L’association Aux captifs la libération met à profit son expérience avec les gens de la rue pour proposer des méthodes progressives d’accompagnement des alcooliques.“Depuis dix ans, nous avons remarqué que nous allons de moins en moins vers les gens qui avaient une addiction prononcée à l’alcool”, estime François Le Forestier, de l’association consacrées aux personnes de la rue Aux captifs la libération.
En cause, la politique de sevrage des alcooliques : il était posé comme un préalable à toute discussion. L’intention est louable, mais elle se révèlerait contreproductive dans la pratique. François le Forestier prend l’exemple du centre des Captifs dans le XVe arrondissement parisien. Jusqu’à l’année derrière, la consommation d’alcool y était strictement interdite. Mais cette interdiction provoquait des comportements dangereux. Certains résidents se “chargeaient” avant de se rendre au centre, d’autres consommaient en cachette… L’association a donc expérimenté un espace, au sein de son accueil, dans lequel il est permis de boire. “Les personnes que nous accueillons boivent en public, devant les bénévoles, et cela prévient les comportements de surconsommation”. Pour une partie des pensionnaires, l’alcool est si prégnant qu’il est impossible d’espérer les en sevrer à court terme.
L’alcool comme remède
Beaucoup des gens de la rue qui se rendent chez les “Captifs” sont malades, physiquement et psychologiquement, l’alcool est leur panacée. L’un d’entre eux témoigne : “Ça m’aide pour tout : pour la manche, pour dormir, pour pas sentir la pluie ou la chaleur. Je peux te le dire, c’est même ma femme… (…) Alors tous ces braves gens [les professionnels] qui te disent “je vais t’aider mais faut arrêter avec l’alcool”, ils me font marrer… Ils ont qu’à me remplacer tout ça et on verra”. Par ailleurs, pour ceux qui sont les plus atteints, le sevrage représente des risques. Rien de pire que les arrêts brusques, non accompagnés, de consommation : ils aboutissent à des rechutes, et cumulent les impacts négatifs de l’alcool et ceux du sevrage. L’une des personnes accompagnées accuse la logique de l’interdiction stricte de la boisson à l’entrée des foyers d’accueil : “Je connais par cœur, j’ai tout vu, tu sais. Les mecs à l’entrée qui font des crises d’épilepsie parce qu’ils se retiennent de boire pour être acceptés”.
L’argumentation de l’association ressemble à celle des promoteurs des “salles de consommation à moindre risque” de drogues, mais François le Forestier tient toutefois à faire des distinctions. À ses yeux, la salle de consommation à moindre risque qui a été expérimentée à Paris a au moins eu le mérite de limiter les risques d’épidémies, notamment le sida. Mais il s’agit d’un lieu médicalisé, qui n’a pas vocation à accompagner les personnes, simplement à leur donner un lieu pour qu’elles se “droguent à moindre risque”. Elle ne résout en rien le problème de fond. Dans le centre des Captifs, qui a ouvert un espace où il est autorisé de boire, il s’agit de ne pas fermer la porte à ceux qui connaissent une addiction profonde. “Cela nous donne l’opportunité de leur parler, de les accompagner”. Une discussion est alors possible, et la question au cœur d’un processus de guérison peut alors être posée : “À quoi te sert l’alcool ?” Une vraie discussion est un bien précieux témoigne une femme de la rue : “Tu sais depuis combien de temps j’ai pas parlé comme ça ? Ben moi non plus. Je veux dire parler pour de vrai, longtemps, en prenant le temps, en plusieurs fois… Ça arrive jamais. Parce que t’as pas le temps ou parce que t’as trop bu ou que l’autre, en face, il est énervé ou défoncé, y’a toujours quelque chose qui fait que c’est pas possible.”
Face au constat désespérant de l’addiction, il existe des histoires de rémission. Celle de Bertrand, qui a frappé à la porte du centre des Captifs, et qui suit un programme d’insertion par l’activité à la ferme. Celle de Marc, qui travaille désormais à Emmaüs… “L’un des pièges de l’accompagnement des personnes alcooliques c’est de les infantiliser. Personne ne sombre dans la rue et l’alcoolisme par plaisir”, conclut François le Forestier. D’où l’importance à ses yeux d’une nouvelle approche du fléau de l’alcoolisme.
Aux captifs la libération propose deux journées de formation sur le thème : “Exclusion & alcool : une nouvelle approche possible, une réduction des risques et des dommages nécessaire !”, les 3 juillet et 20 octobre 2017.
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