Le soir du 24 décembre, France 2 a tenté en quelques minutes une fresque « politique » de la vie de Jésus. « De quel parti était le Nazaréen ? » : interrogé par la chaîne française, le dominicain Olivier-Thomas Venard, professeur de Nouveau Testament et vice-directeur de l’École biblique de Jérusalem, nous en dit un peu plus long…
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Aleteia : Jésus était-il un révolutionnaire ? Un agitateur ?
Frère Olivier-Thomas Venard : Si un révolutionnaire est quelqu’un qui use de violence, non, ce ne fut pas le cas de Jésus, à la différence d’autres Judéens ou Galiléens de son époque ou des « zélotes » qui luttèrent contre l’occupation romaine, dans la génération qui le suivit. Cependant, le fait est que Jésus fut mis à mort comme un agitateur, avec sur son poteau d’exécution ce panneau d’accusation si énigmatique : « INRI — Jésus de Nazareth roi des Juifs. » Pour les Romains en charge du maintien de l’ordre en Judée, en même temps que d’une moquerie anti-juive, il s’agit clairement un motif politique. Et de fait, à sa manière, Jésus renverse l’ordre établi et peut être décrit comme révolutionnaire.
C’est un révolutionnaire social par des phrases choc comme « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt 6, 24), ou « Heureux les assoiffés de justice » (Mt 5, 6) : le qui-perd-gagne de l’Évangile reste transgressif dans toute société bâtie sur la course au pouvoir. C’est aussi un révolutionnaire moral. « Tu prieras pour tes ennemis… » (Mt 5, 44) enseigne-t-il. Au moment même de sa mort, il donne l’exemple : « Père pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Son amour est absolu et inconditionnel. Il pardonne à ses ennemis alors que la vengeance était une vertu des vrais politiques pour l’Empire romain.
Jésus apporte surtout une révolution religieuse. Le judaïsme, spécialement à l’époque du Temple, fonctionne largement selon un système rituel du pur et de l’impur : le rôle des prêtres, instruments de Dieu, est de garder la frontière par laquelle le pur, le sain, la vie se garde de la contamination de l’impur, du malade et de la mort. Mais avec Jésus, la frontière se met à fonctionner en sens inverse : c’est le pur qui devient contagieux et la frontière devient la zone où le pur vient toucher l’impur pour le purifier, comme le montrent les épisodes de guérison où il « étend la main » et « touche » le lépreux, le malade dont il fallait se tenir à distance. Cette révolution culmine lorsque de l’impureté par excellence qu’est la mort, Jésus fait jaillir la Vie par sa résurrection !
Quelles similitudes peut-on établir entre le comportement public de Jésus (ses discours, le choix de son entourage, etc.) et la façon de faire de la politique aujourd’hui ?
Jésus utilise très bien tous les symboles de son peuple pour faire comprendre son message. Sa « stratégie de communication » évoque la restauration royale d’Israël : il choisit douze apôtres en référence aux douze tribus d’Israël. Et les pauvres apôtres, même après la Résurrection, s’imaginent encore qu’il va restaurer la monarchie légitime à Jérusalem (Ac 1, 6). Cependant, quand on veut le faire roi, il s’enfuit. Et la seule couronne qu’il porte est un instrument de torture romain. En fait son royaume est d’une tout autre nature que les royaumes terrestres.
De fait, Jésus utilise une parole souvent énigmatique, qui demande à être méditée, et non pas consommée tout de suite comme les arguties politiques que nous connaissons. La parole politique d’aujourd’hui est un peu comme une flèche de Cupidon, elle cherche à séduire immédiatement le plus grand nombre possible. La parole de Jésus est comme une graine plantée dans la vie de son interlocuteur, il ne la comprend pas forcément tout de suite, mais elle va porter du fruit.
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Quels sont les grands discours qui ont marqué son ministère ?
