Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, la France s’est progressivement couverte de monuments aux morts. Quelques-uns seulement sont des monuments pacifistes, qui osent maudire la guerre et délivrer un message de paix…
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En France, la plupart des monuments aux morts de 14-18 célèbre la gloire des soldats « morts pour la France ». Des poilus victorieux brandissent des palmes, des couronnes de lauriers et des drapeaux. C’est ce discours officiel que l’État français a encouragé sous forme de subventions aux communes entre 1920 et 1925. Mais il y eut « des villages d’irréductibles gaulois » qui voulurent exprimer l’horreur de la guerre et délivrer un message de paix. Ces initiatives furent essentiellement le fait de communes réputées républicaines et pacifistes.
Des inscriptions contre la guerre
« Maudite soit la guerre » est la phrase qui revient le plus souvent sur les monuments pacifistes reconnus, comme à Gentioux-Pigerolles (Creuse) ou à Equeurdreville-Hainneville (Manche). On trouve aussi le concept de « Guerre à la guerre », cher à Jean Jaurès, à Gy-L’évêque dans l’Yonne ou à Sainte-Savine dans l’Aube, « Contre la guerre » à Dardilly, près de Lyon ou « Apprenons à supprimer la guerre » à Rocles dans l’Allier.
Parfois, il a fallu attendre quelques années pour qu’une nouvelle municipalité rajoute un texte, comme à Mazaugues (Var) où l’on peut lire depuis 1936 une citation de Jean Jaurès : « L’humanité est maudite, si, pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement. » A Saint-Appolinaire, près de Tarare dans le Rhône, il n’y avait qu’une plaque commémorative dans l’église. Une stèle contemporaine de granit rose a été érigée en 1977 sur la place de la Mairie, avec la fameuse phrase de l’écrivain Paul Valéry : « La guerre est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui, eux, se connaissent mais ne se massacrent pas ».
Ailleurs, ce sont des attitudes expressives qui dénoncent la guerre comme à Péronne (Somme) où le point vengeur d’une paysanne en tablier peut être interprété comme un sentiment de révolte envers la guerre elle-même.
Édifier un monument aux morts non belliciste est un acte de courage qui a retardé nombre de chantiers car il a fallu prendre le temps de trouver un accord entre élus et anciens combattants. A Equeurdreville, le monument aux morts pacifiste défendu par le maire socialiste Hippolyte Mars n’a ainsi été inauguré qu’en 1932.
Aujourd’hui, des rassemblements d’associations de libres penseurs, de mouvements internationalistes, anti-guerre, sont organisés au moment du 11 novembre autour de certains monuments pacifistes, notamment à Gentioux, sur le plateau de Millevaches.
Des poèmes pour la paix sur les monuments aux morts
Le mot PAX, peut tenir en trois lettres sur un obélisque ou une colonne, comme à Barr (Bas-Rhin), mais la paix fut aussi gravée en vers avec un lyrisme contrastant avec le patriotisme ambiant. A Châteaux-Arnoux (Alpes-de-Haute-Provence), on peut lire sur le socle du monument aux morts un poème de Victorin Maurel, le maire de l’époque, instituteur et membre fondateur de la Ligue des droits de l’homme. Au pied de l’obélisque, une mère éplorée montre la liste des morts à un jeune homme debout brisant un glaive sur ses genoux, comme pour dire “Plus jamais ça”.
Le poème intitulé PAX…VOX POPULI se termine par ces vers :
« Passant, incline-toi ! Regarde cette mère !…
Mais, sache désormais, que la guerre est un crime
Qu’elle laisse après elle, à de cuisants remords,
Ceux qui firent sombrer les peuples dans l’abîme. »
Un bilan de la guerre
A Saint-Martin-d’Estréaux (Loire), commune de 900 habitants, le monument est un véritable manifeste antimilitariste. Trois panneaux dressent un bilan terrible de la guerre et livrent une formule d’avenir « si tu veux la paix, prépare la paix ».
Plus de douze millions de morts !
Autant d’individus qui ne sont pas nés !
Plus encore de mutilés, blessés, veuves et orphelins
Pour d’innombrables milliards de destructions diverses
Des fortunes scandaleuses édifiées sur les misères humaines
Des innocents au poteau d’exécutionDes coupables aux honneurs
La vie atroce pour les déshérités
La formidable note à payer
La guerre aura-t-elle enfin…
Assez provoqué de souffrances et de misères… ?
Pour qu’à leur tour les hommes aient l’intelligence
Et la volonté de tuer la guerre… ?Si vis pacem para bellum ! … Ou
Si tu veux la paix, prépare la guerre !
Est une devise dangereuse
Si vis pacem para pacem ! … Ou
Si tu veux la paix, prépare la paix !
Doit être la formule de l’avenirSi tout l’effort produit…
Et tout l’argent dépensé pour la guerre
L’avaient été pour la paix ?
Pour le progrès social, industriel et économique ?
Le sort de l’humanité serait bien différentMaudite soit la guerre et ses auteurs !
Emma Bujardet « morte de chagrin 1917 »
Inclassable, le monument aux morts de la commune de la Forêt-du-Temple (Creuse) est sans doute le seul en France à commémorer une femme… morte de chagrin en 1917, après le décès de ses trois fils. Son mari Alexandre Bujardet finança une partie du monument aux morts à la condition que le nom de son épouse soit gravé en même temps que celui de leurs trois fils. Cela suscita une polémique chez les anciens combattants du département, mais le maire tint bon, argumentant de la souscription votée par les habitants de la commune à l’unanimité, sauf une voix qui s’était élevée contre l’inscription « de la Emma Bujardet ».
Ces rares monuments aux morts pacifistes, le chiffre varie de 10 à 100, sur plus de 30 000, selon les critères des historiens et des militants, sont le résultat d’actes courageux dans le contexte patriotique de l’immédiat après-guerre. Mais, au fond, défendre la paix entre les peuples, n’est-ce pas forcément un acte courageux ?
En savoir plus :
> http://monumentsmorts.univ-lille3.fr/
> http://centenaire.org/fr/la-mission/la-mission-du-centenaire