Gerbes de blé, grappes de raisin, fleurs de lys, phénix… brodé d’un point ultra solide, le point de Chartres, inventé à l’occasion, le tapis de la cathédrale fut installé autour de l’autel le jour de la Pentecôte de l’an 2000. Retour sur une merveilleuse histoire. Dans les années 1990, le clergé de la cathédrale de Chartres aurait bien voulu faire restaurer un tapis brodé au début du XIXe mais le budget nécessaire était bien trop élevé. « Qu’à cela ne tienne » répliqua le peintre cartonnier chartrain Hervé Lelong « on n’a qu’à en broder un autre ! ». Et c’est ainsi qu’avec Véronique de Luna, qui dirigeait une école de broderie, ils se sont lancés dans l’aventure d’un ouvrage communautaire rassemblant le travail de plus de 200 brodeurs. Et au final, ce n’est pas un mais quatre tapis qui furent réalisés pour habiller, lors des grandes fêtes à la croisée du transept, l’autel d’argent et de granit vert créé par l’orfèvre Goudji en 1991. On peut l’admirer le reste de l’année dans la crypte.
Motifs symboliques
Mais avant, il avait fallu mettre au point les cartons, tel un immense puzzle. Dans la bordure ornée de gerbes de blé et de grappes de raisin on peut reconnaître les signes eucharistiques du pain et du vin. La fleur de lys blanc évoque la pureté. Sur les emmarchements s’étagent des bouquets d’épis de blé, de vigne et de feuillage, déposés là comme des offrandes. A l’Est, où se tient le prêtre pour célébrer l’Eucharistie, le symbole christique du pélican qui nourrit ses enfants de son propre sang est représenté. En face, du côté des fidèles, une corbeille contenant cinq pains et deux poissons rappelle le miracle de la multiplication des pains, et du partage. Au Sud, côté de la gloire, le phénix illustre la Résurrection. Enfin du côté de la Parole deux colombes sont posées sur une vasque. Sur les plate-formes, entre les escaliers, des motifs plus larges (150 x 150 cm) montrent l’Arbre de Vie pour le Paradis, l’Arbre de la Connaissance et le paon, image de l’immortalité et de la Résurrection.
Broder en ligne
Une fois l’ouvrage dessiné, il a fallu imaginer la réalisation technique et pour cela Véronique de Luna créa un point ultra solide, baptisé bien évidemment point de Chartres, alliant le principe du tissage du petit point de Saint-Cyr et le relief du point de croix qui évitait les déformations et les différences de tensions inévitables avec autant d’exécutants différents. L’ouvrage final est composé de 292 carrés à raison de 98 pour la nef, 56 pour le chœur et 138 pour le transept. Chaque brodeur volontaire s’engageait à broder un carré de 49 cm sur 49 cm. Il faisait partie d’une équipe de sept personnes dont les carrés assemblés composaient la largeur du tapis. Et si assembler les premières lignes les unes aux autres n’était pas trop difficile, le jeu se compliqua au fur et à mesure de l’avancement de l’ouvrage.
Signé sur l’envers
Dans ce travail communautaire, si l’interprétation du motif ne laissait pas beaucoup d’initiatives aux brodeurs, chacun a quand même pu imprimer sa marque en signant à l’arrière d’une petite pièce de tissu sur laquelle il confiait son identité ou son intention de prière, mais la doublure les a dissimulées. « A grands pas ou à petits points, chacun fera son pèlerinage à Notre Dame de Chartres à sa façon, » telle était la signature d’une équipe de brodeuses. Gageons que dans les générations futures, quand on découvrira cette myriade de signatures, nombreux seront ceux qui s’interrogeront sur le mystère du tapis de la cathédrale et ses brodeurs. Lorsque vous entrez dans la cathédrale, un jour de fête carillonnée, n’oubliez pas, après avoir eu la tête dans les étoiles à force d’admirer les vitraux, de jeter un coup d’œil à vos pieds et de penser à tous ceux qui, sept ans durant, ont tiré l’aiguille afin de déposer au pied de l’autel leurs prières multicolores.
Contacts: Paroisse Notre Dame, 16, Cloître Notre Dame 28000 Chartres. Tél : 02 37 21 59 08. www.cathedrale-chartres.org