Si le confesseur est bien connu des catholiques d’Occident, la tradition des pères spirituels est certainement moins connue et établie dans nos contrées qu’en Orient. Qui est le starets, cette figure fascinante qui, entre mythe et réalité, peuple les romans de Dostoïevski et le Mont Athos ?
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Le terme russe de « starets » désigne avant tout un homme âgé, et l’image d’épinal d’un vieux moine à la longue barbe blanche et tout de noir vêtu n’est pas usurpée. Personnage central de la tradition orthodoxe, c’est généralement un moine reconnu pour sa grande sagesse et son expérience des autres, pèlerins et « enfants spirituels » venus à sa rencontre pour connaître « l’amour qui dirige » qu’évoquait le père Séraphim de Valaam. S’il n’est pas nécessairement le confesseur de ceux qu’il guide, le starets est d’abord un homme d’une grande expérience spirituelle.
Silouane l’Athonite concevait la direction spirituelle d’un père comme une nécessité impérieuse : « Ne commence pas ta vie de prière sans un père spirituel ; ne pense pas dans ton orgueil que tu peux te débrouiller seul, même avec des livres ». Le père spirituel est le garant de l’humilité de ceux qu’il guide, et donc de leur progression. Car le christianisme oriental est resté profondément marqué par la tradition dite hésychaste, qui vise à connaître la paix de l’âme dans l’intimité de Dieu au terme d’un long cheminement spirituel. C’est sur ce chemin sinueux que le « starets » s’est déjà avancé, comme en éclaireur, se défaisant peu à peu de toutes les considérations du monde pour laisser l’Esprit saint agir, pour lui mais aussi pour le bénéfice des autres.
Le starets est donc également l’intermédiaire à travers qui l’Esprit s’adresse à ceux qui demandent secours et consolation. C’est pourquoi sa vie est d’abord une intense vie de prière. Dans son enseignement et son conseil, le starets livre autant la leçon de son expérience que le produit de son oraison. C’est dans la prière authentique, celle du cœur, que le père spirituel puise l’amour véritable, l’amour évangélique, la charité indispensable dans son rapport à autrui. Il cultive la richesse spirituelle de la vie monastique pour en livrer une parcelle du précieux fruit à ceux qui vivent dans le monde. Il établit un lien crucial pour la vie spirituelle des fidèles, entre le monde lointain et reclu du monastère, et celui des « séculiers ».
Un « starets »… pour quoi faire ?
Les célèbres Récits d’un pèlerin russe, connus en France depuis les années 1940, mettent en valeur une fonction éminente du starets, qui est de démystifier la vie chrétienne et l’œuvre des pères de l’Église. Ainsi le starets indique au pèlerin — et à travers lui au lecteur — les passages des Évangiles auxquels se référer pour apprendre à prier, ceux de la Philocalie qu’il faut étudier en priorité, etc. Mais si la figure du starets irradie, au point d’être un personnage central des Frères Karamazov de Dostoïevski, c’est qu’elle est associée à un charisme particulier, et notamment celui de discerner les besoins propres à chacun, fruit d’une grande connaissance de l’âme humaine et de ses souffrances.
Nombreux sont les écrits qui évoquent les visages juvéniles et rayonnants de ces hommes pourtant âgés. Le starets accompli porte sur lui l’empreinte de l’amour dont il vit, car il n’est pas un directeur autoritaire et brutal. L’archimandrite orthodoxe français Syméon Cossec affirme qu’il doit être comme « l’icône » du Christ compatissant et guérisseur. Il est donc l’exact contraire d’un directeur de conscience sévère, froid et distant. Dans sa relation à ses enfants spirituels, il admet de prendre sur lui la charge de leurs fautes pour les faire grandir, et remplit ainsi sa mission sacerdotale.
L’entretien avec un starets doit donc se concevoir comme une façon d’expérimenter l’action de l’Esprit autant que d’apprendre de l’expérience d’un « vieux sage », lui-même passé par les rudes épreuves de la vie spirituelle. Il est un phare, et nombreux sont ceux qui, parfois thaumaturges, ont été canonisés dans l’Église orthodoxe. On découvre ainsi des lignées de père spirituels : saint Silouane du Mont Athos avait eu le starets Sophrony pour disciple et enfant spirituel, qui lui-même guida beaucoup de moines encore en vie et devenus starets à leur tour. Les pères spirituels d’Orient perpétuent et renouvellent ainsi une tradition vivante qui, au-delà du mythe, est une réalité essentielle de la vie spirituelle.