À travers une scénographie spectaculaire, le Petit Palais offre aux visiteurs un nouveau regard sur la peinture religieuse du XVIIIe siècle. Alors que la majorité des tableaux d’église ne se trouvent plus à leur emplacement d’origine – conséquence du vandalisme révolutionnaire – l’exposition retrace l’histoire des grandes commandes religieuses qui ont marqué le siècle. Entretien avec Christine Gouzi, commissaire de l’exposition et maître de conférence à l’Université Paris-Sorbonne.
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Aleteia : Pourquoi avoir donné ce titre à l’exposition ?
Christine Gouzi : Le titre de l’exposition, Le Baroque des Lumières, se veut volontairement un peu “choc” et mystérieux afin de retenir l’attention du public. En effet, de manière générale le baroque est plutôt assimilé à l’art du XVIIe siècle italien tandis que les Lumières ne semblent pas du tout baroques. Ce sont deux termes antagonistes qui doivent interroger les visiteurs. Mais, à l’issue de l’exposition, ces derniers comprendront que l’art du XVIIIe siècle peut être autant démonstratif, rhétorique et aérien que celui du XVIIe siècle !
Quel est le parcours de l’exposition ?
L’exposition s’ouvre avec une première salle qui évoque le tout début du XVIIIe siècle, vers 1715-1720. Elle présente un grand tableau du peintre Jean Jouvenet, La visitation de la Vierge (1716), commandé pour le chœur de Notre-Dame (le seul tableau restauré et transportable pour des raisons de conservation), ainsi que la commande des Mays de l’abbaye de Saint-Germain-des-Près. La seconde salle est une reconstitution d’une nef d’église composée de chapelles dans lesquelles se trouvent de grands tableaux. Il s’agissait pour nous d’expliquer au public ce qu’était un retable d’église au XVIIIe siècle. Viennent ensuite des salles plus intimistes comme celle dédiée à la reconstitution de la Chapelle des enfants trouvés peinte par Charles-Joseph Natoire dans les années 1750, puis une seconde consacrée au culte des saints. Cette dernière présente les nouveaux saints qui étaient l’objet d’une grande ferveur au XVIIIe siècle, comme notamment saint Vincent de Paul.
Un espace évoque ensuite la question de la dévotion avec la présentation d’objets liturgiques, de livres – la peinture sur manuscrit était très importante au XVIIIe siècle – et de tableaux de dévotion privée. Ces œuvres, de format plus petits que les retables, ont appartenu à des particuliers et n’étaient pas forcément présentées dans des églises. Nous expliquons après les différentes étapes de la conception d’une œuvre : la réalisation de dessins, puis d’esquisses de plus en plus abouties et destinées au commanditaire, jusqu’à la création finale d’un tableau sur toile ou d’un plafond peint.
Enfin, l’exposition s’achève avec la période dite néoclassique. Des tableaux peints dans les années 1760-1780 sont présentés, tel le grand Christ en croix réalisé par le peintre Jacques-Louis David (1782) pour la chapelle du Maréchal de Noailles dans l’église des Capucines.
La scénographie est spectaculaire !
En effet, nous souhaitions que la présentation des œuvres soit spectaculaire. Le but était vraiment de donner l’idée de ce qu’était une église au XVIIIe siècle. Les tableaux ayant été la plupart du temps déplacés à l’époque de la Révolution, nous voulions vraiment replacer les œuvres dans leur contexte d’origine en mettant en place des reconstitutions architecturales et en recréant une atmosphère lumineuse comparable à l’ambiance des églises au XVIIIe siècle.
Une campagne de restauration d’envergure des tableaux a été initiée pour l’exposition ?
De grands tableaux ont été décrochés et restaurés pour l’exposition grâce au mécénat de fondations privées, telle la Fondation du Patrimoine, ou de particuliers. La ville de Paris ne pouvait pas tout financer. Le mécénat a aussi permis de restaurer des églises, notamment la chapelle de la Vierge de Saint-Sulpice, ou la fresque du dôme de Notre-Dame de l’Assomption qui a été entièrement restaurée grâce à la Fondation Sisley. Certains tableaux présentés avaient déjà été restaurés dans les années 1990-2000 et n’avaient plus qu’à être « bichonnés » pour l’exposition.
