“Essayez de donner de vous-même. Si vous parvenez à trouver l’équilibre entre ce que vous donnez et ce que vous recevez, vous élèverez votre vie”, assure le Grand Hospitalier de l’Ordre souverain de Malte, Dominique Prince de La Rochefoucauld-Montbel.Konrad Sawicki : Qui est le Grand Hospitalier de l’Ordre souverain de Malte ?
Dominique de La Rochefoucauld-Montbel, Grand Hospitalier S.E. le Prince de La Rochefoucauld-Montbel Bailli Grand-Croix d’Honneur et Dévotion en Obédience : Historiquement, l’Ordre des Chevaliers de l’Hôpital de saint Jean de Jérusalem a toujours placé une personne à la tête de chacun de ses hôpitaux, hospices ou lieux d’accueil pour les pèlerins. Son rôle était de s’occuper des pèlerins et des malades et de leur offrir l’hospitalité. Cette fonction en particulier est parfaitement en adéquation avec la vocation première de l’Ordre de Malte, à savoir l’accueil et l’accompagnement des personnes qui sont dans le besoin. Les choses n’ont pas changé. Chaque structure de l’Ordre à travers le monde a son propre Hospitalier, qui est responsable de l’aspect médical et social. Le Grand Hospitalier est lui responsable pour tout l’Ordre et fait partie du gouvernement de celui-ci. On pourrait dire en termes actuels que son statut correspond à celui de ministre de la Santé et des Affaires sociales.
Pouvez-vous me dire en quelques mots en quoi consistent les missions de l’Ordre de Malte aujourd’hui ?
Il est difficile d’évoquer toutes nos activités en quelques phrases seulement. Mais pour résumer, je dirais que l’Ordre est actuellement impliqué dans 2000 projets dans pas moins de 120 pays à travers le monde. Nous avons environ 100 000 volontaires qui œuvrent pour nous, ainsi que 25 000 salariés permanents. Ce ne sont que des chiffres bien sûr, mais ils montrent l’ampleur de notre champ d’action. Nos actions sont diverses : gérer des hôpitaux, des foyers pour les personnes âgées ou handicapées ; nous œuvrons aussi sur le plan social auprès de personnes sans abri et de réfugiés. En outre, l’Ordre agit également dans le domaine de l’éducation puisque nous gérons aussi des écoles. En Afrique, l’Ordre mène des campagnes de grande envergure contre le Sida, la tuberculose, le paludisme ou encore la lèpre.
De nos jours, comment peut-on devenir chevalier de l’Ordre de Malte ?
Je dirais que c’est une question de service, de service, et encore de service ! Si quelqu’un veut vraiment servir, il a des chances de devenir membre de cette organisation tout à fait unique. Nous gérons des hôpitaux en Afrique et sommes présents à certaines sessions de l’Onu. Je me suis par exemple exprimé à l’Onu sur les questions migratoires. En gros, quand on effectue un service en tant que volontaire, on entre petit à petit dans cette grande famille. Une fois qu’on est entré, on en veut toujours plus. Donc oui, tout commence par le service, par le volontariat. Et puis un jour, même si ce n’est pas le chemin auquel tous sont appelés, on réalise qu’on souhaite s’engager encore plus dans cette vocation. Sur le plan personnel, mais aussi familial et professionnel. La foi joue là un rôle capital. On vit sa foi et on la fait grandir en étant au service d’une autre personne humaine.
Nous voyons le Christ dans les malades et les personnes qui souffrent. Nous Le voyons dans les réfugiés. L’Évangile nous dit : “J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire etc.” Être un membre de l’Ordre de Malte, c’est cela. Ces paroles sont l’essence même de notre action. Si une personne aspire à cet idéal de vie, elle peut intégrer notre formation et devenir un membre de l’Ordre. Ce chemin implique de s’investir dans des actions au nom de l’Église et de venir en aide aux malades et aux indigents, en s’appuyant sur une prière quotidienne importante.
Les chevaliers de l’Ordre de Malte ont-ils des obligations spirituelles ?
C’est un peu comme pour un voyage en train : on peut voyager en première, en deuxième ou en troisième classe, avec un niveau de confort qui diminue à chaque classe. Pour les chevaliers de l’Ordre de Malte c’est pareil, mais dans l’autre sens. Plus on s’approche de la première classe, plus le niveau de confort baisse et plus le service doit occuper une place importante.
Être membre de l’Ordre de Malte signifie que l’on fait partie d’une organisation catholique. Cela veut dire que l’on doit autant que possible mener une vie en accord avec la foi catholique. Par exemple, la première étape de la formation dure 18 mois et comporte un vœu spécifique d’obédience. S’ajoutent ensuite d’autres engagements spirituels comme la prière du bréviaire, etc. Mais le service aux autres reste l’élément le plus important. Il ne s’agit pas d’une simple assistance aux personnes dans le besoin. Quand on voit le Christ souffrant dans ces personnes, l’action menée prend une toute autre dimension et devient matière spirituelle. C’est ainsi que l’on accepte l’autre dans son intégralité, dans toute sa personne.
