Evêque chaldéen d’Alep, l’un des fiefs chrétiens les plus anciens de Syrie, Mgr Antoine Audo s’est mis au service des Syriens pendant les six années de guerre, en tant que président de la Caritas. Aujourd’hui, il veut continuer à servir son pays.
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Aleteia : L’Eglise chaldéenne fait partie de ces Eglises catholiques orientales, durement persécutées, en Syrie et en Irak. Ses représentants étaient reçus en audience par le pape le 5 février 2018, à l’occasion de leur visite ad limina. Pendant votre entrevue avec le Souverain pontife, de quoi a-t-il été question ?
Mgr Antoine Audo : Nous avons abordé de nombreux défis, nous avons exposé les souffrances et les difficultés. Il a bien entendu été beaucoup question du monde arabo-musulman: ses gestations et les réponses que nous devions y apporter. Et bien-sûr, de la question de Daech. Nous avons vraiment été frappés de constater à quel point le Souverain pontife était au courant de toutes ces questions. Il suit les choses de très près.
Comment s’est passé votre échange ?
J’ai été vraiment frappé par son écoute et sa proximité. A un moment donné, notre Patriarche a trouvé que nous avions déjà passé un bon moment avec lui. Il a alors commencé à remercier le Saint-Père afin que nous retirions. D’habitude, c’est le pape qui se lève et qui expédie les gens. Mais le pape François a répondu : “Si vous avez encore des questions à me poser, prenez votre temps, rien ne me presse”. C’est assez frappant cette disponibilité, cette écoute. Ce qui m’a le plus touché, c’est son langage de vérité : il n’a pas de langue de bois, et ne s’entoure pas de protocole ni d’interdits. Il s’exprime comme il le pense, sans détour et sans peur d’aborder les problèmes. C’est vraiment une grande nouveauté pour un pontife romain.
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Vous a-t-il confié son désir de venir, notamment en Syrie et en Irak ?
Les Irakiens lui ont déclaré qu’ils aimeraient qu’il vienne en Irak. Un évêque lui a même affirmé que tous les pays du Moyen-Orient ont été visités par un pape, à l’exception de l’Irak ! A l’exemple de Jean-Paul II, venu chez nous, en Syrie, à Damas. Je ne l’ai pas invité en Syrie parce que je crois que pour le moment, la priorité est à l’Irak et qu’il est trop difficile pour lui de venir, même s’il en a le désir. Mais c’est une question de sécurité, dans un contexte de guerre.
Si la situation s’améliorait, dans quelles villes pourrait-il se rendre ?
A Damas, en premier lieu, comme l’avait fait Jean Paul II en 2001. C’est la capitale, c’est saint Paul. C’est aussi là qu’il y a le plus de chrétiens actuellement. Quand le pape polonais est venu, nous avions aussi l’espoir qu’il vienne à Alep car c’est une ville qui possède une présence chrétienne très ancienne. Mais cela n’a pas abouti, car il y avait trop de menaces sur sa sécurité. Traditionnellement, c’est à Alep qu’il y avait la plus forte concentration de chrétiens. Avec ses communautés et son histoire, la présence d’églises et d’évêques. Mais depuis l’indépendance de la Syrie, en 1946, et jusqu’à maintenant, il y a eu un appel d’air vers Damas, comme c’est d’ailleurs arrivé pour Bagdad, avec les chaldéens venus du nord. Les universités de la capitale attirent, ainsi que le travail.
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Au terme de la guerre, peut-on affirmer que Daech l’Etat islamique a définitivement été vaincu ?
Le 15 mars 2018, cela fera sept ans. Ces derniers temps, nous avons eu plusieurs rencontres dans différents dicastères à Rome. Au cours de l’une d’entre-elles, j’ai été frappé d’entendre un diplomate affirmer que d’un côté Daech avait été vaincu, mais que de l’autre, cela ne voulait pas dire que le fondamentalisme musulman était vaincu. Il va peut-être ressurgir d’une autre manière car il existe d’autres tendances extrémistes de l’Islam.
Est-il encore possible en Syrie de témoigner de sa foi chrétienne ?
