Depuis plus d’un demi-siècle, Mgr Xavier de Maupeou exerce son sacerdoce au Brésil, pays passionnant et révoltant.
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Son activité au service des plus pauvres lui a valu une réputation de communiste auprès de la dictature militaire qui dirigea le Brésil de 1964 à 1985. Ce prêtre, en effet, ne gardait pas sa langue dans sa poche lorsqu’il dénonçait la “passivité” d’une partie de l’Église devant les problèmes que rencontraient les plus pauvres : paysans sans terre, habitants des favelas et descendants d’esclaves…
On s’attend donc à rencontrer un baroudeur couturé, la bouche pleine d’histoires, mais Mgr Xavier de Maupeou se montre bien peu disert lorsqu’il s’agit d’évoquer son parcours… Le jour où il fut nommé évêque, il s’est exclamé : “Vous êtes fous, je n’en ai pas les compétences !” Une attitude dont il ne s’est jamais départi, plus pressé qu’il est de répondre sur la situation actuelle au Brésil plutôt que de raconter ses souvenirs, réunis dans un livre par sa nièce, Isabelle Colson.
Les prêtres “rouges” dans le collimateur
Arrivé en 1962 au Brésil, il est témoin du coup d’État de 1964. Il constate bien vite que la dictature militaire est obsédée par le communisme, et voit dans l’action de prêtres comme lui, des actes dangereux. Lui, de son côté, encourageait les paysans à former des communautés, pour ne pas rester seuls face à l’appétit des gros exploitants.
Dans le Brésil des années 60, bien peu de petits exploitants disposaient d’une preuve écrite démontrant qu’ils possédaient la terre sur laquelle ils travaillaient. Le plus souvent, ils y vivaient depuis des générations, et bien qu’ils aient théoriquement le droit à une attestation, ils ne voyaient pas l’utilité d’aller la retirer. L’un de ces paysans, à qui le père Maupeou recommandait d’aller quérir ce document, lui répondit aussitôt : “Prouvez-moi d’abord que la chemise que vous portez est à vous !”
La mécanique des voleurs de terres
Cette insouciance devait bien tôt ou tard se retourner contre eux. Les paysans ont dû faire face à des exploitants habiles. Ces derniers leur confiaient des têtes de bétail contre une rémunération mensuelle, puis revendiquaient auprès de l’administration la propriété de la terre, forts de ce statut “d’employeurs”.
S’appuyant sur une administration gangrénée par la corruption, ils s’arrangeaient, par exemple, pour que l’école d’un village soit supprimée. Les enfants devaient gagner la ville, et leurs mères se loger en périphérie. Les pères, qui leur rendaient visite, perdaient le droit de jouissance de leurs terrains dès qu’ils avaient le dos tourné pour voir leurs familles. Face à ces “astuces” crapuleuses, la solidarité des paysans représentait l’unique moyen de résister. Ainsi, Mgr Maupeou garde le vif souvenir d’une convocation de deux délégués de village qui ne s’est pas passée tout à fait comme prévu. La justice s’apprêtait à les expulser pour “communisme” mais le village entier s’est rendu à la convocation comme un seul homme et la sentence prévue fut suspendue.
Perquisition à la maison paroissiale
Quelque temps plus tard, dénoncée comme subversive et “communiste”, la maison paroissiale du père de Maupeou est perquisitionnée. Il échappe à la capture grâce à la complicité de son archevêque, mais décide de se rendre à la police pour démontrer son innocence. Son supérieur est alors averti par une prostitué qu’un autre prêtre, le père Antonio, vient d’être torturé une nuit entière. Cette femme, liée à l’Église par le mouvement du Nid, avait entendu un policier se vanter d’avoir tabassé un “curé”… Le père de Maupeou se rend toutefois à la police le lendemain, mais son archevêque l’accompagne et prévient : “Je vous remets le père Xavier en bonne situation physique et mentale”. “Cette réflexion et l’attitude de mon archevêque m’ont sauvé de la torture”, assure le prêtre. Il n’échappera pas à des conditions de détentions scandaleuses malgré tout ! Pour se rendre aux toilettes, il est accompagné d’un soldat qui le tient au bout de sa baïonnette. L’un d’entre eux lui demande : “Vous vous souvenez de moi ? Vous avez célébré mon mariage l’an dernier. J’ai un fils et quand vous sortirez il faudra le baptiser”.
Le combat continue
L’ancien “prêtre rouge” est devenu évêque émérite. À 82 ans, il continue à mettre en garde nos contemporains contre les menaces qui pèsent sur le Brésil, où il ne voit pas d’amélioration notable. Profondément attaché à son pays d’adoption, il est révolté par l’attitude du gouvernement envers les plus pauvres, en particulier les Quilombolas, ces descendants d’esclaves qui stagnent en bas de l’échelle sociale. “Le mépris des puissants est encore plus grand qu’auparavant”, dénonce-t-il.
Si les années de Lula à la présidence du Brésil (2003-2011) ont amené une amélioration de la condition des paroissiens les plus pauvres, tous les acquis sont actuellement menacés, assure-t-il. Si, notamment, la réforme de la sécurité sociale envisagée par Michel Temer, l’actuel président du Brésil, était menée à bien, ce serait “un désastre”. Et Mgr de Maupeou de saluer l’attitude du pape François qui a répondu par un télégramme fort peu diplomatique à une invitation de ce président, qu’il considère avec une grande méfiance : reconnaissant “la crise que le pays traverse”, le Saint-Père a bien souligné qu’il “ne revenait pas à l’Église ou au pape de donner une recette concrète pour résoudre quelque chose d’aussi complexe” !
L’actualité confirme que la “guerre de la terre” n’est pas finie. Une série de massacres de paysans a eu lieu dans le Mato Grosso, à l’Ouest du Brésil. Les circonstances de la mort de neuf paysans enterrés samedi 22 avril dernier, accusent l’agro-business brésilien, tout puissant dans cette région du pays. D’après les données de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), liée à l’Église catholique, 61 personnes ont été assassinées au Brésil lors de conflits ruraux en 2016, année la plus meurtrière depuis 2003.