La collection “Les petits Platons” publie un opus stimulant, ressuscitant l’immense philosophe grec.Dans Socrate Président, Yann Marchand, docteur en philosophie et écrivain, imagine ce que pourrait entreprendre Socrate pour redresser l’état moral de notre société afin de nous éviter le Tartare, l’enfer mythologique. Première étape : s’allier à un démagogue de haute volée, son vieil adversaire Protagoras, à qui est offerte la rédemption en cas de succès. Un pari pour le moins risqué…
Peut on enseigner la justice ? Le lecteur, même novice en la matière, trouvera dans ce livre une excellente introduction à l’un des dialogues les plus fameux de Platon, à savoir le Protagoras. Les termes du débat sont exactement exposés : le pouvoir doit-il être fondé sur la vertu et la justice (idée défendue par Socrate), ou sur la pure force (idée défendue par Protagoras) ?
C’est une conception toute chrétienne de la responsabilité des dirigeants qui se dégage : si les âmes sont de plus en plus nombreuse à chuter dans le Tartare, c’est la faute de mauvais dirigeants. Ceux-ci donc ne se condamnent pas seulement eux-mêmes mais condamnent les âmes dont ils avaient la charge en permettant, voire en favorisant le Mal. Là où le vrai Socrate, comme tout païen, ne voit d’abord que les conséquences temporelles des vices publics pour seulement ensuite évoquer rapidement la vie après la mort, Socrate président fonde l’urgence de la vertu sur les fins dernières et les conséquences spirituelles du vice. En cela il rend hommage à une des grandes supériorités de la doctrine chrétienne sur la sagesse d’avant la Révélation.
Une controverse toujours aussi vive de nos jours
Ensuite, le livre rappelle que ce débat entre la justice et la force est toujours d’actualité. Aujourd’hui la société nous fournit mille exemple de cas qui se prêtent au regard socratique : guerres, euthanasie, avortement, quête effrénée du « succès » et de la « réussite » etc. Paradoxe contemporain, les faibles sont de plus en plus délaissés alors qu’on n’a jamais autant prétendu vouloir les aider.
Quelques regrets cependant : d’une part, si le texte reste neutre, les illustrations désignent expressément Donald Trump comme étant le vil Protagoras. Dommage et un peu facile. D’autre part, il est difficile de savoir à qui s’adresse le livre : plutôt aux adultes dans le fond, plutôt aux adolescents dans son style et plutôt aux enfants dans son illustration et sa longueur.
Malgré ces réserves, il s’agit dans l’ensemble un conte philosophique amusant et instructif, sans vulgarité ni dramatisation. À mettre entre toutes les mains !
Socrate président de Yann Marchand. Les petits Platons, 14 euros.