Si je ne me trompe pas, c’est une vocation pour des laïcs qui ont des familles ?
C’est vrai, mais l’Ordre de Malte compte aussi des religieux, qui ont préalablement prononcé les vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté. C’est une des voies de notre ministère depuis les origines au XIe siècle. Au XIIIe siècle, un quatrième vœu a été ajouté qui n’existe dans aucun autre ordre : un vœu de service pour les malades et les pauvres. Voilà qui montre encore un peu plus ce que l’on attend d’un membre de l’Ordre. Suivre cette vocation signifie qu’il faut être un témoin par le service. Il n’existe pas d’autre vœu religieux comme celui-là. On s’engage à servir les pauvres et les malades jusqu’à sa mort.
J’ai pu voir que les membres de l’Ordre portaient une médaille sur le revers de leur habit.
Tout à fait. La médaille dépend de la classe à laquelle on appartient, pour reprendre l’image du train. Plus la classe est élevée, plus la médaille est dépouillée. Par exemple, quand on passe dans la deuxième classe, on perd une petite couronne. Cela aussi en dit long sur notre vocation : nous inversons la hiérarchie des possessions terrestres.
L’Ordre de Malte a-t-il toujours été aussi proche de l’Église institutionnelle ?
Pendant 900 ans, nous avons été une institution de l’Église, reconnue par le Saint-Siège en 1113. Au cours des siècles suivants, l’Ordre a ensuite été reconnu comme un État, ou plutôt comme un quasi-État. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous sommes une organisation reconnue par le droit international et en tant que telle nous avons certains attributs d’un État. Peu de gens savent que l’Ordre de Malte est reconnu par 106 États à travers le monde avec lesquels il entretient des relations officielles. Nous avons nos propres ambassadeurs et nos propres représentants dans des organisations internationales telles que l’Onu, l’OMS, la Croix Rouge, la Fao, etc.
Dans le même temps, nous restons une institution religieuse au sein de l’Église. C’est pourquoi le chef de l’Ordre est à la fois son supérieur religieux et son souverain. Son statut est similaire à celui d’un abbé ou d’un supérieur général. C’est un peu comme avec le Vatican et le Pape, qui est à la fois chef d’État et supérieur religieux.
En parlant de Supérieur de l’Ordre de Malte, je suis obligé de mentionner les problèmes auxquels vous avez été confrontés récemment. À la demande du Pape, le Grand Maître des Chevaliers de Malte a dû démissionner, bien que ce soit normalement un statut à vie.
C’est vrai. Ce n’est que la troisième fois que cela arrive en 900 ans. Nous traversions une crise majeure. J’ai eu l’occasion de m’adresser au Pape à deux reprises au cours de cette période. Actuellement, nous sommes dirigés par un supérieur temporaire, Lieutenant du Grand Maître, qui a été élu pour une période d’un an. Pendant ce laps de temps, nous redoublons d’efforts pour rebâtir une confiance fortement ébranlée et pour réformer l’Ordre.
Aujourd’hui, des centaines de chevaliers sont investis dans un important processus de réforme, comparable par certains aspects à la réforme de Vatican II. Dans le même temps, nous nous préparons à élire un nouveau Grand Maître.
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Avez-vous un message pour les lecteurs d’Aleteia, en particulier les jeunes ?
Ce n’est pas une question facile ! Je soulignerais peut-être à quel point faire l’effort de s’engager et donner beaucoup de soi sont des choses importantes dans une vie. Cela peut être dur sur le moment, mais l’effort porte du fruit en procurant une meilleure qualité de vie. La joie est alors immensément plus grande.
C’est pourquoi je voudrais encourager les jeunes à ne pas être égoïstes et à essayer de comprendre les autres. Il est important d’être capable d’écouter les autres et de remarquer les personnes qui sont dans le besoin. Vous ne devez pas nécessairement donner de l’argent dans la rue tous les jours, mais au moins, ne détournez pas la tête. Si une personne dans le besoin vous approche, ne détournez pas le regard mais demandez-lui son nom. Si vous voulez que les autres soient attentifs à vous, vous devez l’être envers ceux qui en ont besoin.
Enfin, ne vous contentez pas de demander des choses et d’attendre que tout vous soit dû. Essayez de donner de vous-mêmes. Si vous parvenez à trouver l’équilibre entre ce que vous donnez et ce que vous recevez, vous élèverez votre vie à un tout autre niveau.
Propos recueillis par Konrad Sawicki, journaliste pour Aleteia Pologne.