Préjugé : "Jugement sur quelqu'un, quelque chose, qui est formé à l'avance selon certains critères personnels et qui oriente en bien ou en mal les dispositions d'esprit à l'égard de cette personne, de cette chose" selon le Larousse. Pour trouver la force de nous affranchir de nos premières impressions, de dépasser nos préjugés et nos — fausses — premières impressions, reposons nous sur les textes bibliques et la force des paraboles.
Le pape François nous l’a bien rappelé :
"La force de la Parole de Dieu repose dans cette rencontre entre mes péchés et le sang du Christ, qui me sauve. Et quand cette rencontre n’a pas lieu, le cœur reste sans force." (Homélie du 4 septembre 2014 à la chapelle Sainte-Marthe).
Puisons-donc des forces dans Sa Parole pour nuancer nos jugements et leur donner le temps de se former, par la connaissance des choses et des êtres.
1Distinguer ce qui se voit et ce qui ne se voit pas
La veuve du temple
"Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a mis plus qu'aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu'elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre." (Mc 12, 43-44)
Une femme, couleur muraille, vient verser son obole. Autour d’elle, de riches gens, très fiers d’être admirés pour leur immense générosité… de notoriété publique ! Jésus, dont le regard pénètre les cœurs, voit dans le don de cette femme le don de toute sa vie. Cette offrande de quelques centimes qui paraît insignifiante pour tous représente toute la fortune de cette femme. Elle a tout offert et Jésus le sait à l’image de notre Dieu qui a tout donné "pour nous les hommes et pour notre Salut".
La veuve aurait pu se dire que ces minuscules pièces étaient indignes d’être données mais elle savait qu’elles compteraient aux yeux du Seigneur. Cette parabole nous rappelle que le royaume de Dieu a ses critères qui lui sont propres et qui sont certainement différents de ceux du monde. Il ne s'agit pas de nous attendrir sur l’émouvante obole d’une pauvre femme mais bien de savoir voir, en regardant cette femme, l’image du Christ et de son Royaume.
Contrairement au Seigneur qui prête attention à tout et lit dans nos cœurs, nous avons tous tendance à ne prêter attention qu’à ce qui est récompensé, complimenté, mis en exergue. Notre société très médiatisée propulse au rang de "star" des personnes choisies, d’autres donnent leur vie pour leurs prochains et ne sont jamais remerciés, jamais vus. Certains actes de charité peuvent nous paraître insignifiants et sont pourtant très durs à accomplir pour la personne en question. Apprenons à ouvrir nos cœurs et à voir ce qui est fait dans la discrétion et l’humilité. L’étoile la plus importante n’est pas forcément la plus brillante de toutes.
Et si nous prenions le temps, nous aussi, de regarder la façon dont les personnes donnent plutôt que ce qu’elles ont à offrir ? Autour de nous, combien de petites actions sont faites, par des personnes qui n’ont pas la prétention d’être célèbres, ni même d’être remerciées ; pourtant elles donnent d’elles-mêmes, parfois plus que de raison, bénévolement ou juste généreusement, par amour du prochain. En choisissant de modifier notre regard sur les "petits", les faibles, les discrets, on voit Dieu en eux, avec eux et par eux.
La femme adultère
Jésus, dans la Bible, est régulièrement mis à l’épreuve par les autorités religieuses de l’époque — scribes et pharisiens — jaloux de sa force spirituelle et morale. Dans cet Évangile de Jean, on amène à Jésus une pècheresse pour "tester" la bienveillance et l’amour du prochain proclamé par ce dernier :
"Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en train de commettre l’adultère. Ils la font avancer, et disent à Jésus : “Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ?” Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol." (Jn 8, 3-6)
Jésus, confronté aux pêchés de cette femme, renvoie les pharisiens et les scribes dans leurs propres retranchements et limites en leur disant :
"Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre." (Jn 8, 7)
Nous sommes, à la lecture de cette parabole, tous appelés à faire notre propre examen de conscience avant d’aller jeter l’opprobre sur les pêcheurs visibles et pointés du doigt. Le préjugé commence par la connaissance extérieure de la personne. La plupart de nos hontes sont cachées et il est aisé de fragiliser ceux dont les croix sont visibles. Quand Jésus pointe du doigt leurs propres faiblesses, la réponse des scribes et des pharisiens est honnête, ils s’en vont :
"Quant à eux, sur cette réponse, ils s’en allaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui." (Jn 8, 9)
Comment ne pas penser également à la parabole de la paille et la poutre ?
