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Aleteia : Comme sociologue des religions et politologue, quelles sont les trois grandes leçons que vous retenez du premier tour ?
Jean-Louis Schlegel : La première, c’est l’effondrement objectif des deux grands partis de gouvernement qui se succèdent au pouvoir depuis 50 ans. Il faut cependant rappeler un paramètre important : sans l’« accident moral » de François Fillon, la droite aurait dû gagner cette élection haut-la-main. Mais que cet « accident » l’ait fait perdre, qu’elle n’ait pas trouvé de solution après la primaire, demeure un signe de sa profonde faiblesse. Il n’en reste que des miettes aujourd’hui.
La division du corps électoral en quatre blocs peu compatibles a priori – les « macronistes », le Front National, la droite dite républicaine et la « gauche de la gauche » — est le reflet d’une France profondément divisée, comme l’a manifesté la violence verbale de la campagne. C’est la seconde leçon.
Enfin — si l’on fait abstraction de l’ « accident » de François Fillon, l’ascension d’Emmanuel Macron est d’une fulgurance indéniable, quelles que soient les critiques, souvent très sévères, que l’on formule régulièrement contre lui.
La géographie électorale se superpose-t-elle à la géographie « religieuse » en France ?
C’est vrai que la résistance – relative — de l’Ouest « breton » au Front National est surprenante. Est-ce le ressort démocrate-chrétien (catholique) qui agit encore sur les déterminants du vote ? Je voudrais le croire. Mais que je sache, le Sud-Ouest est plutôt de tradition radicale-socialiste que catholique, et la pénétration du FN y est relativement faible… À l’inverse, l’Est lorrain et alsacien — une région que je connais bien — était aussi démocrate-chrétienne que l’Ouest breton il y a cinquante ans, et le vote lepéniste y signe des performances importantes.
Au premier comme au second tour, il n’y pas de « candidat des catholiques ». Certains s’en plaignent, mais n’est-ce pas bon signe ?
Une partie des catholiques avaient trouvé leur champion lors des primaires de la droite en la personne de François Fillon. Même s’il s’est dit « chrétien » ensuite à la télévision, ce n’était pas un « candidat catholique ». C’est en effet un bon signe. Les catholiques sont politiquement pluriels, ils sont pluriels aussi par leurs valeurs. Ils sont ou devraient être présents dans tous les partis démocratiques représentatifs. S’il faut regretter quelque chose, en revanche, c’est l’absence de grands porte-voix de droite ou de gauche, crédibles et respectés, du catholicisme et de sa doctrine sociale.
Les évêques de France n’ont pas souhaité donner de consigne au deuxième tour ? Que pensez-vous du texte de « discernement » proposé par la CEF ?
Je suis perplexe, je le reconnais, comme j’étais perplexe après la publication de leur texte, largement salué, de l’automne dernier Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique (Mame, 2016). L’épiscopat se focalise plus sur les « valeurs », que sur le politique. Mais c’est justement le problème : les valeurs ne sont plus partagées, même par les catholiques ! Être évêque par les temps qui courent n’est certes pas une sinécure, mais dans les circonstances présentes, il vaudrait mieux dire clairement qui on est et ce que l’on veut, en privilégiant toujours une approche politique des problèmes, plutôt que politicienne. La revue Esprit, que je dirige, a fait un appel en faveur d’Emmanuel Macron. On peut le contester, mais du moins est-il totalement clair.