Comme chacun sait, les six pays fondateurs de ce qui est devenu l’Union Européenne sont, par ordre alphabétique, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Ce qui est aussi remarquable que peu remarqué est qu’actuellement, les chefs d’État ou de gouvernement de cinq de ces six pays n’ont pas d’enfant.
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La seule exception est le premier ministre belge, Charles Michel. Il est à peine plus vieux qu’Emmanuel Macron (d’exactement deux ans : les deux hommes sont nés un 21 décembre) et il est lui aussi arrivé au pouvoir à 39 ans. Il a eu un fils puis une fille avec sa compagne.
La chancelière allemande (Angela Merkel), le président français et le premier ministre italien (Paolo Gentiloni) sont mariés, mais n’ont pas de descendants. Leur âge (ou celui de leur conjoint) ne laisse pas supposer qu’ils en auront. Le premier ministre néerlandais (Mark Rutte) est apparemment un célibataire endurci. Son collègue luxembourgeois (Xavier Bettel) est marié avec un jeune homme et l’on n’a pas entendu dire qu’ils avaient l’intention d’adopter.
Pour faire bonne mesure, l’appartenance formelle à l’Union ne fait pas de différence : la Britannique Theresa May, chargée de mettre en œuvre le Brexit, est elle aussi sans enfant – de même que la nationaliste écossaise et pro-européenne Nicola Sturgeon, à laquelle le même Brexit offre un prétexte pour réclamer à nouveau l’indépendance. Le temps est donc loin où celui ou celle qui était à la tête d’une nation avait absolument besoin d’un héritier. Cela ne pose pas de problème en régime démocratique où c’est le vote et non la filiation qui désigne un successeur, et non pas à vie, mais pour un mandat limité dans le temps. De nos jours, les leaders sans progéniture sont même un avantage : ils sont à l’abri de toute tentation de népotisme en favorisant leurs rejetons en les embauchant à leur service.
Marginalisation de l’Europe
Cependant, si en 2017 la plupart des dirigeants des pays qui ont fondé l’Europe n’ont pas de postérité personnelle, n’y a-t-il là qu’une coïncidence qui ne mérite pas qu’on s’y attarde ? Ou bien y a-t-il là quelque chose de significatif ? C’est ce qu’a récemment suggéré un de mes amis américains, George Weigel, qui est aussi celui que saint Jean-Paul II avait choisi pour écrire sa biographie (Témoin de l’espérance, Jean-Claude Lattès, 1999 ; réédité en 2005). Il n’est pas surprenant, dit-il, que les dirigeants de pays où le taux de natalité s’effondre n’aient eux-mêmes pas d’enfants : ils sont des images, voire des caricatures cruellement révélatrices des sociétés qu’ils gouvernent et aussi, d’une certaine manière, incarnent. Comme on y fait tout pour rester fringant le plus longtemps possible, il y a moins besoin de jeunes. Il arrive même qu’on les considère comme des gêneurs. L’horizon est soi-même et son bien-être. Il n’y a pratiquement pas d’au-delà et l’avenir n’a pas le visage de nouvelles générations, mais se réduit à ce que peut prévoir et gérer la technocratie.
Avec cette culture que la sécularisation referme sur elle-même et où la démocratie laisse le pouvoir aux bénéficiaires du « système » parce qu’ils ont le monopole de la communication, l’Europe (au sens large des géographes) où se trouvait un cinquième des humains en 1960 n’en a plus aujourd’hui qu’un dixième. L’Afrique et l’Asie ont respectivement augmenté de 6% et 4%, pour constituer respectivement 16% et 60% des quelque 7,5 milliards d’êtres humains dans le monde (contre 3,5 milliards en 1960). Les Amériques (13,5%) et l’Océanie (0,5%) restent proportionnellement stables. George Weigel n’a donc pas tort : l’Europe devrait s’inquiéter de l’effondrement de son taux de natalité, qui n’est certainement pas moins important que la protection des minorités sexuelles.
Mondialisation de l’Église
À quoi l’on peut ajouter une autre observation : c’est un tournant de l’histoire que l’Église est en train de ne pas rater, au moins au niveau du collège des cardinaux, symboliquement comparable à celui des membres du G 7 ou du G 20. Le pape François ne veille pas seulement, comme ses prédécesseurs, à une mondialisation à travers une « décurisation » (moins de bureaucrates romains) et une « désitalianisation ». Car on note aussi une nette « déseuropéanisation ». Les électeurs originaires du « vieux monde » étaient encore majoritaires au conclave qui a choisi l’archevêque de Buenos Aires pour succéder à Benoît XVI. Ils ne le sont plus. Les hispanophones d’Amérique latine, mais aussi les Africains et les Asiatiques sont de plus en plus nombreux.
On ne peut cependant pas dire que les statistiques, la démographie ou la « surface » socio-culturelle dicteraient les choix. Dans les nominations du pape François, il y a des hommes qui n’en ont charge que de toutes petites Églises, pauvres, minoritaires, parfois persécutées… L’enseignement est assez clair : de même que l’avenir des nations dépend de leurs enfants et non uniquement de leur richesse ou de l’habileté de leurs politiques et de leurs technocrates, de même la vitalité de la foi chrétienne ne repose pas uniquement sur des communautés florissantes. Car c’est là où les serviteurs ne sont pas mieux traités que leur Seigneur, lui-même rejeté en son temps, que l’esprit d’enfance est le plus pur et donc le plus fécond.
L’ultime leçon est peut-être que ce ne sont pas les chiffres qui comptent le plus, mais la façon dont est vécue l’épreuve qu’implique de se mettre à la suite du Christ. Cela ne vaut pas moins pour les catholiques qui affrontent l’indifférence des nantis oublieux de ce qu’ils doivent à leur Tradition que pour ceux qui sont en butte à l’hostilité. Dans l’un et l’autre cas, la réponse est à la fois dans l’amour du prochain même s’il est l’ennemi et dans cette autre forme non moins décisive de l’amour qu’est la transmission de la vie.