Agrégé de philosophie, Frédéric Laupies enseigne en classes préparatoires aux grandes écoles. Il a récemment dispensé deux conférences à l’université pontificale Sainte-Croix. Leurs thèmes ? “Vérité et liberté, examen d’une possible contradiction” et “L’homme et ses pouvoirs: les ambiguïtés de l’humanisme”. Deux sujets qui mettent en lumière les différents défis moraux qui se posent quotidiennement aux décideurs.Quel est l’intérêt d’enseigner la philosophie à des décideurs ? Est-il pertinent d’aborder une telle discipline dans un court laps de temps.
Le but est avant tout de permettre à chacun d’expliciter les principes implicites qu’il a en lui. Dans le domaine de l’action, il y a forcément des règles à la fois techniques, de compétences, de principes et de valeurs, qui avec l’intensité de l’activité peuvent être occultées. Cela représente à la fois peu de temps, mais c’est aussi un moment privilégié pour permettre à ces dirigeants de reconsidérer ce qui est le moteur de leur action. Je pense qu’il n’y a pas de pratique ou d’action qui ne soit guidée par une certaine représentation. Il s’agit donc ici de clarifier cette représentation qui nous fait agir. Le souci de l’efficacité ne doit pas être détaché d’une compréhension de la fin.
Y a-t-il une façon de parler de philosophie sans qu’elle n’entre en opposition avec la spiritualité ?
La spiritualité, comme le mot l’indique relève de l’esprit, il y a donc une vie de l’esprit indépendante et antérieure à la révélation et à la vie de foi. Cette vie de l’esprit suppose d’avoir une certaine intelligence du monde et de soi-même. Une capacité à hiérarchiser qui n’est non seulement pas contradictoire mais qui conduit à la vie spirituelle au sens surnaturel, à l’approfondir.
L’inverse est-il possible, une spiritualité peut-elle conduire à mieux comprendre le monde, comme le suppose saint Augustin lorsqu’il dit : “d’abord croit, ensuite tu comprendras” ?
Le contenu de foi fait appel à l’intelligence, même si l’acte de foi relève d’un engagement personnel et éventuellement d’une expérience disons mystique. Le contenu à croire s’adresse d’abord à l’intelligence. En ce sens, cela suppose aussi des prérequis conceptuels. Non pas que la foi du charbonnier ne soit pas possible, mais celui-ci est sans doute malgré tout appelé à approfondir sa foi à la lumière de la vie de l’esprit.
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Comment aborder la philosophie avec une approche catholique ?
On pourrait dire qu’il y a dans la tradition philosophique, indépendamment de la vie chrétienne, un souci de comprendre la réalité. Et ce que l’enseignement de l’Église invite à développer, c’est cette philosophie ou ce réalisme philosophique. C’est en effet à partir de la philosophie comme intelligence de la réalité que l’on peut être conduit au seuil de la foi. Il y a une cohérence mais ce n’est pas un impératif de foi qui commanderait une pratique philosophique.
L’une des plus grandes philosophies produites par l’Église est sans nul doute celle de saint Thomas d’Aquin. Pensez-vous qu’elle soit suffisamment connue dans la France actuelle sécularisée?
On pourrait faire une distinction entre philosophe thomiste en tant que référence explicite à Thomas d’Aquin et celle d’inspiration réaliste qui est plus large, référée à la pensée grecque aristotélicienne en particulier. Il y a sans aucun doute une résurgence de la philosophie de type réaliste avec la phénoménologie. Il y a de ce point de vue une manière de philosopher qui n’est pas réductible à la philosophie thomiste. On observe aussi une forte présence de courants plus sceptiques mais on constate aussi des rencontres assez inattendues, lorsqu’une philosophie formelle, analytique, rejoint même indirectement une pensée réaliste. Le réalisme n’est pas mort.