Un moyen efficace de ne pas prêter d’importance à nos préjugés est d’être, d’abord, tout à fait conscient de nos propres pêchés, de nos limites et de nos imperfections. Cet examen personnel aide à porter sur l’autre un regard plein de compassion et de poser un jugement droit et charitable, à l’image du Seigneur notre Dieu.
"Jésus leur parla encore avec des images : “Un aveugle ne peut pas conduire un autre aveugle, n'est-ce pas ? Sinon, ils tomberont tous les deux dans un trou.”".(Lc 6, 39)
2"Ne jugez pas selon l’apparence, mais jugez selon la justice" (Jean 7, 24)
Il est difficile de savoir si notre propre cœur se nourrit de préjugés. "Rien n’est plus trompeur que le cœur humain." (Jr 17, 9). L’humain est très fort pour se persuader que l’avis qu’il tient a été démontré auparavant. Pas forcément. Certains préjugés se transmettent (en famille, entre amis) et tout le monde oublie qu’ils sont sans source et donc, sans valeur.
Jésus fut lui-même victime d’une mauvaise première impression. Alors que Nathanaël apprend son origine, il s’interroge, avant même d’avoir rencontré Jésus : "Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ?" (Jn 1, 47). Ces idées peuvent nous venir à l’esprit, il faut alors être vigilant dans nos réactions à ces pensées. Nathanaël réagit positivement : sympathique à son égard, il ne faut preuve d’aucun mépris ni agressivité.
Une impression, comme son étymologie l’indique, est basée sur une image mentale. À nous de faire fonctionner notre cerveau et notre raison pour savoir si cette première image est justifiée… ou non. Ce mécanisme n’est pas si évident qu’il n’y paraît et malgré toute la meilleure volonté du monde, il peut nous arriver d’éprouver les mêmes tiraillements que l’apôtre Paul quand il écrit : "Quand je veux faire ce qui est juste, ce qui est mauvais est présent chez moi." (Rm 7, 21). Notre cœur, qui n’est pas le cœur parfait de Jésus, peut nous emmener vers des "raisonnements mauvais", à l’origine des préjugés. (Mc 7, 21)
De quelle justice parlons-nous ? Si nous nous référons à la justice divine, nous pouvons affirmer, à la lecture du Jugement Dernier (Évangile de Matthieu), que nous serons jugés sur notre attention faite aux plus petits, ceux qui ont faim, soif, ceux qui sont mis à l’écart, sont exclus, mis en prison. Ce texte est en quelque sorte le testament de Jésus, un condensé de son enseignement fait aux disciples.
"Dieu est impartial. En effet, tous ceux qui ont péché sans la loi de Moïse périront aussi sans la Loi ; et tous ceux qui ont péché en ayant la Loi seront jugés au moyen de la Loi. Car ce n’est pas ceux qui écoutent la Loi qui sont justes devant Dieu, mais ceux qui pratiquent la Loi, ceux-là seront justifiés." (Rm 2, 13)
Dieu jugera les cœurs et les comportements humains et non les titres et les honneurs. Avant de juger notre prochain sur son niveau d’étude, sa situation sociale ou son origine culturelle, apprenons à le découvrir selon ses actes et ses pensées, selon ce qui le suit et non ce qui le précède. Qu’importe ce que nous avons reçu, Dieu nous jugera sur ce que nous en avons fait.
3"Tuer l’orgueil", à l’image de David contre Goliath
Notons l’attitude du géant Goliath quand il se retrouve en duel face au petit pasteur, David, sans armes et le teint frais :
"Et le Philistin regarda et vit David, et le méprisa; car c'était un jeune homme au teint rose, et beau de visage." (1 S 17, 42)
Lorsque le petit David gagne contre l’immense Goliath, ce n’est pas une simple allégorie du plus faible contre le plus fort. Il y a clairement une intention, dans ce texte, de mettre en valeur le refus des armes du jeune berger, une volonté de mettre en lumière son humilité à côté de la fureur du héros Goliath. La tradition chrétienne a d’ailleurs très justement fait de David la préfiguration du Bon Pasteur, saint Augustin célébrant ainsi dans un de ses sermons "l’humilité de David qui a tué l’orgueil".
À l’image du modeste pasteur David, refusons les lumières du pouvoir et des idoles et apprenons à moduler nos premières impressions, sous cet angle. L’orgueil facilite l’aisance et la "bonne impression" sociale. L’orgueil pousse aussi à prendre toute la place aux dépens des plus faibles, très vite il entraîne le mépris comme Goliath face à David. À contrario, la modestie ou un manque de confiance en soi peut donner une "mauvaise image" d’une personne, pourtant si riche de talents et de vertus.