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Clemenceau était-il l’anticlérical que l’on croit ?

BENJAMIN CLEMENCEAU

Georges Clemenceau.

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Benjamin Fayet - publié le 16/11/17
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Il y a 100 ans, Georges Clemenceau arrivait au pouvoir. Serge Berstein revient pour Aleteia sur son rôle dans la victoire de la première guerre mondiale ainsi que son rapport conflictuel avec le catholicisme.

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Serge Berstein enseigne à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris. Membre des conseils scientifiques de la Fondation Charles de Gaulle et de l’Institut François Mitterrand, il est l’auteur d’une biographie de Léon Blum (Fayard), d’une Histoire du gaullisme (Tempus) et il a récemment codirigé le livre Fascisme français ? (CNRS Éditions). Il revient pour Aleteia sur l’arrivée au pouvoir il y a 100 ans, le 17 novembre 1917, du « Tigre ».  

Aleteia : le 17 novembre 1917, Clemenceau forme à 76 ans un gouvernement de combat. Son rôle a-t-il été aussi déterminant dans la victoire que sa légende le laisse à penser ?
Serge Bernstein : Son rôle a été capital. Depuis le printemps 1917, la guerre engagée en 1914 est dans l’impasse, faute d’avancées décisives : échec des offensives, lassitude de la population, mutineries sur le front, grèves dans les usines… Dans cette situation l’idée s’impose en France comme à l’étranger d’arrêter le massacre et de conclure une paix blanche, sans annexion, ni indemnité. Tel est le sens des appels du président américain Wilson et du pape Benoît XV, de la démarches de l’Empereur d’Autriche-Hongrie Charles Ier, d’une motion soumise au Reichstag en Allemagne. En France, ce courant s’organise autour de l’ancien président du parti radical Joseph Caillaux. Or le président de la République Raymond Poincaré est totalement hostile à cette perspective et entend que la guerre se poursuive jusqu’à la victoire. C’est pour cette raison qu’il appelle Georges Clemenceau, qu’il déteste et qui le lui rend bien, à la présidence du Conseil, parce que celui-ci n’envisage d’autre issue à la guerre que la victoire. De fait, le gouvernement de Georges Clemenceau est un gouvernement de guerre qui soumet toute la vie politique à l’impératif de la victoire : exécution des traîtres, emprisonnement de Caillaux, bannissement de l’ancien ministre de l’Intérieur Malvy, jugé trop conciliant avec les pacifistes, nomination de généraux prêts à prendre l’offensive comme Foch dont il fera le commandant en chef des troupes alliées. Si la victoire finale est largement due à l’intervention des Américains (un million de soldats en 1918), le rôle de Clemenceau a été essentiel pour que la France continue à résister aux offensives allemandes durant les mois décisifs qui vont de novembre 1917  au printemps 1918.

Quelle fut son attitude durant les trois premières années du conflit et son parcours jusqu’à la présidence du Conseil ?
En 1914, au moment de la déclaration de guerre, Clemenceau se rallie d’abord à l’Union sacrée demandée par le président de la République Raymond Poincaré. Mais très vite, son tempérament d’opposant reprend le dessus et il ne cesse de dénoncer la manière, timorée à ses yeux, dont les gouvernements successifs et les états-majors gèrent le conflit. Son journal L’Homme enchaîné, qui s’appelait avant guerre L’Homme libre, mais qu’il a débaptisé pour protester contre la censure, se fait l’écho de ses colères. Mais en même temps, le sénateur Clemenceau, devenu président des commissions sénatoriales des Affaires étrangères et surtout de l’Armée s’implique et implique le Sénat dans l’effort de guerre, multipliant avec l’aide de ses collègues les inspections et les enquêtes et s’appliquant en particulier à faire voter les crédits d’armements jugés nécessaires à la défense du pays.

Personnalité controversée à gauche comme à droite, l’homme a toujours divisé profondément, comment cela s’explique-t-il ?
Orateur brillant et incisif, volontiers provocateur, incapable de résister à un bon mot, fût-il blessant pour celui qui est visé, Clemenceau s’est fait, par son caractère d’innombrables ennemis personnels, mais aussi quelques amis fidèles qui apprécient ses qualités humaines au-delà de la posture de l’homme public. De surcroît, il est redouté pour son habileté à l’épée ou au pistolet à une époque où les affronts se règlent souvent par des duels. Mais il est également controversé pour son positionnement politique. Ardent républicain, anticlérical affirmé, il est naturellement rejeté par la droite. Mais ce républicain est hostile au socialisme. Il entend défendre la propriété et les libertés individuelles et voit dans le socialisme une idéologie de caserne. Il se montrera durant son ministère de 1906-1909 défenseur intransigeant de l’ordre républicain, réprimant avec détermination les grèves organisées par la CGT gagnée au syndicalisme révolutionnaire, s’attirant ainsi l’hostilité durable de l’extrême-gauche et d’une partie de la gauche.

La Grande Guerre a contribué à une forme de réconciliation entre la République et l’Église. Clemenceau, artisan de la loi de 1905 et qui traita de souverain pontife de “pape boche” n’a-t-il pas entravé cette réconciliation ?
Il faut bien comprendre la nature de l’anticléricalisme de Clemenceau. Né dans une Vendée catholique et monarchiste, il appartient à une famille de « bleus », c’est-à-dire de républicains à une époque où la majorité des catholiques constitue l’assise du courant monarchiste et bonapartiste, adversaire irréductible d’une république parlementaire et laïque soutenue par les protestants et les francs-maçons. Aussi, dès les années 1880 réclame-t-il avec ardeur la séparation de l’Église et de l’État et soutient-il, en 1905, la loi qui la met en œuvre. Mais cet athée se veut aussi libéral et ne confond pas combat politique et liberté de conscience. Ainsi s’oppose-t-il vivement en 1904 aux projets radicaux visant à établir un monopole d’État de l’enseignement et, président du Conseil en 1906, met-il fin aux inventaires qui provoquent des heurts violents entre fidèles et  forces de l’ordre, estimant qu’ « un chandelier ne vaut pas la mort d’un homme ». On retrouve cette dichotomie pendant la guerre. S’il traite Benoît XV de « pape bochophile » pour avoir préconisé une paix blanche, afin selon luide sauver une Autriche-Hongrie catholique en perdition, il est, sur ce point d’accord avec une grande majorité des catholiques français qui n’emploient pas les mêmes termes, mais désapprouvent l’appel pontifical (clergé compris). S’il refuse, au nom de la séparation de l’Église et de l’État d’organiser des prières publiques pour la victoire, il remerciera publiquement l’Église catholique de son appui dans l’effort de guerre. Il trace ainsi des limites très nettes entre l’État laïc et une liberté religieuse qu’il ne conteste pas. S’il n’a pas spécialement encouragé la réconciliation entre l’Église et la République, il ne l’a pas entravée.  

Anticlérical viscéral jusqu’à la fin sa vie, peut-on dire qu’à ses yeux l’ennemi à abattre pour imposer définitivement la République était l’Église ?
Je pense que, pour lui, une Église qui acceptait la République (et les lois de laïcité qui, à ses yeux, en faisaient indissociablement partie) cessait d’être l’ennemi à abattre.

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