L’abbé Pierre-Hervé Grosjean signe la préface de ces mémoires, frappé par « la foi simple, confiante, absolue d’un jeune de 20 ans qui se retrouve au coeur de l’enfer sur terre. Cette espérance nourrie par la certitude que Dieu est là, que jamais Il ne nous abandonne. »
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
On a dû mal à imaginer que le vieux monsieur souriant de la 4e de couverture, avec sa coupe de cheveux élégante et son nœud papillon, soit le lieutenant Aloysius Pappert. En décembre 1946, squelettique et hydropique, il fut ramené à Hunfeld (Hesse), sa petite ville natale, non loin de Fulda. Par chance, il retrouve sa maison familiale encore debout ainsi que ses parents et toute la fratrie.
Aujourd’hui à la retraite dans la ville de Monaco et arrivé au bout d’une longue vie consacrée à la création d’entreprises et au soutien d’œuvres catholiques, il nous conte ses souvenirs d’une période qui va de mai 1942, jusqu’à Noël 1946, alors qu’il vient d’avoir 22 ans.
Le baptême du feu
Le pacte germano-soviétique ayant été rompu le 22 juin 1941, les jeunes travailleurs de son équipe sont envoyés à l’arrière du front de l’est, dans la région de Koursk, pour des travaux de terrassement (préparation d’un aéroport). Ils y connaissent leur baptême du feu. À la mi-septembre ils sont incorporés dans la Wehrmacht. En janvier 1943, Pappert est envoyé pour une période de 8 mois de formation militaire en France, dans le Puy de Dôme. Soumis à un entraînement très dur, il se blesse et fait un court séjour à Paris pour la confection d’une chaussure orthopédique. Fin février 1944, il est envoyé en Italie. Prisonnier des Américains, il s’évade (ce qu’il regrettera amèrement par la suite). Il est blessé dans un combat en marge de ceux de Monte Cassino et se retrouve à Cortina d’Ampezzo dans un hôtel de luxe transformé en hôpital. Permission à Hunfeld, suivie du mois de décembre 1944 à Berlin en ruines, puis envoi sur le front de Silésie où il apprend, le 8 mai 1945 , la fin de la guerre.
L’espoir de se rendre aux Américains en Tchécoslovaquie est déçu : « C’est un accord entre le Président Roosevelt et Staline : l’armée américaine doit livrer à l’Armée rouge tous les prisonniers de guerre allemands et tous les prisonniers civils et militaires russes”. Après un voyage de quatre jours dans des wagons fermés, sans eau ni nourriture, au cours duquel 62 hommes seulement, sur les 101 de sa compagnie, parviennent à survivre, les voilà dans le Donbass pour travailler aux mines de charbon. Un an et demi pour goûter aux charmes des camps soviétiques et de leur système sanitaire. C’est d’un de leurs hôpitaux qu’il est évacué vers l’Allemagne, moins pour cause d’une “maladie impossible à diagnostiquer” que parce que les lieux sont devenus des mouroirs où les infirmières font ce qu’elles peuvent sans médicaments, avec très peu de nourriture.
La vie d’un soldat allemand au jour le jour
Vers la fin de sa captivité il a pu assister à un événement qu’on peut qualifier d’historique : la liquidation de 5000 survivants de l’armée Vlassov, enterrés vivants dans des fosses qu’on avait fait creuser aux prisonniers sous prétexte de “baraques souterraines”.
Peu nous importe de savoir dans quelle mesure les années ont embelli ces souvenirs, si l’auteur s’y donne le beau rôle, s’il s’est fait aider pour leur donner une tournure littéraire, reconstituer des dialogues. Nous lirons ces deux volumes comme un roman dont le héros, un certain Aloysius, a quelque chose à nous apprendre. Il nous montre en toute simplicité la vie d’un soldat allemand, au jour le jour, dans les différents lieux où il est envoyé, avec de très mauvais moments, des moments horribles, mais aussi de bons et même très bons : comment on peut faire la fête à peu de distance d’un front meurtrier, s’y faire des amis, se réjouir de peu de chose. Les personnages qu’il rencontre ici et là, qui lui font leurs confidences, leurs diverses situations, leurs illusions et désillusions, la chape de plomb que fait peser un régime totalitaire sur une population où tout le monde se méfie de tout le monde, tout cela nous donne un certain panorama de ce peuple qui avait voté majoritairement mais pas unanimement pour Hitler.
