Aleteia se faisait récemment l’écho des considérations du numismate Agostino Sferrazza, selon qui, les reliefs observés sur les paupières de l’homme du Saint-Suaire seraient bien des pièces de monnaie frappées sous Ponce Pilate. Des conclusions trop hâtives selon le sindonologue [qui étudie le Saint-Suaire de Turin, Ndlr] libanais Farès Melki.
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Farès Melki : Bien que la présence de pièces de monnaie sur les yeux de l’Homme du Linceul de Turin ait été soupçonnée sur des images tridimensionnelles élaborées par John Jackson, futur chef du projet STURP, en 1977, puis par Giovanni Tamburelli (+1990) de l’université de Turin, c’est au père jésuite Francis Filas (+1985), mathématicien, physicien et théologien à l’université Loyola de Chicago, que revient le mérite d’approfondir la découverte, deux ans plus tard. Examinant les photos de haute résolution prises par Giuseppe Enrie en l’année 1931, il identifie la pièce de monnaie dans la région de l’œil droit avec un lepton romain frappé par Ponce Pilate où figure le nom de l’empereur Tibère César.
Plus tard, en 1996, Pier Luigi Baima Bollone, professeur de médecine légale à l’université de Turin, connu pour ses études sur les taches de sang sur le Linceul et sa découverte du groupe sanguin AB de l’Homme du Linceul, affirme aussi la présence d’une piécette de monnaie sur l’œil gauche.
Toutes ces « découvertes », aussi fascinantes soient-elles, ont suscité beaucoup d’interrogations chez les scientifiques, voire du scepticisme. Était-ce la coutume chez les juifs du Ier siècle de poser des pièces de monnaie sur les yeux de leurs défunts ?
Elle ne l’était pas, selon l’étude faite par le plus grand spécialiste des cimetières juifs, le professeur L.Y. Rahmani, directeur des musées de Jérusalem. En effet, dans un article publié dans la prestigieuse revue Biblical Archaeologist, en 1980, il rejette, sans aucune hésitation, l’idée d’une coutume juive de mettre des pièces de monnaie sur les paupières des morts. Par contre, l’archéologue William Meacham, chercheur à l’université de Hong Kong, et l’archéologue Paul Maloney, de l’association des scientifiques ASSIST, deux grands sindonologues, ne sont pas aussi négatifs, préférant la poursuite des recherches, surtout que les fouilles engagées dans quelques tombes juives anciennes ont montré la présence de monnaies romaines dans les crânes. Toutefois, cette présence n’est pas généralisée et elle est manifestée dans les ossuaires, sans pouvoir affirmer que les pièces ont été déposées sur les yeux ou dans la bouche ou à côté du corps et donc, la théorie des pièces de monnaie ne peut bénéficier d’un soutien archéologique solide.
D’autre part, il est surprenant que les disciples de Jésus — parmi lesquels figuraient le pharisien Nicodème et le Sadducéen Joseph d’Arimathie, tous deux membres du Sanhedrin juif — qui l’ont enseveli « selon la coutume funéraire juive » (Jean 19, 40) aient pu poser une piécette de monnaie de l’occupant romain dont le procurateur, Ponce Pilate, a donné l’ordre de crucifier leur maître ! À moins qu’elle n’ait été posée par une personne non juive ou un soldat romain !
Mais la faiblesse la plus importante réside dans le fait que ces trouvailles ont été faites sur des photographies, par des personnes qui n’ont jamais pu observer le linceul de Turin à l’œil nu, tandis que ceux qui ont eu le privilège de le faire ont émis de grandes réserves et pensent qu’il s’agit de reliefs naturels formés par les fils du linge qui donnent à l’observateur une impression de voir une forme qui, en fait, n’existe pas, une sorte d’illusion optique appelée paréidolie.
Barrie Schwortz, par exemple, grand photographe professionnel et sindonologue de réputation mondiale, photographe officiel du groupe STURP qui a examiné le linceul en 1978, raconte que, lors de plusieurs réunions avec son ami, le père Filas, qui lui montrait les traces du lepton romain, n’a jamais pu voir ce que le père essayait de lui faire remarquer dans ses photographies, causant une grande frustration chez son ami. Ce que le père voyait comme des inscriptions, Barrie les voyait comme des formes et des fluctuations aléatoires. De plus, P. Filas a assuré à son ami qu’il était impossible pour lui de voir la même chose sur les photos prises plus tard en 1978. Barrie dit que les « images » découvertes par P. Filas sont des artefacts de grains photographiques agglomérés, causés par des copies répétées des photographies originales. Et puis, les films orthochromatiques à haute résolution utilisés par Enrie enregistrent uniquement le noir ou le blanc, et tous les tons gris de l’image ont été altérés et enregistrés en noir/blanc.
Barrie pense aussi que le tissage du tissu est trop grossier pour pouvoir contenir une inscription subtile et minuscule d’une pièce ancienne de la taille d’un lepton rond de diamètre 17 mm, et observer des caractères et figures qui ne dépassent pas les 4 mm.
Paolo Di Lazzaro, du Centre de recherche ENEA, à Frascati (Italie), et membre du Centre international de sindonologie à Turin, attribue les « images » vues par quelques personnes à un effet de Paréidolia. Même le professeur Nello Balossino, du département d’informatique de l’université de Turin et vice-directeur du CISn qui était partisan de la présence de monnaies auparavant, vient de dire, lors d’une conférence très récente, que cette présence est très peu probable.
Donc, le débat sur la présence des pièces de monnaie n’est pas clos, en attendant des examens futurs sur le tissu lui-même et non sur des photos, qui pourraient donner une explication scientifique valable.
Propos recueillis par Ronald Barakat.