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Du tablier à l’aube, l’ancien cuistot devenu curé

PÈRE STÉPHANE ESCLEF

Père Stéphane Esclef, curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Belleville

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Pia Bou Acar - publié le 22/01/18
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Le père Stéphane Esclef, curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste-de-Belleville, dans le XIXe arrondissement de Paris, a eu deux vies : une première comme cuisinier, jusqu’à ses 27 ans, et une seconde comme prêtre. Rencontre.Aleteia : Avez-vous grandi dans une famille qui avait la foi ?
Père Stéphane Esclef : Je suis né dans une famille modeste, mon père était peintre en garage et ma mère était confectionneuse en pantalons. Mes parents travaillant beaucoup, c’est ma grand-mère qui m’a élevé. J’ai eu une enfance simple mais très heureuse. Ma grand-mère avait voulu que je sois baptisé et mes parents, qui étaient de tradition catholique, baptisés eux-mêmes, n’ont pas mis d’opposition à ça. Ma grand-mère était pratiquante mais sans grande assiduité. En revanche, il y avait chez elle un sens de la charité qu’elle exerçait quotidiennement au service de l’église, entre autres. Et ça je l’ai toujours vu, cela m’a beaucoup marqué. Comme c’est elle qui m’a élevé, elle m’entraînait dès 7h du matin, avant d’aller à l’école dans ce qu’elle appelait ses “tournées” : ma grand-mère aidait les gens pauvres. Il y avait un itinéraire, on allait voir untel, boire le café chez les autres. C’était une fille de ferme, elle ne savait ni lire ni écrire, mais elle faisait le ménage, elle soignait les gens etc. Elle ne savait rien faire mais elle le faisait avec beaucoup d’amour. La vie chrétienne pour moi se cantonnait à ça. Puis j’ai fait mon catéchisme et ma première communion… mais c’était l’époque de 1968. Je me souviens de mon livret de 1ère communion : un livret rose avec Jésus qui brise des chaînes, avec Che Guevara et Gandhi de l’autre côté. La foi là-dedans, c’était pas terrible. Très tôt, après mon catéchisme, ma première communion et ma confirmation, j’ai arrêté, ça ne m’a pas du tout intéressé. J’ai juste continué les tournées avec ma grand-mère.

D’où vous est venue la passion pour la cuisine ?
Très tôt, j’ai aidé ma grand-mère à préparer les grands repas de famille. J’ai appris à faire la cuisine avec elle. C’est là que m’est venue la passion de la cuisine, en voyant que la cuisine était un moyen de convivialité, de rassemblement, de communion. Quand je relis ma vie maintenant, je dis que le Seigneur plaçait des billes déjà. À 7 ans, je savais déjà que je voulais être cuisinier. J’ai commencé à travailler dès 14 ans et j’ai suivi un parcours professionnel épanouissant dans des établissements prestigieux. Mais la foi, Dieu : niet. Pas de messe, pas de Noël, pas de Pâques : pour moi Noël, c’était la dinde qu’on achetait, qu’on égorgeait et qu’on plumait.

Comment êtes-vous revenu vers Dieu après vous en être tant éloigné ?
Par mes études et mon travail, j’avais demandé un sursis pour mon service militaire que j’ai fait à 22 ans. J’organisais le restaurant des officiers : je n’ai pas beaucoup porté le fusil sauf le fusil de cuisine (rires). Je m’étais lié d’amitié avec un copain qui n’habitait pas loin de chez moi. À un moment ce gars, Xavier, me dit un jour : “Écoute Stéphane, je voudrais te proposer d’aller à Lourdes”. “Non non c’est pas pour moi”. Il insiste, je me renseigne et je découvre que si je partais à Lourdes avec l’armée, j’avais quatre jours d’armée en moins sur mon cursus donc je me suis dit : “Génial, voilà mes motivations spirituelles pour aller à Lourdes”. Je pars à Lourdes avec ces motivations là et c’est là que tout a basculé. Déjà c’était la première fois que je partais avec des chrétiens, des prêtres, et ça m’a surpris — moi j’avais des a priori sur l’Église, les curés etc. — j’ai vu des gens normaux, on s’est bien marré et surtout des attentions très fortes les uns envers les autres, le soutien des malades. Puis on me dit : “Stéphane, il faut que tu ailles à la grotte”. Moi je ne me sentais pas digne d’aller à cet endroit là donc je me suis mis de l’autre côté de la rivière, en face de la grotte. Et là le temps s’est arrêté. Il y a eu une sorte de parenthèse. J’ai eu la révélation de la Vierge Marie qui m’a parlé, dans mon cœur — elle n’a pas clignoté dans la grotte mais elle m’a parlé — et elle m’a dit : “Stéphane, remonte tes manches et travaille dans l’Église et suis mon fils”. Quand je suis revenu après, à l’armée, j’étais changé : je parlais de Dieu tout le temps et les gens ne comprenaient pas. J’ai commencé à prier pour la première fois de ma vie et là ça faisait écho en moi, c’était viscéral.


