Giovanni Deepak Anaglia est Italien. C’est aussi un Indien, recueilli bébé par les sœurs de Mère Teresa. À 36 ans, après avoir passé toute sa vie en Italie, il décide de changer radicalement son existence. Il revient s’installer à Calcutta pour s’occuper à son tour des enfants des rues. Pour Aleteia, Giovanni revient sur son parcours. Il raconte le rôle Mère Teresa dans sa vie et la manière dont il a abouti à une décision si radicale.
« Mon nom est Giovanni Deepak Anaglia. Je suis né à Calcutta le 9 décembre 1980 et ai été adopté par une famille italienne. J’ai passé plusieurs mois dans l’orphelinat de Mère Teresa à Calcutta. Je garde énormément de souvenirs de cette époque. Lorsque je suis revenu à Sishu Bheevan (centre d’accueil de Mère Teresa) et que les sœurs m’ont interrogé sur mes souvenirs, je leur ai décrit mon lit et la pièce dans laquelle je dormais. Petite et sombre. Elles m’ont alors emmené au second étage, dans une immense pièce remplie de lits. Sur le côté se trouvait une toute petite alcôve, avec un seul petit lit. Je l’ai immédiatement reconnu. À part cette chambre et les pièces d’eau, je me rappelle surtout de toutes les émotions qui m’habitaient à cette époque, à tel point que, lorsque je suis revenu, je me sentais chez moi. Et parmi les miens.
La rencontre avec sa mère adoptive
Mère Teresa m’a emmenée en Italie le 13 mai 1982. C’est elle qui m’a littéralement placé dans les bras de ma mère. Encore maintenant je me souviens très bien de ce voyage. J’étais assis près du hublot, au-dessus des ailes de l’avion. À côté de moi, Mère Teresa. Je me souviens qu’elle souriait. À l’arrivée à l’aéroport, avec tous les enfants destinés à être adoptés, ma mère entendit un enfant pleurer abondamment. Elle s’approcha de lui et le pris dans ses bras. Il s’est endormi alors qu’elle lui chantait une berceuse. Pendant ce temps, à côté, Mère Teresa et les autres sœurs présentaient les enfants à leurs parents un par un, par ordre alphabétique. Lorsqu’elles arrivèrent à mon nom, elles se rendirent compte que j’étais déjà dans les bras de ma mère… Pour moi il y avait déjà un lien, entre nous, un instinct de reconnaissance, ou, comme ma mère a l’habitude de dire « l’œuvre des mains de Dieu ou de celles de Marie ». Tout ceci se passa le 13 mai 1980 à Fumiciano. Et ce n’est pas non plus un hasard si tout ceci s’est passé un 13 mai, jour de la sainte Fatima. Depuis ma mère se rend chaque année à Fatima. À 4 ans, j’ai de nouveau rencontré Mère Teresa, qui m’a raconté comment elle m’avait emmené jusque dans les bras de ma mère.
Les changements, au début de l’adoption, ont été assez difficiles pour ma famille et pour moi. Nous sommes désormais une famille très unie et nous nous aimons extrêmement. Mais j’ai eu beaucoup de mal à m’adapter. Les rues étaient différentes de celles que je connaissais, l’école aussi. Et tout le monde me faisait sentir que j’étais différent. J’ai grandi dans le contexte d’une Italie tentée par le racisme. J’ai énormément souffert de ma couleur de peau dans cet environnement où tout le monde était blanc et où il était important de l’être. J’ai dû apprendre à me protéger dans la rue et j’ai dû apprendre à me battre aussi. Un peu plus tard, j’ai eu beaucoup de mauvaises expériences. Et à l’âge de 16 ans j’ai perdu beaucoup d’amis, qui sont morts. À partir de ce moment-là j’ai commencé à vouloir me recentrer sur mes origines.
Retour aux origines
La meilleure chose à faire était de revenir à mes fondations et donc de retourner sur le lieu de ma naissance pour vraiment comprendre ce que je voulais dans ma vie, qui j’étais vraiment. J’ai donc quitté l’Italie en février 2017. Lorsque j’ai atterri à Calcutta, 36 ans après avoir y être né, j’ai embrassé le sol. J’étais de retour à la maison. Je suis venu pour être volontaire dans ce même orphelinat où j’ai grandi. C’était le meilleur moyen pour moi de me rapprocher de ces enfants. C’était aussi le meilleur moyen de redécouvrir l’enfant qui est en moi. Aujourd’hui, lorsque je les regarde, lorsque je les lève jusqu’au ciel, je revois l’enfant que j’étais, l’un d’entre eux, qui avait juste besoin d’être aimé.
J’ai aussi découvert des choses nouvelles sur ma naissance. Pendant 36 ans j’avais toujours été persuadé avoir été trouvé dans la rue, une rue, qui plus est, dont je me souviens très précisément — large et chaude, située près du Gange. Je voulais donc effectuer une dernière recherche sur mon enfance et rencontrer la sœur qui m’avait trouvé. Mais j’ai découvert une autre réalité, qui m’est tombé dessus comme un coup de tonnerre. Je n’ai pas été recueilli dans la rue, comme je le croyais, mais c’est ma mère biologique, elle-même, qui m’a déposée à Sishu Bheevan. Sœur Marianne, qui s’occupe des adoptions actuellement, m’a expliqué un peu plus le contexte de ces années-là. Dans les années 80, il s’avère que de nombreuses jeunes femmes emmenaient leurs enfants pour les confier aux sœurs. Leurs raisons étaient essentiellement matérielles : elles n’avaient pas d’argent ni de quoi soigner leurs enfants. Elles pouvaient être aussi sociales : ces jeunes femmes n’étaient pas censées avoir d’enfants avant d’être mariées ou alors qu’elles étaient encore mineures. Sur le coup j’ai été assez choqué. Durant cinq bonnes minutes j’étais même comme sonné. Je me suis néanmoins assez rapidement souvenu que rien n’arrive sans raison ou que l’on peut trouver du sens dans beaucoup de choses. Après tout ce que j’ai vécu, c’est quelque chose dont je suis convaincu. Cela m’a permis de redécouvrir à quel point j’aime ma famille, encore plus profondément que je l’imaginais. Et désormais, après quelques mois, je sais définitivement ce que je veux dans ma vie :
Ma famille, en Italie, m’aide et me soutient par tous les moyens, dans tout ce que je fais. Ils respectent mes choix, même s’ils n’ont pas toujours été d’accord avec tout ce que j’ai fait. C’est la démonstration de l’amour la plus forte pour moi. Je n’aurai pas pu trouver une meilleure famille. L’œuvre de Mère Teresa, à travers ses centres, est aussi ma maison et ma famille. Ici on m’appelle « notre garçon », et je m’y sens beaucoup plus en sécurité qu’à Rome ! Ma famille dit d’ailleurs que nous sommes une famille de Mère Teresa… ».