Habitué aux parois vertigineuses et aux longues marches, aventurier complet et écrivain reconnu, Sylvain Tesson se révèle aussi penseur de haute altitude.
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Il fallait donc une chute. Violente, brutale. Dans la nuit sombre d’un mois d’août, depuis la façade d’une maison de Chamonix. C’était en 2014, Sylvain Tesson était alors cet écrivain-aventurier que les médias s’arrachaient et que lui ne choisissait qu’avec parcimonie. Il était ce possédé de la marche, du dynamisme, qui recherchait désormais à entrer en lui, à se forcer à un peu plus de stabilité, à tenter la délicate transition du nomadisme à la sédentarité. Quelques grammes d’alcool plus loin, le « Prince des chats » pourtant habitué depuis son adolescence à ces escalades nocturnes, était rivé au sol, débutant un long voyage dans les steppes du coma et le raide chemin d’une rééducation au long cours. Il fallait une chute ? Quelle drôle d’idée. L’écrivain Tesson avait-il besoin de cela pour mesurer toute la gravité de notre condition ? Le tragique de toute vie humaine ? Lui fallait-il cette grande brisure pour découvrir la verticalité ? Non, certainement pas. Mais notre poète-voyageur est tant attaché au fatum, au destin — qu’il se refuse à appeler Providence — que c’est bien ainsi qu’il faut envisager cette chute.
Frénésie et survie de l’âme
De 2014 à 2017, notre wanderer a — nécessité fait loi — considérablement limité ses déplacements. Cela ne l’empêche pas d’aller contempler les plages du pays basque, de retrouver peu à peu sa mobilité et même son adresse d’antan sur les parois aveuglantes des calanques. Entre deux virées, qui sont autant d’occasions de contemplation de la nature et de méditation sur la petite bête humaine, Sylvain Tesson regarde les tressaillements de son époque, qui lui paraît bien étonnante. Culte de l’image, fuite dans le virtuel, frénésie de la consommation… “À quoi cela peut-il bien mener ?” se demande-t-il, page après page. Même s’il semble s’en défendre, Tesson n’a qu’une obsession : trouver les conditions de la survie de l’âme. C’est que le gaillard n’a pas lu Bernanos, Weil, Jünger et Chesterton de travers. De ces grands maîtres, dont il a longuement ruminé les œuvres, il actualise la pensée : « À l’heure des Airbus, ce que l’on gagne en temps, on le perd en aventure, ce que l’on obtient en confort, on le brade en mystère ». Il faut donc chercher le silence, l’immobilité, la solitude. Retrouver le mystère de l’homme, contre les chimères. « Réduire l’espace de notre agitation, se replier dans un domaine, ne vouloir atteindre que ce qui est accessible. Accueillir des pensées universelles en cultivant un lopin. Ne côtoyer que les gens qu’on peut aller visiter à pied (…) en bref, vivre sur les chemins noirs ». Un idéal à portée de main ?
Des dieux jusqu’à Dieu
Du Christ il fait un « stoïcien crucifié ». Cela fait bien longtemps que Sylvain Tesson entretient une relation ambiguë au christianisme. Et nul ne sait vraiment le rôle que jouèrent les icônes qu’il avait placées au mur de sa cabane lors de sa longue retraite dans les forêts de Sibérie. Saint Séraphim de Sarov lui souffla-t-il quelques précieux conseils ? « Il n’est pas nécessaire de dire son chapelet pour refuser que les versets du Coran soient marmonnés sous les clochers qui hérissent la France du Mercantour au Cotentin, comme le signe d’une vieille alliance passée dans notre histoire entre le Christ et nous, entre le Ciel et le paysage » écrit-il dans ce bloc-note qui se soucie peu du politiquement correct. Mais l’approche spirituelle de Tesson n’est sûrement pas réductible à un catholicisme culturel, dans les profondeurs se mêlent les influences de l’orthodoxie russe, des chants de Péguy et du polythéisme des Antiques. « Un seul beau geste vaut des années d’effort ».
Une très légère oscillation fourmille de ces aphorismes taillés auprès du feu, dans le silence d’un bivouac d’été. Fragments qui chantent la nature, la beauté du cosmos, la force des grands rythmes. Indéniablement : chaque livre de Tesson nous élève un peu plus haut. Un autre écrivain-voyageur, Erik L’Homme, a fort bien résumé la rédemption de Sylvain Tesson, racontée au fil de ces pages : « Tout ce qu’il a laissé dans sa chute, il l’a gagné en profondeur et en humanité ». N’est-ce pas ce que nous aimerions puiser nous-mêmes au fond de nos chutes, si nombreuses ?
Une très légère oscillation, de Sylvain Tesson. Éditions des Équateurs, 19 euros.
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