À l’occasion des 50 ans de la revue Ombres & Lumières, Philippe de Lachapelle, directeur de l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH), revient pour Aleteia sur l’accueil et l’écoute des personnes handicapées… et de leurs familles. Après avoir partagé la vie de personnes touchées par le handicap pendant 25 ans au sein de l’Arche, il a pris la direction de l’OCH en 2001.
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Aleteia : que nous disent les personnes handicapées du message du Christ ?
Philippe de Lachapelle : Les personnes handicapées nous mettent au cœur de l’Évangile. “Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux”, écrit saint Matthieu. C’est une invitation : ces personnes dont la fragilité est visible nous renvoient à notre propre fragilité, qui existe mais qui ne se voit pas toujours. Elles nous invitent à nous réconcilier avec nous-mêmes. Cela est d’autant plus difficile dans notre société où l’apparence compte énormément. Pourtant, cette fragilité est une occasion unique de nous rassembler. Le handicap fait mal mais la personne handicapée est une richesse, peut-être même la seule richesse. Lorsque j’étais jeune, je partageais la chambre de mon foyer avec une personne schizophrène. J’étais content car je pouvais rendre service, être charitable. Au fil des jours, j’ai finalement réalisé qu’il ne cherchait pas tant à être aidé qu’à nouer une vraie relation d’amitié. Souvent, quand nous nous disputions, il me disait à la fin : “Mais est-ce que tu m’apprécies quand même, comme je suis ?”. J’ai alors compris que nous cherchions tous à nouer des relations, à être aimé, mais que nous n’étions pas certain de mériter cet amour. Pourtant, chacun a besoin de savoir qu’il est aimable comme il est, avec ses qualités et ses défauts, à chaque étape de sa vie. Les personnes fragiles sont certes handicapées, dans leur corps ou leur esprit, mais elles ont cette capacité à aimer simplement, sans condition.
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Quel regard portez-vous sur l’action de l’OCH en France ces cinquante dernières années ?
L’OCH a été fondé en 1963 par Marie-Hélène Mathieu dans un contexte bien particulier : le meurtre — puis l’acquittement — de parents ayant donné la mort à leur petite fille née lourdement handicapée. L’objectif que s’est fixée Marie-Hélène Mathieu est de ne pas laisser ces familles se sentir acculées, désespérées. Avec l’OCH, elle a voulu leur donner une nouvelle espérance. Au-delà des personnes handicapées, nous essayons donc d’accompagner leurs proches : parents, frères, sœurs… En 1968, en parallèle de la mise en place de “conférences rencontres”, Marie-Hélène Mathieu a lancé Ombres & Lumières, une revue qui s’adresse aux personnes handicapées mais aussi à leurs familles, à leur entourage. Et le succès est là : cinquante ans après sa création, elle compte 10 000 abonnés et plus de 40 000 lecteurs ! Ces dernières années nous avons beaucoup développé les “journées familles” dédiées aux parents et aux frères et sœurs. Car la souffrance est également présente pour eux mais sous des aspects différents : un jeune garçon confiait qu’on lui demandait systématiquement comment allait son frère handicapé mais jamais comment lui se sentait.
L’accompagnement des personnes fragiles par l’État se fait-il dans de meilleures conditions ?
Il y a cinquante ans peu de choses existaient pour les personnes handicapées. Les familles portaient cette responsabilité seules et nombre d’entre elles ont connu une réelle détresse. La loi de 1975 a fait beaucoup de bien en cherchant à répondre aux besoins des personnes handicapées. Mais elles étaient plus ou moins considérées comme des objets, on parlait de leur “prise en charge”. Au fil des décennies on en est arrivé à considérer que la personne handicapée devait participer à la vie de la cité. À coup de lois elles commencent à trouver une place dans la société, même si de nombreux problèmes demeurent ! L’étape de la prochaine décennie est désormais qu’on arrête de parler d’elles mais qu’on leur donne la parole. Les personnes handicapées doivent être pleinement actrice.
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Y a-t-il une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
J’ai récemment rencontré le père d’une jeune femme malade psychique. Son histoire est dramatique : n’ayant pas pu être bien accompagnée médicalement, sa fille s’est retrouvée dans la rue, droguée et obligée de se prostituer. Et ce père m’a dit : “L’espérance c’est quand on n’a plus rien”. Cette espérance c’est celle de Jésus qui souffre sa passion et de Marie au pied de la croix. Dans la radicalité de la souffrance, ces personnes fragiles nous aident à comprendre le mystère chrétien, celui de la croix et de la résurrection.
Votre regard sur les personnes handicapées a-t-il changé depuis que vous êtes directeur de l’OCH ?
Je suis continuellement nourri par les rencontres que je vis. Ce regard que nous portons sur les personnes fragiles évolue avec le temps. Ce n’est pas un acquis, l’Évangile non plus. C’est une conversion.
Propos recueillis par Agnès Pinard Legry.