Dans « Nos ancêtres les saints », Samuel Pruvot, rédacteur en chef du magazine « Famille chrétienne », raconte l’histoire de France à travers ses saints. Parmi eux, la méconnue Pauline Jaricot.
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L’histoire de France est complexe et ne peut pas se résumer à l’œuvre de quelques géants comme Charlemagne ou Napoléon Ier. La France, fille aînée de l’Église, ce sont également des saints, dont l’histoire est inséparable du récit national. C’est ce que tente de rappeler Samuel Pruvot, rédacteur en chef de Famille chrétienne et membre de la communauté apostolique Aïn Karem, dans son dernier livre, Nos ancêtres les saints, publié ce 29 septembre aux éditions du Cerf. Dans cet ouvrage, l’auteur fait le choix audacieux de proposer une histoire de la France missionnaire sans célébrer de saints “célèbres” afin de mieux se concentrer sur des figures moins connues, comme la vénérable Pauline Jaricot, pionnière du catholicisme social.
« 1816. Tout a commencé en un certain dimanche de Carême. Pauline fait sensation quand elle rentre dans l’église Saint-Nizier. Elle remonte la nef comme un général pressé à l’heure du triomphe. Cette grande brune, aux yeux en amande, porte une robe de taffetas bleu, des souliers à rubans, et sur ses cheveux aux longues boucles, un chapeau de paille d’Italie relevé par une touffe de roses. Sa beauté irradie. Personne ne devine que cette conquérante est complètement myope.
Ce jour-là, l’abbé Wurtz a décidé de prêcher sur les illusions de la vanité. Sans doute pour corriger la vue de ses paroissiens ? Pauline et l’abbé, c’est le choc entre les ors de la bourgeoisie lyonnaise et le noir charbon de la pénitence. Changer de vie ? Pauline n’y songeait pas vraiment. Elle tergiversait, elle étouffait les appels, elle faisait la sourde oreille. Pauline écrit plus tard dans son autobiographie spirituelle : “J’avais environ dix-sept ans lorsque mon pauvre cœur, las de ses recherches infructueuses de la félicité dans un monde corrompu et périssable, résolut enfin de fixer son inconstance dans l’affection de son Dieu. […] Je cherchais avec avidité quelque chose qui pût combler l’immensité de mon cœur.”
[…]
Et si la mission se trouvait aussi à Lyon ? Cette prise de conscience s’impose peu à peu à Pauline à force de côtoyer l’industrie de la soie. La Révolution industrielle, venue d’Angleterre, n’a pas attendu les livres de Karl Marx pour qu’on voie les ravages s’étendre de l’autre côté de la Manche. La machine, ce monstre chaud dans les mains d’entrepreneurs avides, tend à dévorer la main-d’œuvre qui se presse dans les villes. Mais l’homme n’est pas une simple “force de travail à vendre”. Bref, un prolétaire. En référence au statut du citoyen romain pauvre qui n’existait que par ses enfants qu’il devait nourrir. En vérité, sous la Restauration, le capitalisme industriel avance sans rencontrer de sérieux obstacles. Seuls quelques catholiques – minoritaires – commencent à s’émouvoir de la condition de ces ouvriers que certains transforment en chair à capital. C’est le cas d’Alban de Villeneuve Bargemont qui dénonce l’exploitation manufacturière. “Ce qui frappe le plus tout homme animé d’un esprit de justice et d’humanité dans l’examen de la classe ouvrière, c’est l’état de dépendance et d’abandon dans lequel la société livre les ouvriers aux chefs et aux entrepreneurs des manufactures. C’est la faculté illimitée laissée à des capitalistes spéculateurs de réunir autour d’eux des populations entières pour en employer les bras suivant leur intérêt.”
[…]
En 1841, Pauline décide de consacrer toute sa fortune à la création d’un centre industriel. Elle explique : “La plaie sociale dont souffre la France étant dans l’agglomération de la classe ouvrière, je voudrais faire de cette agglomération même, un moyen de Salut.” Elle achète une usine avec un bâtiment attenant pour loger les familles et à côté une école et une chapelle. Pour lancer cette aventure Pauline a confié la somme de 700 000 francs-or à des hommes d’affaires. Mais ces derniers détournent les capitaux. “Je tombai, écrit-elle, comme l’homme descendant de Jérusalem à Jéricho, entre les mains de voleurs”. Pauline perd tout. Grevée de dettes, talonnée par les créanciers, elle se met à mendier pour rembourser les pauvres qui lui ont prêté de petites sommes d’argent pour l’usine. Pauline n’en sortira jamais. “J’ai aimé Jésus-Christ plus que tout sur la terre écrit Pauline, et pour l’amour de Lui, j’ai aimé plus que moi-même tous ceux qui étaient dans le travail ou la douleur.” Sur l’autel du capitalisme débridé, elle a perdu et sa réputation et sa santé. »
Nos ancêtres les saints de Samuel Pruvot. Éditions du Cerf, 144 pages, 10 euros.