Au cours de la période révolutionnaire, alors que les congrégations religieuses sont dissoutes et les biens du clergé confisqués, un jeune Parisien, soucieux des trésors patrimoniaux que contenaient les églises, décide de tout mettre en œuvre pour les sauvegarder. En 1795, il crée le musée des Monuments français pour y exposer ces chefs-d’œuvre. Retour sur le destin exceptionnel d’Alexandre Lenoir.
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Né en 1761, Alexandre débute sa carrière comme peintre avant d’évoluer vers une carrière d’historien. Le 3 juin 1791, à l’âge de 31 ans, en pleine période révolutionnaire, son maître Gabriel François Doyen, le nomme à la tête du dépôt des Petits-Augustins, créé six mois auparavant.
Sauvegarder les richesses patrimoniales de la tourmente révolutionnaire
Ce dépôt, installé dans le couvent de Petits-Augustins — aujourd’hui l’école des Beaux-Arts de Paris depuis 1817 — servait à accueillir les richesses lapidaires et les tombeaux des églises et couvents de Paris. Ce dépôt avait été créé par la Commission des monuments chargée d’inventorier les biens des églises. En effet, même si le désir des révolutionnaires était de supprimer tous les symboles de la royauté et de la noblesse, ils avaient conscience que certaines œuvres d’art devaient être conservées pour les générations futures. Ainsi la mission d’Alexandre Lenoir était claire : il fallait sauver de tout vandalisme, trafic et destructions les œuvres appartenant désormais à la nation.
Mais pour Lenoir, ardent défenseur du patrimoine, la mission va au delà. Il ne se cantonne pas à inventorier et trier les œuvres saisies. Profondément attaché à ce patrimoine, il va jusqu’à s’interposer face aux révolutionnaires, qui, le jour de l’exhumation des restes royaux à Saint-Denis, étaient prêts à briser les tombeaux. Sa fougue s’exprime à nouveau à la Sorbonne lorsqu’il défend le tombeau de Richelieu face à la horde de révolutionnaires hystériques.
La naissance du musée des Monuments français
Son énergie le pousse à fonder quatre ans plus tard un lieu unique, refusant de laisser les chefs-d’œuvre s’entreposer vulgairement dans un dépôt. En 1795, on lui accorde l’autorisation d’installer un espace muséal au sein du couvent des Petits-Augustins : le musée des Monuments français voit ainsi officiellement le jour. S’ensuivent de grands travaux de réaménagements avec l’aide des architectes Antoine-Marie Peyre et Charles Percier.
Soucieux d’offrir aux visiteurs une vision complète de l’histoire de l’art, Alexandre Lenoir organise son musée de manière chronologique. La salle d’introduction propose un résumé de la sculpture depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, puis se succèdent des pièces consacrées à chaque siècle. Alors que le musée du Louvre, nouvellement créé, a le monopole pour exposer la peinture, Lenoir se cantonne exclusivement à la sculpture, aux objets d’art ainsi qu’aux fragments d’architecture.
Parmi les richesses exposées, on pouvait admirer les gisants de Charles V et Jeanne de Bourbon, les vitraux de la basilique Saint-Denis, les tombeaux des ducs d’Orléans ou encore ceux de grands artistes tels Jean-Baptiste Lully et Charles Le Brun.
Alors qu’à l’origine le dépôt accueillait uniquement des œuvres issues de Paris, Lenoir n’hésite pas à insister auprès du ministère de l’Intérieur pour rapatrier des monuments plus éloignés situés à Gaillon, Anet, Ecouen, voir Saintes et Cluny. C’est ainsi qu’il installe, dans la cour du couvent, le portique de la façade du château d’Anet — réalisé par Philibert Delorme au XVIe siècle — encore visible aujourd’hui dans l’actuelle école des Beaux-Arts.
Une muséographie innovante
Au fil des années, Lenoir construit une collection impressionnante grâce aux saisies révolutionnaires mais également par ses nombreux achats et transferts. Au delà d’être un fervent défenseur du patrimoine, Lenoir est aussi un visionnaire. Il a une conception très “personnelle” de l’histoire de l’art. Il lui arrive, ainsi, d’assembler des monuments entre eux pour leur donner un sens nouveau. Il avait la volonté de concevoir une muséographie innovante, extraordinaire, pour glorifier les monuments, quitte à occulter leur contexte d’origine. Il désirait avant tout un musée pédagogique pour esquisser une histoire globale de la sculpture tout en magnifiant certaines grandes figures historiques.
Ses recompositions arbitraires lui valent quelques critiques, notamment celle de Boutard, en 1802, qui dénonce, dans le Journal des débats, l’introduction “sans scrupules, dans la composition de plusieurs tombeaux, des morceaux qui non seulement leur sont absoluments étrangers, mais qui souvent contrastent bizarrement”.
Ce musée, véritable lieu contemplatif de l’art français, et actif durant presque vingt ans, attire de nombreux visiteurs venus de toute l’Europe. Fermé sous la Restauration par Louis XVIII, en 1816, les œuvres sont dispersées, rendues aux églises ou bien transférées au musée du Louvre et au musée de Cluny.