Le père Emmanuel Parvez, prêtre catholique pakistanais, a bâti une communauté pour les plus pauvres, dans la région de Faisalabad, où il accueille chrétiens comme musulmans.Dans son village agricole de la banlieue de Faisalabad, le père Parvez accueille deux cents familles, essentiellement des agriculteurs chrétiens pauvres, qui étaient auparavant réduits à la condition de travailleurs esclaves. Mais aussi certaines familles musulmanes. Dans ce pays à forte majorité musulmane, où les chrétiens sont méprisés, voire persécutés, cette mixité représente un espoir.
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Aleteia : Les chrétiens sont des citoyens de seconde zone au Pakistan, comment expliquer que, chez vous, chrétiens et musulmans se côtoient ?
Père Parvez : Je suis professeur, et dans mon école, une moitié des élèves est musulmane, l’autre chrétienne. Nous recrutons aussi des professeurs musulmans, et cela rassure les parents : ils voient que nous ne cherchons pas à endoctriner les enfants. Notre école est appréciée parce que le niveau est bon et qu’il y a de la discipline. C’est là que des relations entre chrétiens et musulmans se tissent, et cela nous aide beaucoup à vivre en paix avec nos voisins.
Cette paix ne va pas de soi au Pakistan, quels sont les problèmes que rencontrent les chrétiens ?
Nous chrétiens sommes méprisés. Les musulmans ne veulent pas que les chrétiens aient de bons emplois, mais seulement ceux qu’ils trouvent avilissants. Nous sommes tenus à la discrétion, il n’est pas question pour nous d’utiliser des cloches dans nos églises, ou de boire de l’alcool en public. Pendant un temps, j’utilisais les hauts parleurs qui donnaient sur l’extérieur pour mes sermons. Je savais que les voisins musulmans entendaient et je choisissais bien mes mots, en espérant que cela participerait à la compréhension mutuelle. Plusieurs musulmans m’écoutaient et appréciaient mes sermons. Mais d’autres sont venus, et ils m’ont dit que si je faisais une seule erreur, ils allaient “tous nous finir”. J’ai éteint les hauts parleurs extérieurs, parce que la plus petite phrase peut être tordue pour devenir ce qu’ils appellent un blasphème.
On connaît le problème posé par la loi anti-blasphème, notamment à cause du cas d’Asia Bibi, mais change-t-elle la vie quotidienne de tous les Pakistanais ?
Oui, car elle peut être utilisée à tout moment. Il y a de bons avocats au Pakistan, mais ils ne sont d’aucun secours quand ils doivent défendre un client accusé de blasphème. Un professeur chrétien, dans une école musulmane, était sur le point de devenir directeur, mais ses collègues ont refusé cet avancement. Il leur a suffi de l’accuser de blasphémer le Coran et leur problème était réglé. À Faisalabad, un juge a eu le courage de prendre la défense de deux frères accusés de blasphème, mais une foule en colère l’a lynché, en même temps que les deux accusés. Dès que les mots “blasphémer le Coran” sont prononcés il n’y a plus de logique, plus de raisonnement, ils deviennent comme fous.
Quel est le rôle de l’État pakistanais dans ces flambées de violence ?
L’État pakistanais laisse des pans entiers de son autorité lui échapper. Pour vous donner un exemple simple, c’est notre paroisse qui a dû prendre l’initiative de rénover le système d’écoulement d’eaux usées dans notre quartier. Nous avons demandé à tous les habitants de contribuer selon leurs moyens, et cela s’est bien passé, mais cela démontre que l’État ne fait pas son travail. Pour enrayer la violence, il prend des mesures comme d’assigner à domicile les imams pendant certaines grandes fêtes musulmanes, mais il ne peut pas les destituer. Les autorités savent que plusieurs d’entre eux profitent de ces moments où les esprits s’échauffent pour lancer des prêches virulents… Souvent suivis d’effets !
Pourquoi y a-t-il une telle violence dans votre pays ?
Il y a beaucoup de colère chez les musulmans. Ils se sentent humiliés par leur situation dans le monde. Ils disent souvent qu’il y a 52 pays musulmans dans le monde, mais qu’ils ne représentent rien, ne pèsent rien. Ils ne supportent pas l’existence de l’État d’Israël, et ils voient l’histoire récente des pays musulmans comme une série de défaites. Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein et même Ben Laden étaient des héros à leurs yeux. “Ils ont tous été tués par les Américains”, disent-ils. Cette colère engendre la violence. De plus, il y a une dizaine d’années, les imams ont commencé à dire que le suicide pour tuer des mécréants était “halal” (“permis”) et cette nouvelle forme d’attentat fait depuis des ravages au Pakistan. Les premières victimes ne sont d’ailleurs pas des chrétiens, mais des musulmans eux-mêmes qui se battent entre diverses obédiences… Je connais l’exemple d’une procession religieuse sunnite qui a fini dans une mosquée chiite, ça a été un épouvantable massacre !
Il est difficile d’imaginer que, dans le même temps, vous puissiez vivre en paix, comment faites-vous ?
Nous partageons la vie de nos voisins musulmans, et ils voient que nous ne faisons rien de mal. Nous partageons aussi beaucoup de points de la foi. Les musulmans sont très friands de nos fêtes chrétiennes, en particulier Noël. Quand nous faisons nos crèches vivantes, il y a des petits chrétiens et des petits musulmans qui jouent Joseph, Marie et même les moutons… Ils apprécient aussi beaucoup notre dévotion à Marie. Lors de la dernière fête consacrée à “Marie mère de Jésus”, c’est une écolière musulmane qui porta la couronne de fleurs sur la tête de la statue de Marie. Elle n’était pas assez grande, donc il a fallu qu’un père la porte. C’est un moment qu’il aurait fallu prendre en photo, un prêtre, portant une petite musulmane devant Marie !
Les musulmans ont une dévotion particulière à Marie ?
C’est la seule femme qui a de l’importance dans le Coran. Et ils apprécient en particulier le grand pèlerinage annuel des chrétiens du Pakistan à Mariamabad. Chaque année il rassemble de 300 à 400 000 pèlerins. Il y a des gens qui convergent de partout, en bus, puis à vélo, à pied. C’est une cohue indescriptible ! Ce pèlerinage à la réputation d’assurer la fécondité aux époux en mal d’enfants. Je connais un couple musulman qui était dans ce cas, et qui, depuis, a eu trois enfants ! Depuis ils aident les pèlerins, préparant des repas et des lits, pour ceux qui viennent de loin.
Y a-t-il des conversions au christianisme ?
Nous ne faisons rien qui puisse ressembler à du prosélytisme. Je n’ai jamais proposé à un musulman d’être baptisé. Mais il y en a qui viennent à moi. Un adolescent musulman m’a ainsi demandé le baptême. Mais je l’ai perdu de vue pendant un an avant de le retrouver par hasard. Il m’a dit qu’il ne pouvait plus être baptisé, que sa maman l’empoisonnerait s’il parlait encore de devenir chrétien. Un autre homme est venu à moi, affamé et habillé comme un mendiant. C’était un officier de l’armée, un homme qui avait un bon poste, une femme et des enfants, mais il a tout perdu parce que sa famille a découvert qu’il était devenu chrétien. J’insiste sur le fait que nous ne demandons jamais à un musulman de quitter sa foi, mais certains viennent à nous.
Propos recueillis par Sylvain Dorient.