Dans une biographie fouillée et passionnante, Jérôme Ferenbach fait revivre la personnalité hors du commun du bienheureux évêque Clemens August von Galen : l’occasion de découvrir l’opposant le plus farouche de Hitler, qui attaqua dans ses sermons l’idéologie nazie du culte de la race et de l’eugénisme.Déclaré bienheureux en 2005 par le pape Benoit XVI, l’évêque Clemens August von Galen a été l’évêque qui a sauvé l’honneur de l’Allemagne et de l’Église pendant les années les plus douloureuses qu’a pu connaître l’Europe. Jérôme Fehrenbach détaille dans son ouvrage les raisons qui ont permis au bienheureux Clemens August von Galen de s’engager de manière aussi claire contre la barbarie nazie. On se souvient du très beau livre de Guillaume Zeller, La baraque des prêtres. Dachau 1938-1945, qui évoquait il y a quelques temps ces prêtres opposés au nazisme et déportés à Dachau.
Une certaine idée de la noblesse
Selon Jérôme Fehrenbach, le milieu d’origine de cet homme qui a défié l’État nazi a joué un rôle primordial. La noblesse westphalienne à laquelle il appartenait vivait sa noblesse essentiellement comme une mission de service et une somme de devoirs à accomplir. C’était une noblesse catholique opposée à l’autoritarisme prussien et très attachée à la défense de la liberté de l’Église dans une optique de don total pour le Christ. C’est une vision de la noblesse que l’on retrouve dans la locution “noblesse oblige” et qui est marquée en Allemagne par la différence entre les termes Adlige (le noble de naissance) et Edelmann (l’homme qui agit avec noblesse). Le biographe explique :
“Clemens August fait immédiatement le lien entre l’appartenance aristocratique et la noblesse du coeur et de l’esprit. Sa démarche intellectuelle est facilitée par la langue allemande. Celle-ci opère avec deux outils sémantiques : le noble en tant que représentant d’une caste sociale bien identifié (der Adlige) et le noble comme personnage vertueux, d’essence différente, tissé dans une étoffe de grand prix (der Edelmann). Le préfixe Edel est celui que l’on retrouve dans le mot pierre précieuse — Edelstein. Il n’y a pas de contradiction entre ces deux définitions, qui se superposent dans des registres différents. La distinction subite entre le monde des apparences sociales et celui de l’intériorité noble que propose la langue germanique n’existe pas au même degré dans le vocabulaire français. On ne s’étonnera pas que Clemens August préfère le terme Edelmann à celui de Adlige.”
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La noblesse, pour le bienheureux Clemens August, impliquait la nécessité de se sacrifier et de se donner tout en entier pour le Christ. En cela, elle rejoignait la vocation chrétienne par excellence. Il y avait donc une véritable harmonie entre sa foi catholique et sa position sociale. C’était une vision partagée par toute sa famille. La vocation religieuse par exemple y était prise très au sérieux. C’était tout un milieu qui ressentait ainsi une responsabilité à la fois politique et mystique envers son pays comme envers l’Église.
La contemplation au service de l’action
Homme de prière et d’une profonde intériorité, le bienheureux Clemens August était, comme le montre Jérôme Fehrenbach, profondément préoccupé par la vie de son pays, de ses concitoyens et de ses coreligionnaires. Ce sentiment de responsabilité caractéristique lui donnait une grande attention à la vie de la société allemande, notamment dans les années tourmentées qu’elle a connues sous le nazisme. Jérôme Fehrenbach décrit comment celui que l’on surnommait “le lion de Münster” fut tour à tour un apôtre, un combattant et un défenseur de la foi, de l’honneur de l’Église et surtout des plus fragiles.
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De nombreux documents privés, sa correspondance, ses mémoires, révèlent toute l’action que déploya cet homme profondément nourri par la contemplation et la prière. C’est grâce à sa détermination qu’Hitler interrompt en 1941 l’extermination des handicapés et les euthanasies massives mises en oeuvre en vue “d’épurer la race allemande”.
Une peinture des catholiques allemands sous le nazisme
Jérôme Fehrenbach montre avec une grande acuité ce qui séparait la tradition catholique allemande de l’idéologie nazie. Les catholiques allemands, fidèles à leurs convictions et soudés derrière leurs évêques, apparaissent comme une population dissidente. C’était d’ailleurs la partie de la population qui avait le moins voté pour le parti NSDAP avant l’accession d’Hitler à la chancellerie et la mise en place de la dictature nazie. Le bienheureux Clemens August von Galen apparaît ainsi tout simplement comme un catholique cohérent et dont la cohérence même en fait un opposant résolu au nazisme. Il rejette dans le nazisme tout ce qui nie le caractère sacré de la personne.
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En effet, c’est en niant le caractère sacré de la personne que l’on nie son éminente dignité d’enfant de Dieu créé à son image. Sont alors rendues possibles toutes les dérives envers le genre humain, que ce soit l’euthanasie massive et forcée des handicapés ou l’extermination des êtres de prétendue “race inférieure”. En cela, le bienheureux Clemens August von Galen apparaît comme un opposant à la brutalité nazie, mais aussi à l’eugénisme et au règne de la loi du plus fort. C’est peut-être là toute son actualité : si l’on ne vit plus sous le nazisme, le caractère sacré de la vie humaine est encore nié de bien des manières, notamment par l’obsession écrasante de la performance, puisque ceux qui ne sont pas jugés aptes à soutenir cette lutte incessante sont considérés comme indignes de vivre. Il ne reste plus qu’à souhaiter les faire “mourir dans la dignité”. Ainsi, dans un contexte totalement différent du sien, le bienheureux Clemens August von Galen peut nous éclairer alors que ressurgit bien des années après et pour de toutes autres raisons, le phénomène de l’euthanasie des handicapés.
Von Galen. Un évêque contre Hitler, de Jérôme Fehrenbach, Éditions du Cerf, 418 pages, 26 euros.