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Entre matérialisme et crise de foi, sommes-nous victimes du syndrome de Judas ?

"La Cène" de Rubens (détail) © Wikimedia

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François Brunhes - publié le 13/04/17
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« Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent » (Mt 6, 24). Cette assertion de Jésus prend une résonance singulière dans notre époque, car elle émerge de manière particulièrement vive lorsqu’on explore les racines de la grave crise actuelle de la foi.

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La trahison de Judas, esclave de « l’argent malhonnête », motivée par l’avarice, la rancœur et la convoitise, devrait nous faire réfléchir à notre rapport aux biens matériels. La crise actuelle de la foi trouve son enracinement dans le sentiment de suffisance, voire de plénitude que les acquis technologiques et industriels développent chez l’homme, de sorte que Dieu ne lui apparaît pas, d’un point de vue existentiel, nécessaire. La dépendance compulsive aux objets technologiques et aux sensations qui y sont associées, finit par faire de ceux-ci des éléments de fixation ontologique, qui capturent l’être en totalité, ne laissant aucun espace à Dieu. L’homme est littéralement aspiré par son environnement techno-matériel, à un tel point que les produits de celui-ci ne s’apprécient plus selon leur utilité, mais en tant que valeurs existentielles.

Dès son enfance, l’individu est amené à ne se construire que par référence à cet environnement. Ainsi confiné dans une bulle résolument matérialiste et existentialiste, dans laquelle les biens matériels qui combleraient son existence ne seraient que des produits de ses propres efforts humains (son intelligence, son travail), il ne perçoit pas « l’intérêt de Dieu ». D’où la perte non pas forcément de la croyance en son existence, mais de la religiosité qui y est associée. La crise moderne de la foi se réfère moins au fait que l’homme ne croit pas en Dieu qu’au fait qu’il est aspiré par l’univers matériel jusqu’à un oubli de Dieu – il y a donc une différence à faire entre l’athéisme ou le rejet explicite de Dieu et l’indifférence religieuse qui correspond davantage à la situation actuelle.

L’éclipse de Dieu

La mise en lumière de la relation entre la surabondance techno-matérielle et l’affaiblissement de la foi, ou « l’éclipse de Dieu » dont parlait le pape Paul VI, permet de postuler que ce qui y est exprimé, ce n’est tant le rejet de son existence qu’une illusion de plénitude qui, nécessairement, Le met de côté : « À quoi me sert-Il » ?

Cette question est celle du sens de Dieu, dans un contexte où toute idée d’absolu immatériel est ringardisée puis obscurcie par le culte du bien-être matériel. Il y a également derrière cette interrogation une posture philosophique qui, déifiant les progrès scientifiques, en vient d’une part à postuler qu’ils fournissent toutes les clés de compréhension et de manipulation de la nature, et d’autre part, à affirmer la capacité de l’homme à saisir de manière autonome toute l’ingénierie nécessaire à son bien-être considéré sous un prisme matériel exclusif. L’horizon matériel apparemment satisfait, il reste l’horizon spirituel et eschatologique qui lui semble si intangible et superflu qu’il ne s’en préoccupe guère.

Ces logiques matérialistes brouillent aussi insidieusement le sens de la foi dans les sociétés pauvres. Certes, la foi y apparaît vigoureuse. Cependant, celui qui scrutera en profondeur son enracinement, pourra constater qu’elle est de manière croissante corrompue par le matérialisme. Ici, en effet, ce n’est certes pas l’abondance matérielle qui l’obscurcit comme dans les pays riches, mais c’est le besoin d’accéder au même standard matériel de ces sociétés qui la déforme. C’est ainsi que la foi est souvent intimement liée à une forte attente de gratifications psycho-matérielles, à travers lesquelles Dieu la récompenserait. D’où le succès d’un « Évangile de la prospérité » sans lien avec la sanctification.

Le surcroît de matériel conduit à la solitude et l’angoisse

L’un des défis intellectuels les plus urgents de notre temps est de proposer une nouvelle exhortation philosophique et théologique qui montre à l’homme qu’au milieu de ses possessions technologiques, la référence à Dieu reste essentielle pour qu’il parvienne à son accomplissement et s’inscrive dans une perspective eschatologique qui le projette au-delà de cette vie. La promesse d’une plénitude existentielle par les acquisitions matérielles et sans Dieu s’avère chaque jour un peu plus spécieuse, car celles-ci ne le plongent pas dans le bonheur espéré, mais le mènent à la solitude et l’angoisse.

À rebours du matérialisme et de l’individualisme qui sont une impasse, il s’agit d’affirmer qu’au cœur des aspirations matérielles légitimes, un espace pour Dieu est nécessaire et possible. L’intuition de la sanctification par le travail et la vie ordinaire — théorisée par saint Josémaria — et la spiritualité du travail, développée par saint Jean Paul II, ouvrent à une vision renouvelée de la relation entre la foi et les circonstances matérielles, qui évite l’écueil de les opposer. Elle fournit les critères de discernement et les outils spirituels qui rendent concrète l’idée d’insérer Dieu au milieu de nos tâches quotidiennes. La nouvelle évangélisation devrait les intégrer comme socle pour enrayer l’éclipse de la foi par le matérialisme.


Le Baiser de Judas, par Giotto di Bondone, entre 1304 et 1306 © Wikimedia
Lire aussi :
Pourquoi Judas a-t-il trahi Jésus ?

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