…d’un soldat allemand chrétien
Aloysius est un résistant. Il doit sa solidité à son tempérament, certes, mais aussi et surtout à son éducation. Son père, artisan tapissier-sellier, est un notable à Hunfeld, en tant que membre du Zentrum, le parti de centre catholique, ce qui lui vaut une certaine surveillance policière et a interdit à Aloysius l’accès au lycée de Fulda. Il n’appelle jamais Hitler autrement que “le caporal autrichien”. Il a un cousin prêtre qui a été victime de la Gestapo ; il a lu Mein Kampf et l’a pris au sérieux ; il s’inquiète de voir les intellectuels remplacés par des gens tirés de “la fange”, et il a mis ceci dans la tête d’Aloysius : “mon fils il n’y a rien de plus important dans la vie que le respect et les dix commandements”.
Donc, c’est avec la foi, l’habitude de la prière, et sans aucune illusion sur le régime en place qu’il s’engage dans la guerre. Ajoutons qu’il a de l’esprit d’initiative, un assez formidable culot, et le flair pour sentir de qui il faut se méfier et à qui on peut faire confiance. À l’âge de 16 ans, il a déjà créé l’évènement à Hunfeld, par un exploit en planeur, et partout où il passe, il sait se mettre en avant et se rendre indispensable à ses supérieurs.
“Je déclare officiellement la naissance des États-Unis d’Europe”
Dès son arrivée à Koursk, ce jeune travailleur, peu ardent à manier la bêche, convainc son oberstfeldmeister qu’il a besoin d’un journaliste de guerre, se propose pour cette fonction, et l’exerce si bien que ses articles paraissent jusque dans des villes de l’arrière et lui valent d’être envoyé en permission en Allemagne au lieu de partir pour Stalingrad.
Cela ne l’empêche pas, en même temps, d’organiser le mess des officiers et de manigancer avec le dirigeant du kolkhoze voisin un petit trafic de beurre liquéfié. Il monte en grade rapidement : en septembre 44, il est adjudant, et en décembre lieutenant alors qu’il a tout juste 20 ans. Arrivé dans les camps russes où il faut travailler dur, il recrute, parmi les prisonniers, les meilleurs ingénieurs et artisans allemands et les met efficacement à la disposition du commandant du camp ce qui a pour effet de donner à la soupe une consistance plus épaisse.
Mieux encore, il organise l’aménagement intérieur de la maison du commandant du camp (guère plus confortable que les baraques des prisonniers) en y déléguant une petite équipe supposée s’écarter des autres pour aller creuser des puits. Il est fier de montrer aux Russes à quel point le professionnalisme des Allemands est supérieur au leur. Il a des qualités de chef, sait remonter le moral des prisonniers en les convaincant qu’il fait le maximum pour les protéger et qu’ils se feront mieux respecter, s’ils marchent en rangs et au pas. Le 15 aout 45, apprenant la reddition du Japon, il fait une proclamation : “Mes chers camarades, la Seconde Guerre Mondiale est vraiment terminée. Une nouvelle ère commence. Puisque nous sommes tous européens, je déclare officiellement la naissance des États-Unis d’Europe”.
Surtout il n’a pas peur de s’affirmer “croyant”. Alors que Hitler était fondamentalement antichrétien, il était lié par le concordat de 1933, d’où la présence d’aumôniers catholiques dans l’armée allemande. Aloysius ne manque pas une messe quand l’occasion s’en présente. En Italie, à la cathédrale d’Orvieto, un couple d’Italiens remarque l’intensité de sa prière et l’invite à déjeuner, non sans lui rappeler qu’ils sont “ennemis”. Lors de sa blessure en Italie il a eu une sorte d’expérience mystique et en Russie, il a su affronter un commissaire politique particulièrement odieux et le mettre en fuite.
Une petite cérémonie de Noël 45 qu’il organise avec rien dans la salle d’hôpital où il est “soigné” pour dysenterie, en change complètement l’atmosphère. Bien loin que cette attitude lui attire des persécutions, elle lui vaut la confiance de beaucoup. C’est qu’il est une exception : une petite enquête parmi trente camarades lui révèle qu’il n’y a que deux “croyants” (deux catholiques dont lui-même, pas un seul protestant). Quand ils sont en danger, les hommes ne crânent pas et sont bien contents que quelqu’un prie pour eux et leur apprenne à prier. Il est tout surpris lui-même de son influence : “Devais-je commencer un travail de missionnaire ? Non, je n’étais pas prêtre mais en donnant à mes camarades un nouvel espoir par la prière, je pouvais sauver beaucoup de vies”.
C’est ce qu’il a à nous apprendre de plus important : la foi et la prière sont un rempart contre le désespoir et aident puissamment à vivre. Pendant près de cinq années terribles, Aloysius, avec sa foi, a réussi à faire bouger des montagnes. Des montagnes d’incompétence, de bêtise, de méchanceté, de peur et de désespoir.
Aloysius Pappert, Mémoires de guerre, T. 1 Une jeunesse volée, 210 p., 20 € T.2 Le sang des prisonniers, 202 p., 20 € (Salvator, mars 2017)