à l’avant-garde de cette nécessité de rendre à la femme une place, un rôle, une reconnaissance, sinon égale, en tout cas pas moins importante que celui d’un homme. Garth Davis a visiblement eu à coeur de dire cette force du féminin incarnée par la première disciple du Christ, trop longtemps bafouée dans sa dignité par des supputations faiblement fondées, et au sein même d’une institution sensible à la cause des femmes. C’est un tour de force qu’il présente, une ode à la réalité aussi. Quand la mère du Christ confie à la jeune disciple de son fils “qu’Il faisait toujours tout de travers quand Il était enfant”, c’est la mère terrestre qui parle, et dont on a oublié qu’elle avait pu exister en dehors de son rôle éminemment spirituel et ô combien douloureux.
À aucun moment Rooney Mara ne paraît séductrice, par sa finesse de jeu elle rend hommage au personnage dont elle revêt à la fois le mystère, la détermination et la liberté. Aucune mention aussi des évangiles apocryphes, sur lesquels Garth Davis ne s’est pas appuyé, où Marie-Madeleine est présentée comme l’épouse du Christ. Elle complète ici le rôle de Pierre, corps de l’Église, pour en révéler l’esprit. Pour cette raison, Jésus les envoie tous deux au désert, les sachant différents mais indissociables.
Où donc se trouve le Royaume des Cieux?
Reste à déplorer le doute parfois trop présent dans la foi des disciples, Pierre et Judas notamment, mais à plonger ainsi dans l’Histoire le réalisateur a voulu saisir la vérité de l’instant, parfois bien humaine, et celle de la raison réelle qui les a poussés à suivre le Christ. Cela a au moins le mérite de se substituer à des propos trop didactiques et dénués de vraisemblance. Ils veulent encore des preuves, espèrent le Royaume des cieux dont Il leur parle tant, sans comprendre qu’Il fait référence à une réalité invisible, impalpable et qui ne saurait s’apparenter à de la magie. Ils espèrent, entre autres choses, que le peuple soit sauvé, délivré de la pauvreté et de la famine. En ce sens, le réalisateur et les acteurs, dans leur interprétation, ont fourni un formidable travail au niveau de la construction des personnages pour se les approprier. Cependant, ce long-métrage reste une fiction et l’on ne retrouve pas toute l’authenticité des Écritures, notamment dans les dialogues. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt du film. La fiction sublime ici le quotidien ou ce qui a été ignoré, tout en simplicité.
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L’accent est mis sur la place de Marie-Madeleine parmi les disciples, pour laquelle il fallait réussir à s’abstraire de l’imaginaire collectif. Quant à Jésus, Joaquin Phoenix l’incarne avec fragilité, comme si le fils de Dieu n’avait en fait de divinité que sa mission, ses intuitions, son âme unique et non la force d’un guerrier. Il enseigne, guérit, sauve, dès qu’Il le peut, avec toute l’humilité qui est la sienne. Et sa vulnérabilité n’est qu’à l’image de la nôtre et de tout ce que les êtres lui font porter. Jésus n’est pas ici un homme inébranlable et insensible, il est humain. Mais ses pensées sont toutes à Son Père, qu’Il apprend à prier à ses disciples.
Marie-Madeleine enfin, c’est la femme complémentaire par excellence, non pas l’égal de l’homme, mais la femme pour elle-même, respectable, qui prend tout son sens dans son rapport à l’homme, dans son rôle, parfois caché, moins reconnu mais essentiel, qu’aucun homme ne saurait revêtir, tout comme la femme ne pourrait prétendre pouvoir tenir celui d’un homme dans sa singularité. Elle comprend que l’amour et la compassion sont les outils de transformation intérieure et sociale, les clés du Royaume.
En ce sens, Garth Davis ne manque pas de rappeler l’appel du Christ à chacun de ses disciples : “Quitte tout et suis-moi”. Il nous livre un beau film sur la compréhension de ce qu’est le Royaume des Cieux, dont le pari était de rendre à la spiritualité son message essentiel : la force ne réside qu’en notre propre coeur et le monde ne changera qu’à condition que chacun progresse en son for intérieur. Cette œuvre du cinéma ne prétend pas transformer ni bouleverser, elle se contente de dire : “Écoutez, puis cherchez”.