Professeur au collège, Jean-Baptiste Noé publie “Rebâtir l’école, plaidoyer pour la liberté scolaire” aux éditions Bernard Giovanangeli. Entretien (2/2).
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Aleteia : Que dire du pédagogisme [l’idée de mettre l’élève au centre de l’éducation, consacrée par la loi Jospin de 1989, ndlr], qui est l’un des problèmes majeurs de l’école aujourd’hui ?
Jean-Baptiste Noé : Il résulte d’une invention idéologique des années 1970, mais qui s’inscrit dans la droite ligne de l’école de Jules Ferry. Le pédagogisme n’aurait jamais pu s’imposer si la liberté scolaire avait été réelle. Aujourd’hui, les professeurs sont contraints d’appliquer les méthodes pédagogistes, et ils sont sanctionnés s’ils ne le font pas.
Cela dégoûte du métier les meilleurs professeurs. Beaucoup partent, d’autres agissent en cachette. Il faut saluer le courage de ces dissidents de l’éducation qui osent ne pas suivre les méthodes qui échouent pour pratiquer avec leurs élèves des méthodes qui réussissent. Les parents ne se rendent pas compte du risque pris par ces professeurs, notamment quand il s’agit d’enseigner la lecture.
Pour réinventer l’école et la rendre à nouveau efficace, peut-on compter sur le numérique ?
Le numérique est le cheval de Troie du pédagogisme. Mais il faut bien comprendre de quoi il s’agit. La question n’est pas seulement d’utiliser un vidéoprojecteur en classe ou d’aller faire quelques recherches sur internet. Le numérique à l’école est conçu pour imposer la pédagogie inversée. Je cite plusieurs rapports officiels sur ce sujet dans mon livre. Un inspecteur définit la pédagogie inversée de cette manière : « Le professeur devient le médiateur entre l’élève et l’outil ».
L’outil devient la finalité de l’école, alors que l’outil n’est qu’un moyen. Mais dans la pédagogie inversée, l’élève doit apprendre par lui-même, faire ses propres recherches et construire son savoir. Nous sommes bien dans le pégagogisme le plus simple, camouflé de high-tech.
Steve Jobs, qui a vendu des milliers d’ordinateurs aux écoles, a reconnu son erreur dans un entretien accordé au New York Times. Il a avoué avoir interdit l’usage des tablettes et des ordinateurs à ses enfants, car, dit-il, « cela nuit à leur créativité ».
L’un des fondateurs de Twitter a fait la même remarque : lui aussi a interdit à ses enfants l’usage du numérique à la maison. D’ailleurs, les grands patrons et les cadres de la Silicon Valley ont presque tous inscrit leurs enfants dans des écoles Waldorf, dont la spécificité est de bannir l’usage du numérique à l’école.
Enfin, nous disposons de très nombreuses études universitaires qui démontrent que le numérique est inutile et qu’il ne permet pas d’améliorer les résultats des élèves. Pire, le rapport Pisa 2015 a démontré que plus les pays avaient numérisé leurs écoles, plus les résultats baissaient. Au Japon et en Corée, il n’y a presque pas d’ordinateur dans les écoles, et ces pays obtiennent les meilleurs résultats.
Le numérique est un piège, dans lequel, hélas, beaucoup de personnes bien intentionnées sont tombées.
Quelles seraient les solutions concrètes à mettre en œuvre pour que l’école puisse à nouveau bien former les élèves ?
Il faut mettre un terme au monopole scolaire. Les parents doivent pouvoir choisir librement l’école de leurs enfants, et les écoles doivent pouvoir adopter les méthodes pédagogiques qui leur semblent les meilleures.
Quant au financement, la chose est finalement assez simple. L’école remplit une mission de service public, même quand elle est le fait du privé, et elle contribue à l’amélioration générale de la société. L’école étant une mission d’intérêt commun, il est normal qu’elle soit financée par l’argent commun.
À partir de là, plusieurs options sont possibles, toutes testées à l’étranger avec succès. Le chèque éducation est ce qu’il y a de mieux : c’est simple et transparent. On peut aussi envisager un crédit d’impôt : les parents inscrivent leurs enfants dans l’école de leur choix et l’État leur rembourse les frais de scolarité, dans la limite d’un plafond.
Pour les écoles publiques, on peut mettre en place une délégation de service public (DSP). Le bâtiment est la propriété de la collectivité locale, qui en confie la gestion à une association ou à une entreprise privée. Cela est déjà possible pour les crèches, et cela fonctionne bien. Par exemple, un département pourrait confier la gestion de l’un de ses collèges à une association œuvrant dans l’éducation, qui ainsi assurerait la mission de service public.
De façon plus générale, le problème ne vient-il pas de la finalité que nous assignons à l’école ?
Pour l’État, dans la lignée de Danton, l’école doit formater les enfants. Trop souvent, l’école est le terrain de l’idéologie. On ne cherche pas les meilleures solutions pédagogiques possible, on réfléchit toujours en termes d’idéologie.
Peu m’importe d’ailleurs qu’il y ait des écoles qui appliquent les méthodes pédagogistes, à condition que d’autres aient la liberté d’appliquer d’autres méthodes. La liberté scolaire doit amener la paix scolaire. Il faut cesser de raisonner en termes d’école publique ou privée : c’est un combat d’un autre temps. Il doit y avoir des écoles, financées par l’argent commun, fonctionnant de façons différentes, appliquant différentes pédagogies.
Les enfants n’appartiennent ni à l’État ni à leurs parents. Ils appartiennent à eux-mêmes et l’école doit leur permettre de leur fournir les outils et les aptitudes intellectuelles pour réaliser leur vocation. L’école doit faire d’eux des hommes et des femmes capables de fonder un foyer, d’élever des enfants, d’exercer le métier pour lequel ils ont le plus d’appétences et de contribuer à bâtir un morceau de la société dans laquelle ils vivent.
Pour cela, il faut sortir de l’idéologie et de la coercition, c’est-à-dire rebâtir l’école sur la liberté scolaire.
C’est finalement très simple à réaliser, et de nombreuses enquêtes d’opinion montrent que les Français y sont attachés.
Propos recueillis par Charles Fabert.
Rebâtir l’école, plaidoyer pour la liberté scolaire de Jean-Baptiste Noé. Éditions Bernard Giovanangeli, 2017, 14 euros.