Sébastien de Courtois est amoureux d’une ville qu’il voit disparaître sous ses yeux, victime des démons jumeaux de la Turquie : islamisme et nationalisme.
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Ses Lettres du Bosphore pourraient être un recueil crépusculaire des derniers moments de la capitale culturelle de la Turquie avant de basculer dans l’obscurantisme, sans l’amour que Sébastien de Courtois, l’auteur, spécialiste des chrétiens d’Orient, porte envers et contre tout aux Turcs et à leur ville. Une passion qui lui interdit de renoncer tout à fait à l’avenir heureux qu’il rêve pour ses concitoyens d’adoption.
“La Turquie m’a ouvert au monde”, assure Sébastien de Courtois, au point de résider à Istanbul, où il est journaliste correspondant pour la presse française. Exilé volontaire dans cette ville au bord de deux mondes, il se passionne pour ses vieilles pierres et ses histoires enchevêtrées. Pour les Stambouliotes, surtout, dont il se fait l’avocat dans ses articles, affirmant qu’ils ne méritent pas l’indifférence de l’Occident. Il y a là un foisonnement de vies universitaires, littéraires, artistiques, d’autant plus vivace qu’il est directement menacé par les dérives du pouvoir turc actuel. Sa ville, au bord de deux mondes, où l’on bascule d’Asie en Europe en traversant un pont, est aussi au bord du gouffre.
L’accouplement des mauvais génies de la Turquie
Le basculement progressif de la Turquie dans le fondamentalisme musulman peut se pressentir à partir des terrasses de cafés. Les amateurs de raki voient passer des manifestants, qui, au sein d’une même foule, font les signes de reconnaissance des Frères musulmans et ceux des Loups gris, ces militants nationalistes qui ne craignent plus l’association maudite avec les islamistes. Cet attelage conduit le pays en “pleine régression intellectuelle” constate l’écrivain. Dans les ruelles qu’ont foulées l’émir Abd el-Kader et Pierre Loti, les militants du parti “de la justice et du développement” (AKP), du président Erdogan voudraient faire la loi : ils menacent de faire table rase du passé. Les bulldozers ont d’ailleurs déjà commencé le travail, réduisant peu à peu les contours découpés par des milliers d’années d’histoires, à la verticalité du béton. Depuis qu’en 2001 Recep Tayyip Erdogan fondait l’AKP, son parti n’a cessé de prendre de l’importance. L’élection de 2014, plaçant Erdogan officiellement à la tête du pays, a été renforcée par la tentative de coup d’état de juillet 2016, qui lui a permis d’opérer à des purges massives parmi ses opposants. Enfin, le référendum d’avril 2017 lui donne des pouvoirs inédits dans la république turque, au point que ses opposants le baptisent “le sultan”.
Les “chapelle de résistance” de Turquie
Une comparaison que ne fait pas Sébastien de Courtois, qui la trouve “injurieuse pour ces derniers”. Devant l’inquiétude qu’il partage avec ses voisins stambouliotes, il rappelle que le résultat du référendum, favorable à Erdogan seulement à 51%, démontre que les Turcs ne sont pas tous ensorcelés par le nouveau pouvoir. Et ce dernier en a conscience, craignant en particulier “l’esprit de la place Taksim”, du nom des manifestations de mai 2013, parties du refus de la destruction d’un espace vert à Istanbul, et qui fit tache d’huile dans d’autres villes. Sur cette place, une vaste mosquée a été mise en chantier en 2017, et personne ne s’est trompé sur le sens du message que faisaient passer les autorités. Pourtant Sébastien de Courtois refuse de qualifier le gouvernement de son pays d’adoption de “dictature”. “Il convient de se préserver pour l’avenir” explique-t-il, ce mot de dictature, une fois qu’on l’a dit, il ne reste plus rien d’autre. Istanbul n’est pas morte, et les résistants ont encore des cartouches, comme le démontrent les manifestations géantes du 9 juillet 2017.
Lettres du Bosphore de Sébastien de Courtois. Éditions le Passeur, 19,50 euros.