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Quand est-ce que vous avez été appelé pour votre mission de prêtre ?
Après trois ans en Autriche, je suis rentré à Paris pour travailler au Royal Monceau, avenue Hoche. Et là pour la première fois, j’ai été amené à témoigner de ma foi sur mon lieu de travail. C’était tellement fort que ça rayonnait, ça transpirait, les gens me posaient des questions et c’est là que j’ai vu que des conversions se sont produites. Le dimanche, vu qu’on ne pouvait pas aller à la messe, avant l’apéro, je réunissais tous les copains, là où on coupe la viande, sur le billot, et on priait le Notre Père. Et on formait un groupe de prière.
À un moment, ça a pris des proportions si importantes que j’ai dit à Dieu : “Qu’est-ce que tu veux pour moi ?”. Donc j’ai pris des vacances, un mois, pour réfléchir à cette question : que veut le Seigneur pour moi ? Moi mon plan c’était d’ouvrir mon propre restaurant, d’avoir ma propre boîte, de me lancer là-dedans, de fonder une famille. À ce moment là, j’ai fait trois choses :  revoir le prêtre qui m’avait accompagné plus tôt en Autriche et qui résidait alors en Angleterre, faire un autre pèlerinage à Lourdes et finir par une première retraite spirituelle.
Tout s’est révélé en Angleterre. Des jeunes m’ont proposé d’aller à une nuit de prière. Je me retrouve en pleine banlieue londonienne, devant le Saint-Sacrement. Je n’avais jamais fait ça de ma vie alors on me dit : “Tu lui parles, il t’écoute, tu l’écoutes”. Je prends mon tour mais au bout d’une demi-heure, rien. Mais au moment où je décide de partir, comme à Lourdes, le temps s’arrête. Là ce n’était pas la Vierge Marie mais Jésus lui-même : “Stéphane, lâche tes couteaux, lâche tes fourneaux, suis moi et deviens prêtre”. J’ai demandé au Seigneur trois signes : trois fois j’allais ouvrir la Bible et je voulais que ce soit clair. Premier passage : “Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part” (Ez 3, 17). Pas très convaincu. Deuxième parole : “Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit et, le donnant aux disciples, il dit : “Prenez, mangez : ceci est mon corps”.”. Ah, ça se précise. Troisième parole : “Que ta volonté soit faite”. Là, j’ai dit d’accord. J’avais 27 ans.

Comment s’est passée la transition entre la cuisine et la prêtrise ?
J’ai poussé les portes du séminaire : c’était un autre monde. Un monde que je ne connaissais pas, on était sur une autre planète. Moi j’avais connu le monde de la cuisine, viril, qui bouge, et là on passe aux ronds de jambe, aux discours, etc. C’était pas mon style ! Moi je suis direct. Si bien que dès le deuxième mois, j’ai “pété les plombs”, j’ai craqué en plein cours : “On n’y comprend rien à votre charabia !”. J’ai été convoqué dans le bureau du directeur, qui m’a donné un tuteur et c’est comme ça que j’ai cheminé petit à petit dans les études. Je ne regrette pas du tout mon séminaire, bien que dur au départ, parce qu’il fallait se remettre dans les études. J’ai été ordonné prêtre par Mgr Lustiger en 1996.

Que vous a apporté l’expérience de la cuisine dans votre sacerdoce ?
Il y a un apprentissage de la vie, la vie vous apprend des choses et pour aider à comprendre les gens, pour les accompagner en tant que prêtre, il y a besoin de les comprendre, de les rejoindre dans ce qu’ils vivent. Or si vous ne l’avez pas vécu vous-mêmes, si vous n’avez pas été dans ce monde-là, il y a un décalage. Ok, ça peut être livresque, avec des connaissances intellectuelles, la tête blindée, mais vous ne les rejoignez pas dans leur vie. Le fait de savoir ce que c’est de se lever le matin pour aller travailler, gagner sa vie, que la vie n’est pas simple. C’est l’école de la vie : une école unique. Arriver au séminaire avec cette école là, c’est un beau bagage.



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Quelle est la place de la cuisine dans votre vie de prêtre aujourd’hui ?
Je me sers beaucoup de la cuisine pour créer de la fraternité. Je cuisine encore maintenant mais pas autant que je le souhaiterais parce qu’évidemment j’ai ma mission de curé, on ne peut pas être au four et au moulin ! Pour moi la table est un lieu très important, un lieu de communion. D’ailleurs le Christ en a fait un lieu pour exprimer son sacrement, le repas pascal.

Votre carrière de cuisinier a-t-elle quelque chose en commun avec votre sacerdoce ?
Ma vocation de cuisinier a beaucoup de similitudes avec ma vocation de prêtre. Quand on est cuisinier, on est dans un désintéressement total du temps passé, de l’investissement personnel. On est dans un don de soi. Le prêtre est appelé à être un homme donné. Le cuisinier va être un homme de l’effacement, c’est-à-dire que ce n’est jamais le cuisinier qu’on va mettre en valeur, c’est le serveur qui apporte le plat. C’est un peu à la manière de Jean-Baptiste : il faut que lui grandisse et que moi je disparaisse. Le cuisinier, c’est celui qui va chercher la communion autour du repas, la convivialité. Prendre un moment où on est dans un autre temps, où peuvent se vivre des relations de communion. Or à la messe, c’est le repas du Seigneur qui nous réunit dans la communion et dans la différence des uns des autres, où tout doit être prêt pour que chacun puisse avoir sa place et puisse vivre un moment de fraternité. Il y a une dimension spirituelle aussi dans la cuisine, dans le sens où l’harmonie des saveurs, des couleurs, des plats, ça transporte. Quand les gens vont vous faire : “Mmmh c’est bon”. Mettez un mot sur le “mmmh”. Vous ne savez pas mettre de mots, parce qu’il y a quelque chose de transcendant, qui nous élève. Je crois que dans la notion spirituelle, c’est la même chose : quand on vit un moment de foi formidable, on ne sait pas quoi dire, c’est qu’il y a une dimension sacrée qui est là.

N’avez-vous aucun regret ?
Ah non ! Ce que je dis toujours avec un peu d’humour : j’étais dans la restauration des corps, et maintenant je suis passée à la restauration des âmes. Je sens bien qu’il y a là une dimension que je n’avais pas dans la cuisine.

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