Jésus a laissé des phrases absolument irréversibles et qu’on ne peut pas oublier une fois qu’on les a entendues : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36) et « Rendez à César ce qui est à César » (Lc 20, 25), ont fait de Jésus le fondateur de la vraie laïcité… On pourrait encore citer sa prière qui est devenue universelle au delà des frontières confessionnelles, le « Notre Père » ; et mentionner les formules par lesquelles il affirme son autorité personnelle : « Je suis la porte (Jn 10, 9) ; je suis le bon berger (Jn 10, 14) ; je suis la voie, la vérité et la vie (Jn 14, 6) ; avant qu’Abraham fût, Je Suis (Jn 8, 58)… »
Faut-il considérer qu’il était, au regard de nos notions actuelles, de gauche ou de droite ?
Si vous me permettez un peu d’humour — et je crois que la question en demande ! —, je dirais que par sa certitude d’être toujours dans le bien et son souci moralisateur, il « mériterait d’être de gauche », pour parler comme Fabrice Luchini ! Cependant, dans le contexte de sa culture juive du Ier siècle, en contraste avec d’autres sages, pharisiens ou esséniens, Jésus apparaît comme plutôt conservateur et donc de droite : contrairement aux simplifications qu’un certain antijudaïsme chrétien a fait de ses enseignements, Jésus respecte les grandeurs établies, le temple, les prêtres, le calendrier, les rites…
Plus sérieusement, la chose est très simple : en Jésus, Dieu se fait homme et fonde la dignité absolue de toute personne humaine, si petite, si vieille ou malade, si proche ou lointaine soit-elle. Comme droite et gauche ont hélas abandonné la défense de cet absolu qu’est toute vie humaine de sa conception à sa mort naturelle, on peut affirmer tranquillement que Jésus n’est d’aucun parti aujourd’hui.
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Jésus n’est pas né nulle part. Quels rôles ont joué dans sa vie publique les différentes étapes de son parcours en Terre Sainte : Bethléem, Nazareth, Jérusalem…
À Bethléem, à en croire les récits de Matthieu et de Luc, Jésus naît dans la ville du roi David, ce qui lui donne une aura royale. Il grandit ensuite à Nazareth : tout en étant le roi idéal, il grandit dans les marges, comme un « péquenot ». Il n’est même pas reconnu par les siens qui le prennent pour un fou (Mc 3, 21) ! C’est que Jésus substitue aux liens de la parenté biologique (claniques) d’autres liens fondés sur l’acceptation de l’Évangile, mais il le sait bien : « Nul n’est prophète en son pays » (Mc 6, 4).
Enfin, à Jérusalem, nous sommes dans la capitale, la ville sainte. Il s’agit de la ville du roi et de Dieu, la ville triomphale par excellence, que David jadis avait arrachée aux Jébuséens, la ville où il avait installé l’arche d’alliance, où Salomon avait bâti le Temple… Jésus y meurt en croix, supplice réservé par les occupants à la lie de la société. Pourtant, il y connaît deux triomphes : le jour des Rameaux — « Hosanna au Fils de David ! » (Mt 21, 9) — et la Résurrection. C’est le grand malentendu sur la portée de son ministère : même ses disciples s’imaginent qu’il va restaurer la monarchie comme un prétendant terrestre, alors qu’il vient par sa résurrection ouvrir le royaume des cieux.
Alors, finalement, Jésus était-il un homme politique ?
Au Ier siècle en Judée, un homme politique, c’est ou bien un officier de l’Empire romain comme Pilate, ou bien un membre de l’aristocratie sacerdotale comme Caïphe, ou bien encore un agitateur comme Theudas… Jésus ne correspond à aucune de ces catégories.
Mais s’il n’est pas un homme politique, Jésus est quand même un homme public. Et sa parole et son action ont des conséquences politiques. On pourrait dire que, comme Socrate, il ne fait pas de politique mais il est le seul à faire de la politique ! Il ne fait pas carrière politique, mais il rend service à la cité en enseignant par son propre exemple et par ses paroles, les valeurs les plus profondes de justice, de vérité, etc.
Plus encore, il revendique une autorité totale, radicale, bien plus grande que celle des politiques et des sages de ce monde. Il prétend à une autorité sur la conscience individuelle : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » Ce n’est pas la politique qui fera advenir le Royaume de Dieu sur la terre, mais le fait de suivre sa conscience éclairée, jusque dans les pires situations. C’est ce salut-là que Jésus apporte.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
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