Le XVIIIe siècle vit-il véritablement une crise religieuse ?
Cette idée commune vient du fait que les Lumières sont couramment associées à la philosophie. Or, il faut bien savoir que tout le monde était croyant au XVIIIe siècle. Chacun appartenait à une paroisse et n’avait pas le droit d’aller dans une église autre que son territoire paroissial. Le monde de l’église régissait la vie quotidienne et c’était impossible – même si en son for intérieur on n’était pas très croyant – de vivre en dehors de l’église. Les sources montrent que le XVIIIe siècle était très engagé dans les problématiques religieuses, notamment avec la question du jansénisme, véritable problème théologique et politique. En réalité, et les historiens l’ont dit depuis longtemps, c’est un siècle qui est à la fois religieux et philosophique. Du point de vue artistique, c’est un siècle très religieux. Si on effectue le décompte des grandes commandes de peinture religieuse, il y en a bien autant qu’au XVIIe siècle !
Dans quelles mesures la peinture religieuse du XVIIIe siècle est-elle militante ?
Une des principales raisons est liée à la question du jansénisme. Au XVIIIe siècle, de nombreux prêtres et congrégations à Paris sont jansénistes, c’est-à-dire opposés à la bulle Unigenitus promulguée par le pape Clément XI et son application. La peinture commandée par les jansénistes est militante dans la mesure où elle met en image leurs pensées, tandis que ceux qui veulent contrer les jansénistes commandes des œuvres illustrant l’inverse. Ce qui est compliqué, c’est que les sujets choisis ne sont pas forcément différents ! C’est la manière dont les tableaux sont présentés dans les églises au milieu d’un décor, la manière dont ils sont expliqués et les textes qui les accompagnent, qui permettent de définir leur origine. C’est très difficile à reconstituer car tous les grands décors ont été dispersés, de nombreux tableaux ont été détruits et des décors du XIXe siècle sont parfois venus recouvrir ceux du XVIIIe siècle. [NDLR : Seul un œil exercé peut reconnaître derrière des sujets religieux traditionnels et anodins, une volonté dénonciatrice signifiée par un système de références empruntés aux écrits engagés du temps. En revanche, l’approche des œuvres par l’amont c’est-à-dire en enquêtant sur les commanditaires d’une part, sur les artistes, d’autre part, permet de comprendre comment une influence s’exerce et comment elle se traduit dans les œuvres. Pour les mays de Saint-Germain des Prés, la part des commanditaires comme dom Bouillard et le groupe des mauristes jansénisants est déterminante.] [1].
Seuls 5 à 10 % des tableaux dans les églises parisiennes se trouvent à leur emplacement d’origine…
Oui environ, cela me paraît même surestimé. Et encore, cela ne prend pas en compte tous ceux qui ont disparu à la Révolution. Il est donc difficile pour le public de s’imaginer comment était conçue une église à cette époque. On se dit toujours que le XVIIIe siècle : c’est blanc, rose, poudré… En réalité, il y avait encore dans les églises des tableaux des siècles précédents, et beaucoup de tissus, des brocards, du rouge qui faisait que les églises étaient plus chargées qu’on pourrait le croire. Il faut venir voir l’exposition pour se rendre compte par soi-même. C’est en regardant les œuvres personnellement, sans même parfois réfléchir à l’iconographie, que l’on peut vivre un vrai choc esthétique.
Propos recueillis par Marie Fournier.
Découvrez les plus belles œuvres de l’exposition dans notre diapo !
« Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes au XVIIIe siècle », Paris, Petit Palais.
Du 21 mars au 16 juillet 2017, du mardi au dimanche de 10h à 18h et le vendredi jusqu’à 21h.
[1] Bernard Hours, « Christine Gouzi, L’art et le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Nolin, 2007, 320 p. », Chrétiens et sociétés [En ligne], 14 | 2007, mis en ligne le 08 juillet 2008, consulté le 28 mars 2017. Lien.