Mgr Ioan Plosacru, arrêté par la police politique roumaine en 1950, raconte dans un ouvrage posthume – “Chaînes et terreur”, éditions Salvator, 2017 – ses quinze ans passés sous les verrous communistes.Pour se faire une idée de la tornade qui s’est abattue sur l’Église gréco-catholique de Roumanie, après la deuxième guerre mondiale, l’actuel évêque de Lugoj, ville de l’Ouest de la Roumanie, Alexandru Mesian nous confie : “Nous avions 298 lieux de cultes en 1948… pas une seul en 1988 !” Cette Église, soupçonnée par le régime communiste d’intelligence avec le Bloc occidental a été impitoyablement traquée. Le prédécesseur de Mgr Mesian, Ioan Ploscaru, décédé en 1998, accepta sa charge en 1948, dans ce contexte tendu. “Il savait qu’il ne recevait pas une distinction, mais une croix à porter”, assure Mgr Mesian. De fait, son courage lui a valu quinze ans de prison.
Arrêté comme un terroriste
Connaissant la précarité de sa situation, le nouvel évêque se préparait à son séjour en prison. Il s’entraînait à rester debout des jours entiers, à jeûner, à dormir à même le sol. Son arrestation en 1950 ne le pris pas au dépourvu, et il l’a interprété comme la volonté de Dieu. Baisant le verrou de sa cellule il prononce cette prière : “Seigneur, j’accepte tout cela et je le supporte à ta place, car si tu étais maintenant sur la terre, chez nous, tu serais certainement en prison”.
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Il fait connaissance avec les sinistres pratiques de la Securitate, la police politique secrète roumaine sous l’ère communiste. Les prisonniers sont soumis au froid et à la faim pour les détruire moralement, puis aux interrogatoires assortis de tortures. Mgr Ploscaru lui-même fut battu, et placé dans une cellule isolée, sans aucun contact humain, avec un lit de fer pour tout meuble, pendant deux ans. Beaucoup de prisonniers qui ont connu ces conditions de détention perdaient la raison.
Les quinze années les plus importantes de sa vie
Il n’a jamais cessé d’avoir la foi. Cela ne le rendait pas insensible à la souffrance, mais cela lui donnait un sens, assure Mgr Mesian. Non seulement sa personnalité ne fut pas altérée, mais il a considéré cette épreuve comme une grâce, et il appelait son emprisonnement “les quinze années les plus importantes de sa vie”. Il fut un réconfort pour ses camarades détenus, et quand il fut isolé des autres, soumis à une inactivité totale, il s’est mis à inventer des poèmes qu’il se remémorait chaque jour pour ne pas les oublier. Il les a publié à sa sortie de prison dans un recueil intitulé Croix de barreaux. En voici un extrait :
Cinq Barreaux en croix sur la vitre opaque
Attendent la moindre pensée pour l’étouffer,
Cinq croix qui depuis des années me fixent en silence
Et sont signe de tombe sur le monde.
Les ennemis, Seigneur, n’ont pas assez de fer,
Leurs chaînes sont trop peu nombreuses
Pour tuer notre désir du ciel
Et nous fermer à ton amour.
Mgr Ploscaru a survécu à la prison, contrairement à d’autres évêques gréco-catholiques enfermés comme lui : Mgr Ioan Suciu, Valeriu Traian Frentiu et Tit-Liviu Chinezu entre autres. Il ne reste plus de trace de leurs corps, car le cimetière où ils étaient enterrés a été rasé. “Dieu en a peut-être décidé ainsi pour que les évêques morts restent comme des reliques invisibles à la vase visible de l’Église roumaine de demain”, écrit Mgr Ploscaru.
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Ces martyrs de la foi seront prochainement béatifiés, nous assure Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient. “L’Église gréco-catholique était condamnée à mort, mais 48 ans plus tard, cette Église est ressuscitée”. En 24 ans, le diocèse de Lugoj a bâti 48 églises.
La Roumanie, après la chute du communisme, a connu un regain extraordinaire de la pratique religieuse, constate Mgr Gollnisch. Elle le doit probablement à ses témoins, qui comme Mgr Ploscaru, ont fait preuve d’une conviction qui impressionna leurs redoutables geôliers eux-mêmes. L’enquêteur de la Securitate, Tanase disait à l’évêque prisonnier en 1957 : “J’ai déjà eu à interroger des légionnaires, des auteurs d’attentats, des politiciens et des espions, mais jamais je n’ai rencontré autant d’opiniâtreté que chez les prêtres catholiques.”
Mgr Ioan Plosacru, Chaînes et terreur : un évêque dans les geôles communistes, Salvator, octobre 2017, 392 p., 22 euros.