Le monde des organistes pleure aujourd’hui une de ses icônes. Michel Chapuis, organiste célèbre dans le monde entier, est décédé dimanche 12 novembre 2017 à l’âge de 87 ans, à Dole, sa ville natale. C’est un géant qui s’en va mais qui laissera, pour longtemps, sa marque dans l’histoire de la musique. Organiste de renommée mondiale, on se souviendra de Michel Chapuis comme celui qui a ressuscité le répertoire baroque des XVIIe et XVIIIe siècles et redonné à l’orgue classique tout son éclat.
Un destin tout tracé
Né le 15 janvier 1930 à Dole (Jura), il restera toute sa vie très attaché au grand orgue de la collégiale réalisé par Charles-Joseph Riepp, facteur d’orgue allemand du XVIIIe siècle. C’est sur les claviers de cet orgue que sa vocation d’organiste va éclore. Il découvre cet instrument durant sa petite enfance : “Mes premières émotions d’orgue, c’est quand j’ai entendu pour la première fois l’orgue de Dole, dans mon pays natal. Ma grand-mère m’avait conduit dans cette église un jour de première communion et c’est là que j’ai entendu ce grand orgue. J’ai été subjugué !”, confie-t-il en 2003 à Marc Baumann. Dès 9 ans, il joue modestement en autodidacte pour l’office du dimanche. Naturellement, tout s’enchaîne : il étudie le piano à l’âge de 13 ans et débute les cours d’orgue à 15 ans avec l’organiste de Besançon, Jeanne Marguillard. À 17 ans, il monte à Paris où il intègre la prestigieuse école César-Franck pour se perfectionner à l’orgue et apprendre les bases de l’écriture musicale auprès d’Édouard Souberbielle, gendre du célèbre écrivain Léon Bloy. Son talent incontestable l’amène à devenir, à tout juste 19 ans, organiste titulaire de l’orgue de Saint-Germain-des Prés pendant deux ans.
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À 20 ans, il intègre le conservatoire national de Paris et se perfectionne dans la classe du grand Marcel Dupré, organiste de renommée mondiale, célèbre, notamment, pour ses récitals où il exécute, de mémoire, l’intégralité des œuvres pour orgue de Bach. Le talent du jeune Chapuis est toujours au rendez-vous, puisqu’il reçoit en 1951, le premier prix d’interprétation et d’improvisation et devient, au même moment, titulaire d’une autre tribune prestigieuse de Paris : Saint-Germain-l’Auxerrois.
Passionné de facture d’orgues
Le vif intérêt qu’il porte à son instrument le pousse à approfondir ses connaissances techniques sur l’orgue, conscient que pour être un bon organiste il est essentiel de connaître le fonctionnement d’une telle “machine”. C’est ainsi qu’en 1951, il effectue un stage comme facteur d’orgue chez Erwin Muller à Saint-Germain-en-Laye. Ses connaissances l’amèneront, par la suite, à superviser la restauration d’orgues historiques. On peut citer, entre autres, la restauration de l’orgue de Saint-Séverin, réalisé par François-Henri Clicquot au XVIIIe siècle. Suite à de nombreuses transformations au cours des siècles, l’orgue perd sa sonorité classique. En 1968, on décide d’entreprendre de grands travaux de restauration. Le magnifique buffet XVIIIe est conservé mais Michel Chapuis se bat pour que l’orgue retrouve ses sonorités du XVIIIe siècle. Avec l’aide du facteur d’orgue strasbourgeois Kern, il redonne vie à l’orgue et révolutionne, par la même occasion, la vision de la facture d’orgue française.
En effet, sa passion pour l’orgue classique français le pousse à lutter contre la mode « néo-classique » de certains organistes et facteurs d’orgue prêts à détruire et transformer des orgues anciens pour les “moderniser”. On pense notamment à la refonte des tuyaux du XVIIe siècle de l’orgue d’Auch qui avait soulevé l’indignation au-delà des frontières. Afin de lutter activement contre la restauration trop hâtive des orgues classiques français ainsi que des orgues romantiques — en s’appuyant sur des recherches historiques et techniques rigoureuses — il crée, le 21 décembre 1967, l’association française pour la sauvegarde des orgues anciens (AFSOA).
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La renaissance du répertoire classique des XVIIe et XVIIIe siècles
Alors que s’enchaînent les postes d’organiste dans les plus prestigieuses tribunes de Paris : Saint-Nicolas-des-Champs — après son service militaire —, Notre-Dame de Paris pour l’orgue de chœur, Saint-Séverin pendant 35 ans, et enfin la chapelle royale de Versailles, il redécouvre au fil des années, par sa pratique et ses connaissances théoriques, le répertoire français des XVIIe et XVIIIe siècles. Il ressuscite les traités d’interprétation de ces époques, longtemps oubliés, et révolutionne l’exécution des œuvres de Bach mais aussi des compositeurs français qu’il affectionne particulièrement : Nicolas de Grigny, François Couperin, Louis Marchand, Louis-Nicolas Clérembault, Louis-Claude Daquin et tant d’autres. C’est notamment lui qui remet à l’honneur le jeu en notes inégales si particulier à la musique française.
Magnifique interprète et improvisateur
Très rapidement en parallèle de sa charge d’organiste, il devient professeur dans différents conservatoires dont celui de Paris de 1986 à 1995. Les organistes du monde entier, qui constituent aujourd’hui la nouvelle génération, viennent chercher en lui ses talents de pédagogue mais aussi sa profonde culture musicale.
Interprète de génie comme en témoigne sa discographie conséquente, il fut, également, ce que l’on sait moins, un improvisateur de talent. Étonnamment, il n’a jamais voulu laissé de compositions. En février 2003, il confiait de nouveau à Marc Baumann : “Je n’ai jamais composé sauf des pièces qui seraient d’usage liturgique paroissial. J’ai écrit des cantiques, des choses comme ça. Il y a un certain nombre d’années, j’avais écrit quelques pièces d’orgue, mais je n’ai pas donné suite à ça, j’estimais que je n’avais rien de spécial à dire. Par contre, j’aime bien l’improvisation. Je l’avais abandonnée durant un certain temps, et je l’ai reprise il y a quelques années.”
Pour apprécier ses talents d’improvisateur, rien de mieux que de se plonger dans les trois documentaires, sortis en DVD, qui lui ont été consacré. Intitulés “notes personnelles”, Michel Chapuis y partage sa passion pour l’orgue français (vol. 1), l’orgue romantico-symphonique (vol. 2) et l’orgue allemand (vol. 3).
Découvrez un extrait du 1er volume “France, XVIIIe siècle, orgues Clicquot — Orgue de la chapelle de Versailles (1710) et orgue de Souvigny-Allier (1783)” :