Le titre du récit autobiographique de Jean d’Ormesson, paru en janvier 2016 (Gallimard), sonne désormais comme l’épilogue heureux d’une vie qu’il a quittée le 5 décembre dernier, et qu’il écrirait de là-haut. Retour sur l’antépénultième livre du célèbre académicien, l’un des plus personnels, qui nous livre un éclairage sincère sur sa vie.
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Sous forme de procès qu’il s’intente à lui-même, délicieusement bien écrit, Jean d’Ormesson nous livre humblement son caractère – paresseux, indifférent aux autres, gai, avide des plaisirs, curieux de tout, ambitieux – et nous raconte, de manière enjouée, sa vie, se tournant souvent lui-même en dérision, alors que l’on comprend, au fur et à mesure des pages, qu’il appartient aux « Grands » de ce monde.
Un testament philosophique
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle est ce que nous pouvons appeler les Mémoires, même s’il s’en défend, de Jean d’Ormesson. « Vous n’imaginiez tout de même pas que j’allais me contenter de vous débiter des souvenirs d’enfance et de jeunesse ? Je ne me mets pas très haut, mais je ne suis pas tombé assez bas pour vous livrer ce qu’on appelle des Mémoires », martèle-t-il.
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Reprenant la chute d’un poème d’Aragon, qui lui avait déjà fourni les titres de deux de ses livres, cette œuvre autobiographique est une ode à la vie, un monument d’anecdotes mettant en scène tout le gratin intellectuel parisien du XXe siècle, et une réflexion philosophique sur le temps qui passe.
Une autobiographie
Entre la gloire de son père — qu’il nous présente comme un diplomate honnête et droit — et le château de sa mère — Saint-Fargeau —, il avoue être né avec une cuillère en argent dans la bouche. Il passe son enfance en Bavière, en Roumanie, puis au Brésil. Il fait hypokhâgne et khâgne à Henri IV pendant la guerre, où il assure n’avoir rien compris à la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel ou à la Critique de la Raison pure de Kant, ce qui ne l’a pas empêché d’être reçu à l’École normale rue d’Ulm, puis d’obtenir son agrégation de philosophie. Il raconte son rêve de devenir écrivain : « Je mettais les livres si haut – surtout la fameuse couverture blanche des éditions Gallimard qui me rendait à peu près fou avec son filet noir et ses deux filets rouges. » Amusant, lorsqu’on sait qu’il a intégré, de son vivant, la Bibliothèque de la Pléiade, la plus prestigieuse des collections de la littérature française… chez Gallimard !
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Il entre à l’UNESCO en 1950 en tant que secrétaire général adjoint du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines. En 1970, il devient directeur du Figaro, grâce à ses mérites bien sûr, et à son beau-père, PDG des sucreries Béghin-Say et administrateur du quotidien. Il évoque les différences entre écrivain et journaliste. « Le journaliste appartient d’abord à une équipe. L’écrivain ne cesse jamais d’être seul ». Ou : « Ce qui intéresse le journaliste, ce sont les trains qui déraillent ou qui arrivent en retard. (…) La vie quotidienne dans sa banalité est le domaine de l’écrivain. Ce qu’il aime dans les trains, c’est qu’ils arrivent à l’heure pour donner enfin la mort à Anna Karénine. » Ou encore : « Le journalisme tient en un mot : urgent. L’écrivain vise l’essentiel. »
Une dernière facétie…
Grâce à son roman La Gloire de l’Empire, il est élu à l’Académie Française en 1973, glorieuse institution dont il nous confie les petites querelles internes et notamment son combat, en 1980, pour y élire la première femme : Marguerite Yourcenar.
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Aujourd’hui encore, le charme de Jean d’Ormesson continue d’opérer. Après sa disparition, les lecteurs s’arrachent ses livres et certaines librairies sont en rupture de stocks, notamment pour la Pléiade, et pour les titres Au plaisir de Dieu, Le Guide des égarés et Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Mais l’académicien a plus d’un tour dans son sac… Il publie un nouveau livre le 11 janvier prochain, au titre on ne peut plus provocateur : Et moi, je vis toujours (Gallimard). Il avait également terminé un autre texte qui paraîtra dans la maison d’édition de sa fille, Héloïse d’Ormesson.