Oui, je le crois. On l’a beaucoup fait pendant la guerre. J’étais président de Caritas-Syrie pendant six ans. Je crois que l’un des bienfaits de cette guerre c’est que beaucoup de musulmans ont découvert la charité authentique des chrétiens. Et ils le reconnaissent.
Des relations pacifiques ont été possibles entre chrétiens et musulmans dans ce pays. Est-ce encore le cas aujourd’hui dans votre pays?
D’un côté, les musulmans ont un meilleur regard sur nous. Il s’est approfondi. Les musulmans ont découvert chez les chrétiens des citoyens de qualité : des gens qui ne vendent pas leur pays, qui sont désintéressés. Les chrétiens n’ont pas exploité cette guerre comme d’autres ont pu le faire fait comme Daech, Al-Nosra, et tous ces extrémistes. Malheureusement, d’un autre côté, une partie des chrétiens ont été déçus, horrifiés même par le comportement de ces extrémistes. On s’attendait à tout sauf à ce niveau de violence, à cette destruction, pour de bas intérêts. Les chrétiens ont été déçus, mais les musulmans admirent davantage les chrétiens. C’est paradoxal, mais c’est la réalité. Il va falloir reconstruire cette confiance.
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Le dialogue interreligieux existe-t-il encore en Syrie ?
Le dialogue interreligieux n’existe pas sous sa forme occidentale. Nous distinguons plusieurs niveaux de dialogue. En premier lieu, le dialogue de vie : on vit ensemble, à l’école, à l’université. C’est du bon voisinage, de la mixité. On est ami : on se rend visite, on s’entraide. Mais le plus difficile, c’est le dialogue théologique, dogmatique. Et celui-là, à mon sens, il ne faut pas forcément l’éviter, mais il vaut mieux le laisser aux spécialistes. Sinon, cela ne sert à rien et l’on tombe dans du superficiel, dans de l’ironie voire de l’agressivité. Nous encourageons davantage le dialogue de vie, le développement de la bonne entente amicale, le respect mutuel, tout en étant vrai, en disant la vérité, en étant sincère avec son interlocuteur.
Il y a quelques jours, une messe a été célébrée dans une église ravagée à Deir Ezzor. C’est l’espoir qui revient ?
C’est très symbolique de célébrer des messes dans de tels endroits. A Deir-Ezzor, nous avions une petite présence chaldéenne, une cinquantaine de familles. Avant les événements, j’y allais chaque année pour une visite pastorale. Aujourd’hui, il ne reste plus rien, tous sont partis. A Alep, autre exemple, il y a une église – la cathédrale des maronites – entièrement saccagée. J’ai été invité par les maronites à y prier avec eux. Notre patriarche retourne de temps à autres dans la plaine de Ninive pour des célébrations dans les églises détruites. Ce sont des gestes d’espérance pour dire que nous voulons rester malgré les difficultés. Quant à notre cathédrale, à Alep, qui se trouve à côté d’une grande mosquée, elle a été épargnée du fait de sa position. Mais beaucoup de familles et de jeunes sont partis. Cela aussi, c’est une destruction, c’est une souffrance.
Les chrétiens sont-ils désormais plus désireux de s’engager davantage en politique ? Sont-ils les bienvenus ?
Les chrétiens continuent à s’engager, ils sont toujours honorés de pouvoir servir et mettre leurs compétences au service du pays. Bachar al Assad a nommé cinq chrétiens à des postes très importants, en particulier les ministères de l’Enseignement supérieur, de la Santé, ou de l’Économie. Traditionnellement, il en y avait toujours eu trois ou quatre à ces postes-là. Depuis les évènements, ils sont maintenant cinq ! Le nouveau président du Parlement est également chrétien. C’est un vrai message politique.
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Votre conviction pour l’avenir ?
Tout d’abord, la présence chrétienne en Syrie et au Moyen-Orient est très précieuse. Aussi bien pour les chrétiens d’Orient que pour l’Eglise universelle. C’est ici le berceau du christianisme. Ensuite, pour moi, les chrétiens du Moyen-Orient, ces chrétiens arabophones, témoignent d’une grande capacité à dialoguer, à réfléchir. Comme le souligne le pape François, nous ne pouvons pas imaginer le Moyen-Orient sans la présence des chrétiens d’Orient. Et je continuerai à servir l’Eglise pour leur donner.