Ce samedi 30 septembre, alors que nous fêtons Jérôme de Stridon, le saint doit répondre à une accusation : est-il coupable d’avoir affublé Moïse de cornes ?
Jusqu’au XVIIIe siècle, Moïse était souvent représenté dans l’art avec des cornes. Et pour cause, lorsqu’il est décrit, descendant du Sinaï, la Bible latine traduite par saint Jérôme au IVe siècle, la vulgate, le décrit comme cornatus, « cornu ». C’est ce qui explique son aspect dans plusieurs statues, dont celle parachevée par Michel Ange en 1515, qui campe un porteur des Tables de la Loi puissant comme un dieu romain.
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Précisons tout de suite que nous laissons Séphora en dehors de cette affaire d’appendices cornus : personne n’a jamais soupçonné l’épouse du prophète d’infidélité ! En réalité, saint Jérôme aurait pu être trompé par la proximité des mots keren, cornu et karan, rayonnant, en raison de l’absence de voyelle dans l’écriture hébraïque ancienne. Les versets hébreux de l’Exode emploient à trois reprises (Ex 34-29, Ex 34-30 et Ex 34-35) le terme impliqué, au moment où Moïse descend du Sinaï avec les Tables de la Loi, pour la deuxième fois. Bref, il semblerait que cette bizarrerie ne soit qu’une erreur de traduction de la part du saint, malgré son érudition.
« Cornu » ou « rayonnant » ?
Mais cette explication ne satisfait pas Thomas Römer, professeur de Bible hébraïque à la Faculté de théologie et des sciences des religions de l’Université de Lausanne, qui occupe la chaire « Milieux bibliques » du Collège de France depuis 2007. Il assure que la traduction de Jérôme de Stridon (le futur saint Jérôme) est la bonne. Si nous voyons, à l’époque contemporaine, dans les cornes un attribut grotesque, animal ou démoniaque, il n’en était pas de même à l’époque où le Livre de l’Exode a été rédigé. Influencés par les cultures de Mésopotamie, où la corne marque la force d’un dieu, les Hébreux y voyaient au contraire un signe de puissance divine. Elles pourraient avoir un autre sens, complémentaire, selon le professeur, car elles apparaissent peu après l’épisode du « veau d’or », qui pourrait être traduit plus exactement par « jeune taureau ». Moïse, ayant détruit l’idole et refusant la représentation de Dieu, remonte sur le Sinaï, quand il redescend, il devient le représentant de Dieu, et « prend, d’une certaine façon, la place du veau d’or », explique-t-il.
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Une explication audacieuse, qui n’a pas été retenue par l’actuelle vulgate, dite Néo-Vulgate, où l’on dit de Moïse que « la peau de son visage rayonnait ». Ce visage rayonnant fait aussi sens, puisqu’il correspond au rayonnement originel qui émanait d’Adam et Eve, avant la faute… Alors rayonnement ou corne ? Une solution conciliante a été avancée au XIe siècle par le commentateur de la Bible Rachi de Troyes, qui note que les deux mots ont la même racine, et ce parce que la lumière qui rayonne brille et ressort telle une corne. Marc Chagall semble s’être emparé de cette solution dans sa représentation de Moïse recevant les tables de la Loi (1960-1966, Nice, musée Chagall) : le prophète a deux rayons lumineux au sommet du crâne, qui ressemblent à des cornes.