La revue carmélitaine, Vive flammes, consacre son dernier numéro à la sobriété. L’un de ses contributeurs, le père Jean-Raphaël de la Croix glorieuse, rappelle l’importance de cette belle vertu.Aleteia : Vous débutez votre contribution par ces mots : « Le but de notre vie est de rencontrer Dieu, de vivre avec lui et de l’aimer ». Évidence qui nous fuit si souvent ! C’est pour la conserver que la sobriété est indispensable ?
Père Jean-Raphaël de la Croix glorieuse : Je me souviens d’une phrase lue chez dom Guillerand, un chartreux : “Dieu se voit à l’œil nu, il n’y a que la nudité qui manque”. Il me semble que les évidences les plus simples de notre vie sont souvent cachées par beaucoup de bruits extérieurs ou intérieurs, de superflu. La sobriété est une façon de limiter le bruit, le superflu, pour que nous puissions entendre la source qui coule en nôtre cœur depuis toujours, et qui murmure : “Viens vers le Père, il t’attend, il t’aime, il veut te rendre heureux”.
Laissons le spirituel pour revenir au naturel. Notre société génère quotidiennement envie, frustration et détresse psychologique. La consommation étant à la fois la cause de ces maux et le seul remède proposé.
La sobriété n’est-elle pas tout simplement la condition d’une « vie bonne » ?
Nous sommes intelligents et libres, et il faut se poser la question : quels sont les meilleurs moyens pour y arriver, pour arriver à une vie bonne ? Il se trouve que l’accumulation ne fait pas le bonheur. Celui qui cherche à se servir des choses ou des personnes pour combler son vide intérieur va avoir besoin de prendre de plus en plus, pour une joie de moins en moins grande. C’est la triste dynamique du vice. La sobriété n’est pas tellement une question de quantité à mesurer, je pense. Il s’agit plutôt d’une attitude intérieure où j’essaie d’accueillir plutôt que de prendre. Et d’accueillir pleinement. Car des choses merveilleuses me sont données, ici et maintenant, mais je ne prends même pas la peine de les regarder.
Cela me fait penser à une histoire assez drôle entendue quand j’étais petit. Une histoire qui se passe en Martinique ou en Guadeloupe. Un homme du coin se prélasse au soleil, au bord de la mer. Un blanc passe et lui dit qu’il ferait mieux de travailler plus. Pourquoi ? Pour gagner plus. Et puis ensuite ? Tu pourras monter une entreprise, gagner beaucoup d’argent. Et ensuite ? Tu t’achèteras une belle maison, avec une piscine, et tu pourras faire la sieste au bord de ta piscine. Mais c’est ce que je suis en train de faire, je fais la sieste au bord de la mer…
Dieu fait bien les choses, il nous donne, ici et maintenant. La sobriété est une façon de dire : je choisis d’accueillir ici et maintenant.
Avoir peu, désirer peu serait donc le marche-pied de l’émerveillement et de la joie ? Vous citez notamment un titre de CS Lewis …
Je dirais qu’il s’agit plutôt de posséder peu, et de rechercher peu, pour attendre beaucoup. Ou de désirer, énormément oui, mais d’un désir ouvert, indéterminé, prêt à recevoir ce que Dieu donne, à recevoir ce que la vie donne. Là, effectivement, se trouve un grand marchepied de l’émerveillement et de la joie. Lewis est comme un ami pour moi. Il parle de la joie, comme de ce désir que le monde réveille et qui nous fait attendre un bonheur infini. Il y a quelque chose d’inconfortable dans cette joie et de très beau : c’est une façon de reconnaître que le monde parle du bonheur et il en parle très bien mais qu’il ne peut le donner. Il éveille l’attente d’un bonheur infini. Dans la sobriété, j’accepte que le monde me parle du bonheur éternel, et je ne cherche pas frénétiquement à prendre ce bonheur éternel dans ce monde temporel.
Si les catholiques comprennent, à défaut d’appliquer, la nécessaire sobriété matérielle, ils sont moins familiers de la sobriété des idées, pourquoi est-elle importante ?
Il me semble que cette sobriété des idées, et des paroles aussi d’ailleurs, est absolument essentielle pour entrer dans la vie contemplative. La vie contemplative ! Grand mot qui fait peur, qui évoque une élite désincarnée… Mais nous sommes tous appelés à la vie contemplative, qui n’est rien d’autre que de voir et d’accueillir les choses et les personnes telles qu’elles sont réellement. Or, il se trouve que nous avons mille et mille idées sur ce que les personnes devraient être. Sur ce qu’elles devraient faire. La mode des sondages nous fait croire qu’il faut une opinion sur tout, un jugement sur tout le monde. Mais souvent, l’expérience montre que nos jugements sont peu éclairés, arbitraires. Nos grandes idées sur ce que devrait être le monde, l’Église, la France, le Pape, notre mari, notre ami, notre frère, nos grandes idées sur ce qu’il est… tout cela fonctionne comme des lunettes, colorées selon notre petit monde intérieur. Or, ce petit monde est beaucoup, beaucoup, plus pauvre que la vraie vie. Nos idées sont petites. Tu peux passer ta vie à rechercher des confirmations de tes petites idées. Ou tu peux abandonner tes petites idées pour entrer dans la grande et belle aventure : découvrir les choses et les personnes telles qu’elles sont réellement. La sobriété des idées laisse énormément de place pour commencer à voir.
Propos recueillis par Thomas Renaud.
Vives flammes. n° 306, La sobriété, éditions. du Carmel, avril 2017.
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