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La recherche du profit est-elle morale ?

Hubert Fondecave © Claude Genino Gaspari

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Sabine de Rozières - publié le 29/03/17
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La question du profit, de sa nécessité et de sa répartition, suscite de vifs débats chez les chrétiens. En amont de l’élection présidentielle, Aleteia donne la parole à tous les points de vue. Voici celui d’un entrepreneur chrétien qui estime le profit indispensable et regrette le dévoiement du mot “éthique”. Entretien avec Hubert Fondecave, directeur général d’Ethiea Gestion, un groupe qui propose d’investir l’épargne de façon responsable et personnalisée dans des entreprises au comportement “remarquable et méritant”.

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Aleteia : La recherche du profit est-elle morale ?
Hubert Fondecave : Oui elle l’est ! Je dirais même que c’est une exigence fondamentale pour l’Homme que de créer de la richesse, sinon c’est un non sens. Cette exigence est valable dans tous les aspects de nos vies, qu’ils soient d’ordre financier, affectif ou même caritatif. Si ce que nous entreprenons n’avait aucun impact, nous arrêterions immédiatement. Dès que l’homme fait quelque chose, c’est pour en tirer un bénéfice quel qu’il soit, sinon il ne le ferait pas. Est-ce pour qu’il soit partagé ensuite ? C’est alors la conscience de chacun qui entre en jeu. Mais pour partager la richesse il faut déjà la créer et se mettre dans les conditions ad hoc. Pour un chrétien, être appelé à créer de la richesse fait partie des devoirs de l’Homme comme nous l’explique par exemple la Parabole des talents (Matt 25, 14-30) : chacun doit faire fructifier ses dons pour les partager et non pour les enterrer. On peut la mettre en perspective avec la parabole du riche insensé (Luc 12, 13-21) qui stocke dans son grenier et n’en fait profiter personne.

“Profit” est devenu un gros mot ?
Plutôt que “profit” j’aurais davantage tendance à parler de “bénéfice” car le mot “profit” est connoté de manière négative en France alors que ce n’est pas du tout le cas dans d’autres pays, comme la Belgique ou l’Italie. Depuis l’analyse marxiste on confond deux choses : profits et bénéfices, richesse et répartition de la richesse.

Quand on parle de “placements éthiques”, y a t-il une ambiguïté sémantique ?
Depuis une vingtaine d’années ces questions des placements dits “éthiques” sont apparues sur la place financière de Paris et les mots ont été dévoyés. Je ne sais pas ce que sont des “placements éthiques” ou des “entreprises éthiques”. La question serait plutôt de savoir quelle est l’éthique de l’entreprise dans laquelle je souhaite investir ? Chez Ethiea Gestion on ne dit pas que l’on fait des “placements éthiques”. Ce qui est important c’est l’éthique de notre gestion, ce qui est très différent. On a assisté à un détournement sémantique des notions et des valeurs à cause de la multiplication des  raccourcis et des amalgames. Ainsi, quand on parle d’une activité dite de “développement durable”, dans l’imaginaire collectif, c’est obligatoirement éthique et donc bien. Or je ne vois pas le rapport.

Quel problème posent les “produits financiers” ?
L’épargne aujourd’hui est gérée essentiellement par l’intermédiaire de produits financiers qui éloignent les épargnants des entreprises. J’ai pris conscience de ce phénomène en gérant des milliards d’euros d’épargne que l’on n’investissait pas non plus dans un projet d’entreprise mais simplement dans des “produits financiers”. C’est un vrai problème : on considère le produit financier uniquement comme un jackpot potentiel, comme un produit presque magique qui va créer plus de valeur mais sans savoir très bien sur quoi. Cette tendance éloigne de l’entreprise qui, elle, doit créer de la richesse et du bénéfice pour réinvestir et rémunérer le risque pris par ses actionnaires.

Quels sont les critères pour investir de manière “éthique” ?
Il s’agit d’abord de faire preuve de bon sens et s’intéresser à la réalité d’une entreprise, à ce qu’elle fait ou produit. Quand on investit de l’argent, on le mobilise dans un projet qui ne va pas forcément produire de bénéfices records tout de suite mais investir dans une entreprise dont l’objet correspond à nos valeurs, c’est participer au bien commun, c’est bien plus éthique que l’achat de produits financiers qui vont financer on ne sait quelles activités à travers la planète. J’incite les épargnants à investir dans des entreprises cotées en bourse, mais en direct et non via ces produits financiers qui sont détenus à 90% par des fonds de pensions, des caisses de retraite ou des compagnies d’assurance.

C’est l’éducation qui donne l’éthique…
Notre métier d’investisseur est de jauger les entreprises selon leurs manières de faire et nous les notons selon certains critères. On essaye de mesurer non pas leur éthique mais la manière dont elles se comportent, et cela c’est de l’éthique. Car l’éthique est une liée au discernement en fonction d’une situation. Enseigner l’éthique à de jeunes étudiants, cela me surprends toujours car l’éducation aurait dû y pourvoir déjà.

Un produit peut-il être éthique ?
Il y a quelques années j’étais invité à un colloque qui avait pour thème : l’Investissement Socialement Responsable (ISR) est-il éthique ? Et j’ai répondu non à cette question ! Mes propos ont immédiatement déclenché du brouhaha dans la salle, mais j’ai poursuivi en utilisant une image. “C’est comme si l’on me demandait, quand je coupe ma viande, si le couteau que j’utilise est éthique. Et bien non ! Le couteau n’est pas éthique en lui même. L’éthique est liée au comportement des hommes et des femmes”. Donc un produit ou un outil ne peut pas être éthique. En revanche, une entreprise comme personne morale peut avoir un comportement éthique via les hommes et les femmes qui la composent.

Quels risques nous font courir les “produits financiers” ?
En France depuis 20 ans, il n’y a jamais eu si peu d’actionnaires français dans les entreprises : c’est dramatique parce que les sociétés sans les actionnaires ne peuvent pas se développer. Cela veut dire que ce sont à la fois des étrangers qui investissent directement ou bien que l’essentiel des capitaux des entreprises sont détenus par des produits financiers imaginés par ces fameux fonds de pensions et consorts. On observe ainsi que les grandes entreprises cotées en bourse possèdent des capitaux très diversifiés mais la majeure partie d’entre eux se balade de pays en pays, de gestionnaire financiers en fonds de pension, la plupart dépendants de grandes banques. Le risque est que les capitaux de nos entreprises puissent, par exemple, devenir largement détenus par des Chinois qui sont devenus la première masse d’épargne au monde.

Propos recueillis par Sabine de Rozières.

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